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Liste Lagarde des évadés fiscaux: le journaliste grec acquité

jeudi, 1 novembre, 2012 - 08:26

Pour avoir publié dans son magazine d’investigation Hot Doc, la "liste Lagarde" des 2059 sociétés et particuliers grecs ayant des comptes à la banque HSBC en Suisse, Kostas Vaxevanis été jugé hier en flagrant délit (!). Il a finalement été acquité. Pour le gouvernement grec qui avait "perdu" le CD remis par la France, une condamnation aurait été poliquement ingérable.

Cela faisait plusieurs semaines que cette "liste Lagarde" [en 2010, Christine Lagarde, alors ministre des finances du gouvernement Sarkozy, l'avait remise à son homologue grec] était devenue l’Arlésienne du monde politique athénien. Tout le monde en parlait, des noms étaient cités, mais personne n’était capable de la produire.

Giorgos Papakonstantinou, le ministre des Finances qui l’avait reçue alors en mains propres, avouait l’avoir "perdue", Vangelis Venizelos, son successeur jurait avoir "oublié" à qui il l’avait remise, et aucun bureau de la pourtant si tatillonne administration grecque n’avait retrouvé sa trace.

Cadeau empoisonné

Un journaliste grec, Kostas Vaxevanis, a, lui, retouvé dix documents scannés, où apparaissent, en caractères latins, nombre d’industriels, d’armateurs, et surtout d’hommes politiques, anciens ministres et députés, ou encore en exercice. Il avait pris la précaution de ne dévoiler aucun montant.

Sitôt la liste parue, une quinzaine de policiers sont venus, sur ordre du parquet, l’arrêter à son domicile comme un dangereux criminel. Libéré peu après, il a comparu hier après-midi à Athènes devant la justice et a finalement été acquitté. Ceci après douze heures de procès alors que le procureur réclamait sa condamnation.

A ses côtés, le président de la Fédération internationale des journalistes, Jim Boumelha, a défendu le droit à publier cette liste. Kostas Vaxevanis a expliqué ne pas l'avoir dérobée, mais l'avoir obtenue par un courrier anonyme.

Une condamnation aurait été, en fait, quasi impossible à assumer par le gouvernement et les caciques politiques, de droite comme de gauche, qui ont tout fait pour enterrer le cadeau empoisonné de Christine Lagarde.

De plus, la liste a depuis été republiée par plusieurs sites internet ce qui rendait d'autant plus absurde l'inculpation d'une seule personne.

Depuis deux ans, fort de cette information, le gouvernement grec, sans doute plus préoccupé par les plans de rigueur sur plans de rigueur imposés à une population exsangue, n'a engagé aucune enquête sur aucune de ces personnalités soupçonnées d’évasion fiscale, alors que la fuite de capitaux achève de ruiner le pays.

Si quelqu'un doit s'expliquer devant la justice, ce sont les ministres qui ont tenté de dissimuler cette liste et pas moi. Les transactions avec les banques sont des actes publics, je n’ai rien fait d’illégal"

estime le journaliste grec.

La "liste Lagarde" a été extraite des fameux CD dérobés en 2006 par Hervé Falciani, cet ex-informaticien de HSBC. Il est aujourd’hui en prison en Espagne, à la suite à d'une plainte des autorités suisses. On ne badine pas avec le secret bancaire en Helvétie.

L’omerta est levée

Cette affaire hallucinante a électrisé l’atmosphère du pays, pourtant déjà très tendue. Le gouvernement, qui doit faire face à une contestation sociale de plus en plus forte, est désormais ouvertement accusé de protéger les riches et autres champions de l’évasion fiscale.

Au parlement, le premier ministre Antonis Samaras a préféré garder le silence en se refusant de répondre à la question du leader de la gauche radicale, qui l’interrogeait sur cette attaque sans précédent contre la liberté de la presse et la liberté d'expression :

C'est étrange de ne pas poursuivre les politiciens qui ont gardé secrète cette liste Lagarde, mais au contraire de persécuter le journaliste qui l’a publiée ? Au moment même où, pour rentrer de l’argent dans les caisses de l’Etat, vous faites adopter des mesures d’austérité de l’ordre de 13,9 milliards qui vont raboter encore plus les salaires et les retraites et vous bradez les biens publics, vous n’avez même pas fait payer un euro à aucun de ces nantis. Aujourd’hui, l’omerta est levée. Cette mafia du monde des affaires et des medias, protégée par des politiciens corrompu, doit s’expliquer. C’est la goutte qui fait déborder le vase".

Le gouvernement de coalition, issu des élections de juin, s’est justifié en se mettant en avant un formalisme juridique. Il aurait exclu d’user contre les auteurs d'évasion fiscale de documents obtenus illégalement. Mais confronté à la colère croissante de la rue face à une politique d'austérité épargnant les privilégiés et les puissants, il a abandonné cette incompréhensible stratégie de défense.

Argent au noir, blanchiment d’argent, fuite fiscale, le gouvernement s'est défaussé en laissant l’affaire dans les mains de la justice. Le procureur de la République, Grigoris Peponis, a, par ailleurs, demandé une enquête au Parlement sur les 36 députés cités dans la liste.

Cet acquittement ne suffira évidemment pas à calmer la tension sociale. Des grèves commencent aujourd'hui dans tous les secteurs, pour culminer les 7 et 8 octobre, par l’appel à une grève générale de 48h lancé par tous les syndicats face à une politique de rigueur d'autant plus insupportable qu'elle est jugée profondément injuste. Mais une condamnation n'aurait fait que jeter un peu plus d'huile sur le feu.


Article publié le 1er novembre 2012 actualisé le 2 novembre à la suite de l'acquittement de Kostas Vaxevanis.


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