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Pourquoi les Femen ont fait de la provoc à Notre-Dame

mercredi, 13 février, 2013 - 17:08

En manifestant dans Notre-Dame de Paris pour fêter la démission du pape Benoît XVI et l'adoption du projet de loi sur le mariage pour tous, les Femen ont été sévèrement critiquées par l'establishment politique. Rencontrées dans leur "centre d'entrainement " européen à Paris, les militantes aux seins nus expliquent leur combat pour un "nouveau féminisme". 

Les Femen ont-elles franchi la ligne rouge en manifestant comme il se doit pour elles, les seins nus dans la cathédrale Notre-Dame? Manuel Valls, le ministre de l'Intérieur, se déclare consterné par "une provocation inutile" et "ce geste grossier". Le maire PS de Paris, Bertrand Delanoë n'est pas en reste. Il a fait part de sa "tristesse"et "réprouve un acte qui caricature le beau combat pour l'égalité femmes-hommes et choque inutilement de nombreux croyants".

"Bye bye Benoît!"

Les Femen savent, il vrai, faire parler d'elles. En criant dans la nef de la cathédrale "Pope no more" et en tapant avec des baguettesde tambour sur les nouvelles cloches déposées provisoirement dans la nef , elles étaient certaines d'être au 20h. Elles avaient prévenu les chaînes de télé et les photographes pour qui ce sont du pain d'autant plus médiatiquement béni que la scène se déroulait dans ce lieu saint.  Pour compléter la scène, sur leur torse nu et leurs dos était tagué "No homophobe", "Crise de la foi", "Bye bye Benoît!".


Les femens à Notre dame à Paris
par equinoxe16

Expulsées de la cathédrale, elles sont restées sur le parvis, scandant  devant des touristes ébahis "In gay we trust", ou "Dégage homophobe!", avant d'être embarquées par la police pour vérification d'identité. Un happening qui fait suite à celui organisé récemment sur la place Saint-Pierre à Rome lors de la prière de l'Angelus par Benoît XVI.

On ne présente donc plus les Femen. Leur recette activiste a fait ses peuves. D'abord ukrainien à sa création en 2008, le jeune mouvement féministe a rapidement essaimé en Europe et au-delà: Suisse, Italie, Angleterre, Brésil, Tunisie… Il a désormais une dizaine de sections nationales et n'entend pas en rester là.

Nous les avions rencontrés en novembre dernier dans leur nouveau "centre d'entrainement " dans le 18 ème arrondissement de Paris. L'objectif de cette base arrière créé à l'initiative de militantes ukrainienne: former une "légion française contre le patriarcat" regroupant des Femen de tous les pays d'Europe. 

Chaque samedi, le "Lavoir Moderne" se transforme ainsi en camp retranché Femen. Ce théâtre à la survie fragile du quartier de la Goutte d'or (18ème) accueille gracieusement l'antenne française du mouvement.  Là, des militantes ukrainiennes (Inna Shevchenko, Sacha Chevtchenko et Oksana Chatchko, avec la bénédiction de Anna Hutsol, fondatrice et tête pensante du mouvement) ont été rejointes par des Françaises.

Contre la religion et l'industrie du sexe

Quinze à vingt femmes participent chaque semaine aux entrainements. Comment porter la voix pour se faire entendre, comment résister, comment agir en groupe : les exercices sont sportifs, psychologiques, théoriques.
Avant chaque action, comme celle menée le 15 octobre contre le verdict dans l'affaire des viols collectifs à Clichy sous-bois, un travail spécifique est mené.

Se réapproprier son corps, en faire une arme contre le patriarcat: voilà le principe d'action de ces militantes qui descendent dans la rue, dénudées, pour faire entendre leur cause. Si leur combat est global ("Les femens sont humanistes" rappelle Inna), leur lutte porte sur trois axes forts: la religion (pour ses valeurs misogynes), l'industrie du sexe et la dictature.

"Nous avions ce rêve de créer un centre ici, à Paris" dit Inna Shevchenko.

