Les Suisses se sont prononcés à une écrasante majorité pour le contrôle de la rémunération des dirigeants d'entreprise par les actionnaires. Jean-Marc Ayrault souhaite "s' inspirer" de "cette expérience démocratique". Ce système de say on pay existe dans plusieurs pays d'Europe mais peu en font une règle contraignante.
La "moralisation du capitalisme" surgit là où on l'attend le moins. Imposé de manière consultative aux Etats-Unis en 2011, le "say on pay" (littéralement "le droit de regard sur les rémunérations") concernant les dirigeants d'entreprise fera bientôt l'objet d'une loi contraignante en Suisse. Ainsi en ont décidé hier par referendum 67,9%, des citoyens helevétiques qui étaient appelés à se prononcer sur un contrôle par l'assemblée générale des actionnaires des rémunérations et autres avantages financiers accordés aux dirigeants d'entreprise.
Ce résultat sans appel est en partie dû au scandale déclenché le mois dernier par le parachute doré de 72 millions de francs suisses (près de 60 millions d'euros) que Daniel Vasella, patron du groupe Novartis, était censé toucher mais auquel il a finalement renoncé. L'originalité du dispositif qui devrait devenir, dans les prochains mois, une législation confédérale, tient au caractère contraignant des votes concernant l'approbation annuelle par l'ensemble des actionnaires des sommes allouées au conseil d'administration et à la direction.
Il s'agit en outre d'interdire primes d'entrée ou indemnités de départ, les fameux "parachutes dorés".
La France cherche l'inspiration
En France, le Premier ministre Jean-Marc Ayrault a salué lundi une "excellente expérience démocratique" et pense personnellement "qu'il faut s'en inspirer". Car la France n'a pour l'instant guère de disposif légal concernant l'encadrement des salaires des patrons, si ce n'est le plafonnement à 450.000 euros bruts annuels des rémunérations des dirigeants d'entreprises publiques.
Actuellement, dans le secteur privé français, les seules obligations faites aux actionnaires sont la validation des indemnités de départ, des retraites chapeau et des stock options. Mais la rémunération des dirigeants relève de la seule compétence du conseil d'administration (ou du conseil de surveillance).
L'idée, dans le cadre de la loi en préparation sur la gouvernance des entreprises, serait d'accorder à l'assemblée générale des actionnaires un droit d'approbation sur l'ensemble des salaires des administrateurs. Jusqu'à ce jour, le caractère contraignant de ce vote est loin d'être acquis. Pas plus que la possibilité de plafonner les rémunérations.
L'Allemagne veut sévir
Un certains nombre de pays européens ont déjà donné le droit aux assemblées générales d'actionnaires d'approuver le salaire des dirigeants. Mais le plus souvent, ce vote est consultatif et non contraignant, le conseil d'administration pouvant passer outre.
C'est le cas en Allemagne où, depuis 2009, les actionnaires peuvent demander, si la situation l'exige, des coupes dans les salaires du patron ou encore faire référence au niveau "habituel" de rémunération dans le secteur.
Outre Rhin cependant, une commission de la gouvernance d'entreprise est en train de plancher sur un nouveau texte qui doit être présenté le 24 mai prochain. Un texte qui enjoindrait les actionnaires à fixer un plafond de rémunération et qui donnerait à l'assemblée générale un pouvoir contraignant.
Les actionnaires tolèrent beaucoup
Au Royaume-Uni, le vote des actionnaires sur la rémunération est également non contraignant. Mais, là aussi, dès octobre prochain, il devrait le devenir sur la politique de rémunération triennale des dirigeants. En 2012, les revenus annuels de l'ancien directeur général de la Barclays Bank Bob Diamond (autour de 20 millions de livres) avaient suscité beaucoup d'émoi bien que les actionnaires aient approuvé à 68% ces rémunérations. En moyenne, dans 91% des cas, les actionnaires approuvent la rétribution des dirigeants.
Ce qui fait dire à beaucoup d'experts qu'il n'y a guère de différence entre vote contraignant et non contraignant.
Ainsi, aux Pays-Bas où la décision des assemblées générales s'impose, on constate que beaucoup de directions d'entreprises modifient ou retirent leurs propositions financières avant même le vote, lorsqu'elles ont de bonnes raisons de penser que le résultat du scrutin sera négatif ou même insuffisamment positif. Cela n'a toutefois pas empêché, en 2008, le géant Philips de voir rejeté son plan d'incitations à long terme.
En Belgique, non seulement le vote est contraignant mais des dispositifs légaux s'imposent directement aux directions d'entreprises, comme la limitation à douze mois des indemnités de départ ou l'encadrement des rémunérations variables.
En Norvège, le salaire des dirigeants fait l'objet d'un examen particulièrement détaillé.
Au niveau de l'Union européenne enfin, une législation est en préparation. Michel Barnier, le Commissaire européen au marché intérieur et aux services, se dit lui aussi partisan d'un système contraignant en matière de vote des actionnaires. Mais le véritable enjeu concerne la rémunération des banquiers: On ne pourra plus verser aux banquiers des bonus supérieurs à leurs salaires, sauf si les deux tiers des actionnaires acceptent que ces bonus atteignent jusqu'à deux fois le salaire fixe.
Le Royaume-Uni fait encore de la résistance en soulignant que le risque est d'entrainer une augmentation de la rémunération fixe. Mais Londres n'a pas les moyens de s'opposer au texte, le reste de l'Europe étant pour une fois uni sur le sujet. Donc, incontestablement, les choses bougent.