"Violation grave des droits fondamentaux" aux Baumettes, à Marseille: le cri d'alarme du contrôleur général des prisons Jean-Marie Delarue rappelle l'urgence de la question pénitentiaire, souvent dénoncée. Une "humiliation pour la République" propre à la France? Comment s'en sortent nos voisins européens?
Le 6 décembre, le contrôleur général des lieux de privation de liberté, Jean-Marie Delarue, condamnait publiquement la "violation grave des droits fondamentaux" au centre pénitentiaire des Baumettes à Marseille. Le lendemain, il en appelait au courage politique: "le Président de la République et son gouvernement doivent annoncer la fermeture immédiate de la maison d'arrêt hommes du centre pénitentiaire".
A la suite de ce constat sans appel, L'Observatoire international des prisons vient de déposer deux référés devant le tribunal administratif pour que soient prises des mesures d'urgence. Le tribunal de Marseille devrait examiner le premier dès aujourd'hui.
Pas de situation pire qu'en France, sauf en Moldavie
Etat matériel très dégradé, violence, sur-occupation, ce bilan alarmant concerne bon nombre de prisons françaises. Il n'est pas nouveau. Tant au niveau national (rapports du sénat, de l'Observatoire International des prisons…), qu'au niveau européen (rapports et observations du Commissaire européen au droits de l'homme, du Comité européen pour la prévention de la torture), les avertissements se succèdent depuis plus de 20 ans: "humiliation pour la République" ; "traitement inhumain et dégradant" ; "endroit répugnant " ; "situation inacceptable"…
En 2005, le commissaire européen Alvaro Gil Roblès avait déjà fait sensation: il n'avait jamais vu "pire" que les prisons françaises, "sauf en Moldavie" !
Cafards dans les frigidaires, douches et WC délabrés, gardiens tapant du pied lors de leurs rondes pour éloigner les rats: les témoignages sont consternants. Mais les chiffres sont tout aussi éloquents. Florilège:
- Sur les 67 225 personnes détenues en France au 1er novembre 2012, 12 689 sont en surnombre. 657 dormiraient à même le sol, selon Pierre-Victor Tournier, chercheur au CNRS, d'après les statistiques de l'administration pénitentiaire.
- La prévalence de la tuberculose est dix fois plus élevée en détention qu’à l’extérieur ; plus de 20 % des détenus seraient atteints de troubles psychotiques (rapport de l'OIP de 2011).
- En France, tous les 3 jours, un(e) détenu(e) se suicide (rapport de l'OIP 2011).
On ne sera pas surpris dès lors que la France soit régulièrement condamnée par la Cour européenne, pour violation de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme qui rappelle que "Nul ne peut être soumis à des traitements dégradants".
Pour autant, la situation des prisonniers ailleurs en Europe n'est pas toujours très enviable. Les statistiques du Conseil de l'Europe permettent quelques comparaisons.
Surpopulation: comme en Espagne et en Italie
La surpopulation française carcérale (131 prisonniers pour 100 places en 2008, le chiffre a aujourd'hui légèrement baissé) est largement supérieure à la moyenne européenne. Mais elle est inférieure à celle de l'Espagne (141%), et avoisine celle de l'Italie (130%). Parmi les bons élèves, l'Allemagne, avec 92 prisonniers pour 100 places, proche de la Norvège ou du Danemark, suivis par le RU, juste à l'équilibre (100 détenus pour 100 places).
Comment expliquer cette surpopulation en France comme en Italie et en Espagne? En partie d'un taux de détention de la population globale élevé (plus de 1 pour mille), bien supérieur à celui des pays scandinaves.
Mais ce facteur n'est pas seul en cause: la faible qualité du parc pénitentiaire (insuffisant et ancien) sont aussi déterminants. A contrario, le Royaume-Uni a construit bon nombre de nouvelles prisons ces dernières années, ce qui lui permet de faire face à un nombre de détenus élevés, malgré un taux de détention très élevé (1,5 pour mille).
A l'inverse, la France dépense moins que ses voisins pour la détention: le budget alloué par l'Etat pour une journée de détention est de 77 € en France contre 112 € en Belgique, 124 € au Royaume-Uni et 149 € en Italie (1): du simple au double!
Suicides en prison: la France, cancre européen
Avec 20 suicides annuels pour 10 000 détenus (INED 2008), la France présente le niveau de suicide en prison le plus élevé de l’Europe des Quinze, loin devant le Danemark (13 pour 10 000), la Grèce ayant le taux le plus bas (4 pour 10 000). Ce taux de suicides en France, a quintuplé depuis les 50 dernières années alors qu'il a peu changé dans la population générale…
"La France est à part sur le continent européen" relève Julien Morel D'Arleux, Directeur adjoint du cabinet Delphine Batho et ex directeur de maison d'arrêt (2). Elle n'a adopté que très tardivement, il y a trois ans, une loi pénitentiaire générale, quand nos voisins l'ont fait dès les années 1970 (1975 pour l'Italie, 1977 pour l'Allemagne…).
Ce nouvel encadrement législatif a permis des avancées: les fouilles corporelles internes, désormais strictement encadrées, n’ont plus cours ; un assesseur extérieur est présent au sein des commissions de discipline.
Mais sa mise en place reste très "insatisfaisante" souligne Julien Morel D'Arleux comme le confirme Jean-Marie Delarue concernant la prison de Marseille.
La commission sénatoriale pour le contrôle de l'application des lois met en cause, dans son rapport 2012, de nombreuses défaillances. Entre autres, les retards des premiers décrets d'application de la loi, dont certains restent encore à prendre.
Mais aussi l’augmentation récente du nombre des personnes détenues (plus de 67000 aujourd'hui contre quelque 61 000 en 2010), liée à une politique pénale tendant à multiplier toutes les peines d’emprisonnement ferme.
La prison n'est pas la seule solution
Les règles européennes (RPE, règles pénitentiaires européennes et REP, règles européennes relatives à la probation, sans le recours à l'emprisonnement, par des travaux d'intérêt général par exemple), adoptées en 2006 puis 2010, dessinent un avenir meilleur: elles offrent une vision européenne des institutions pénitentiaires associant milieu fermé et milieu ouvert. "La France doit pleinement y adhérer" conclut Julien Morel D'Arleux.
La garde des Sceaux Christiane Taubira semble aller dans ce sens. Ses leviers pour vider les prisons: limiter le recours aux peines planchers, diminuer les comparutions immédiates. Sa priorité: l’aménagement des peines. La loi annoncée à l’horizon 2013 prévoit par ailleurs un système de "probation". Cela ne dispensera par l'Etat de dépenser plus pour financer les prisons. Or en ces temps d'austérité, il ne faut pas s'attendre à des largesses budgétaires.
(1) Selon une enquête réalisée par IDHR pour le ministère de la justice, fév. 2008).
(2) D'Arleux Julien Morel, "Les prisons françaises et européennes : différentes ou semblables?", Pouvoirs, 2010/4 n° 135, p. 159-170. DOI : 10.3917/pouv.135.0159