Fin août, j'ai du fuir mon pays, l'Ukraine, où je suis menacée de prison (suite à une action de soutien aux Pussy Riot), et cela a précipité ce projet. Nous avons reçu ici de nombreux appuis, dont celui du Lavoir Moderne."

Mais si la jeune femme rend hommage à la France, "pays européen le plus féministe" et à son militantisme des années 60 et 70, elle juge que le "combat traditionnel est en sommeil."

Si des acquis sont là, le combat n'est pas gagné pour autant! Nous, Ukrainiennes, n'avons pas tous ces acquis. C'est peut-être de là que nous vient notre agressivité."

Une agressivité qui paye. Car si le féminisme made in France est bien là, représenté, au côté des rassemblements historiques tels que le Mouvement de libération des femmes (MLF), par de nombreuses associations récentes ("Ni putes ni soumises" depuis 2003, "La Barbe" depuis 2008, "Osez le féminisme" depuis 2009…), il pêche aujourd'hui à se faire connaître et à convaincre, surtout chez les plus jeunes.

"C'est du pop-féminisme!"

Marguerite, militante de 22 ans, étudiante en arts plastiques, a rejoint les Femen depuis un mois. Ras le bol des discriminations et volonté d'être dans l'action.

Pourquoi les femmes sont-elles sous-représentées dans tous les lieux de pouvoir, pourquoi n'a t-on jamais élu une présidente de la République? On ne parle pas assez de la question du sexisme. Pourtant le problème est bien réel : les statistiques de l'INSEE sont édifiantes !"

La jeune femme a découvert l'action des Femen grâce à leur médiatisation. Avant cela, confie t-elle, elle n'avait pas entendu parler d'associations féministes telles que La Barbe ou Osez le féminisme.

"Pourquoi les Femen plutôt que d'autres organisations féministes, pourquoi ne vous êtes vous pas engagées plus tôt?"s'est étonnée Inna auprès des nouvelles militantes. La plupart se sont dites séduites par la jeunesse du mouvement, la modernité de son action.

Avec les Femen, le féminisme redevient populaire auprès des jeunes…c'est du pop-féminisme! "

s'enthousiasme la jeune Ukrainienne.

Du succès et de la justesse de sa méthode activiste, elle ne semble pas douter, et l'écho médiatique des actions menées est loin de la contredire.

La guerre contre le patriarcat que nous menons passe par une guerre de l'information: nos actions sont chocs et provocs, parce que nous voulons être entendues et nous savons ce qui attire les medias!"

Il peut sembler paradoxal qu'aujourd'hui, en France, l'une des formes les plus médiatisées du féminisme vienne d'un ex-Etat soviétique, où la tradition féministe est quasi inexistante. Peut-être, la confrontation aux discriminations criantes ravive-t-elle la nécessité et l'urgence du combat ?

"En Europe, les femmes sont oppressées du Moyen-Orient à l'Europe occidentale" rappelle Inna.

En France, le sexisme est moins évident qu'en Ukraine, mais il est surtout plus dissimulé. La lutte concerne le monde entier."

De fait, les Femen souhaitent poursuivre la construction à l'international de leur mouvement.

Nous n'imaginions pas cela au début, mais cette expansion s'est faite d'elle-même: des femmes de tous pays nous ont contactées, souhaitant rejoindre les Femen et agir dans leur pays."

Après le centre d'entrainement créé à Paris qui se veut le "centre d'Europe", le mouvement ambitionne de créer d'autres camps en Amérique latine et aux Etats-Unis. Et de diffuser sa méthode d'action.

D'aucuns reprochent à celle-ci de participer à consolider, par la mise à nue, les principes sexistes que les Femen entendent dénoncer? Inna Shevchenko, le regard droit, balaye l'argument avec assurance:

Combien de temps faudra t-il à la société pour comprendre que le corps de la femme ne fait pas référence qu'au sexe, à l'argent, au plaisir? Aujourd'hui, enfin, le corps des femmes revient à ses légitimes propriétaires: il permet à chacune de lutter pour soi-même." 


Crédit photos: Antoine Prévost (Entrainement des Femen au Lavoir Moderne)


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