Quique Oliver est un enfant volé sous la dictature de Franco. Il vient de retrouver sa vraie famille un demi-siècle après avoir été arraché des bras de sa mère par des religieuses. En Espagne, des milliers de familles veulent savoir la vérité, mais la justice tergiverse toujours au nom de la prescription des crimes franquistes.
Il aura attendu prés d'un demi-siècle pour retrouver sa mère et découvrir qu'il est l'un des nombreux bébés volés en Espagne sous le régime franquiste. Volés à leurs mères républicaines et adoptés par des familles politiquement plus correctes. Un décret de 1940 légalisait ces enlèvements et le placement de nourrissons sous la garde d'institutions, le plus souvent religieuses, si "leur éducation morale" était jugée "en danger".
Quique Oliver, né en 1965 à Barcelone avait ainsi été "kidnappé" par "les sœurs de l'hôpital" de Barcelone. "Elles m'ont arraché des bras de ma mère", explique-t-il à l'aube de la cinquantaine. Il vient de l'apprendre de sa vraie maman.
Il savait avoir été adopté, mais il n'avait jamais pensé être un bébé volé. Quique a ainsi attendu le décès de ses parents adoptifs pour rechercher ses parents biologiques. "J'ai eu une enfance heureuse et j'ai été choyé par mes parents adoptifs", reconnait-il volontiers.
Ils m'ont dit que j'avais été adopté, mais j'ai toujours cru que cela avait été légalement".
Il lui aura fallu deux ans d'enquête pour découvrir le nom de sa mère. Elle habite à Bilbao avec sa sœur. Les tests ADN confirment vite que c'est bien sa famille biologique.
300 000 enfants volés
Son histoire, très médiatisée, a relancé la polémique sur ce crime organisé du régime franquiste et l'espoir pour les familles qui recherchent leurs enfants volés.
Elles me disent que je suis source d'espoir. Mon cas leur a montré le chemin pour continuer à se battre"
affirme Quique.
Près de 300 000 enfants pourraient avoir fait l’objet d’adoptions frauduleuses depuis les années 1940 jusqu'aux années 1990. La justice espagnole commence enfin à entendre les victimes de ce juteux marché.
Le traditionnel silence qui entoure les crimes du franquisme en Espagne ne peut plus étouffer la voix des victimes d’une tragédie qui brise encore des vies trente-cinq ans après la mort de Franco. Depuis des années 2010, les familles réclament, si ce n’est justice, au moins la vérité sur leur passé. Et les médias s’en font désormais écho, dans une Espagne toujours divisée sur les questions de la mémoire historique.
Le trafic d’enfants qui a sévi en Espagne des années 1940 aux années 1990 plonge ses racines dans la dictature franquiste. Après la guerre civile espagnole (1936-1939), ces enfants ont été enlevés à leurs mères républicaines pour être confiés à des institutions publiques ou à des familles proches du régime.
De l’idéologie à l’appât du gain
Mais dès les années 1960 ce sont souvent des motifs purement crapuleux qui ont permis la perpétuation de ces "vols" donnant alors lieu à un véritable trafic. Les enfants étaient enlevés à des femmes vulnérables, mineures ou en situation de précarité sociale, et remis moyennant paiement à une famille adoptive.
Lorsque les mères n’avaient pas "cédé" leur enfant, on leur faisait croire qu’il était mort-né. Pour éviter tout problème, on leur affirmait que l’hôpital se chargerait des formalités administratives et de l’enterrement. Le phénomène a été particulièrement intense entre 1960 et 1980.
Le sociologue Francisco Tena, spécialisé dans ces enlèvements, affirme toutefois avoir découvert des cas jusqu’en 1995, soit vingt ans après la mort de Franco. Il n'est alors vraiment plus question d'enlèvement au nom d'une quelconque idéologie ou morale, mais bien d'argent.
La justice lève timidement le voile
Pour un prix équivalant à un ou plusieurs appartements, des couples en mal d’enfants "réservaient" un bébé qui leur était remis dans un lieu et à une date prévue à l'avance. Des enlèvements crapuleux par des kidnappeurs à leur compte et non plus par des institutions hospitalières ou religieuses, bien que des Bonnes Sœurs et des prêtres, travaillant dans les établissements hospitaliers concernés, aient pris encore part au trafic.
Aujourd’hui, mères et/ou enfants victimes de ce système veulent connaître la vérité, et la justice espagnole commence à les entendre. Ainsi, le parquet de Cadix a, le premier, ouvert en 2010 des enquêtes sur des bébés disparus entre 1960 et 1980.
Environ 1.500 plaintes ont été déposées dans tout le pays.
Y a-t-il prescription? Pour certains, au moins quarante ans après, il est trop tard. Pour d’autres, ce genre de délits, qui impliquent la disparition de personnes, ne se prescrit pas. Si le feu vert du tribunal de Cadix a fait école, d'autres juridictions, comme celle de Huelva, classent systématiquement pour prescription les plaintes.
Ainsi, pour la première fois, une religieuse de 80 ans, soupçonnée du vol d'une fillette en 1982, a récemment comparu devant la justice à Madrid.