Emportée par la tourmente grecque, les banques chypriotes ont ruiné l'économie de leur pays. Chypre fait naufrage et place tous ses espoirs dans un plan d'aide européen. Mais l'UE impose ses conditions. Un audit sur le blanchiment des capitaux, souvent d'origine russe, investis dans l'île et une privatisation des fleurons de l'économie. La réunification de l'île passe, elle, au second plan.
Aux présidentielles de dimanche dernier, le candidat conservateur, Nikos Anastasiadis du DISY (Rassemblement Démocratique) l’a largement emporté avec 54,48% des suffrages, contre le communiste de l’AKEL (Parti Progressiste du Peuple Travailleur) Stavros Malas, avec seulement 42,52% des voix.
Le candidat battu, le communiste Stavros Malas, s'était présenté car Dimitri Christofias, le président sortant, lui aussi communiste, avait renoncé à se représenter, s'estimant incapable de résoudre la grave crise économique qui secoue le pays.
Depuis 1974 et l’occupation des 36% du nord de l’île par l’armée turque, toutes les élections étaient centrées sur "la question chypriote", c’est-à-dire, les moyens de réunifier l’île dans l’esprit des multiples résolutions des Nations unies et de l’UE, jamais appliquées. Depuis 2003, la frontière n’est plus hermétiquement fermée.
Il existe désormais six points de passage officiels, mais il demeure toujours deux entités: la République de Chypre, indépendante depuis 1960, la seule reconnue au plan international et l’autoproclamée en 1983 "République turque du nord de Chypre", reconnue uniquement par Ankara qui paie les deux-tiers du budget de la RTNC.
Pas de plan B
Mais cette fois, c’est la situation économique qui a dominé la campagne électorale. Depuis trois ans, l’île d’Aphrodite est confrontée à une crise économique et sociale sans précédent. L’économie de Chypre était pourtant jusqu'alors florissante avec un PIB per capita supérieur à la Grèce, au Portugal et à l’Espagne et équivalent à celui de l’Italie avec une croissance annuelle de 3-4% et un taux de chômage de moins de 5%.
Ce miracle économique a pris fin quand les banques chypriotes qui avaient pris trop de positions dans les banques grecques, se sont effondrées.
En 2011, le taux de chômage a atteint les 7%, une première depuis trente ans. En décembre 2012, Nicosie a tiré la sonnette d’alarme. Le gouvernement de l’ancien président Christofias a annoncé qu’il serait dans l’incapacité d’honorer les remboursements de prêts si un accord sur un plan de sauvetage n’est pas obtenu rapidement. Un haut fonctionnaire du ministère des finances, Christos Patsalides, déclarait alors:
Si dans les jours à venir l’Etat ne peut obtenir 250 à 300 millions d’euros, l’Etat cessera d’honorer des paiements".
Chypre n’a pas de plan B : en cas d’échec des négociations avec la troïka (UE, BCE, FMI), c'est la faillite. Etranglé, l’ancien gouvernement avait finalement puisé dans les fonds de pension et de prévoyance d’organismes semi-publics, pour régler ses créanciers.
Les salariés des télécoms d’Etat ont manifesté contre des telles décisions, craignant que les fonds prêtés à l’Etat ne soient jamais rendus. Mais aujourd'hui, Chypre a de nouveau besoin de trouver d'urgence 420 millions d’euros, or des banques privées ont accepté de lui consentir un nouveau prêt de seulement 170 millions.
Les Russes doivent payer
A plus long terme, l’Etat chypriote a besoin, au total, de 17,5 milliards d’euros pour faire face à ses engagements et son endettement est de 140% de son PIB.
Tous les espoirs de Nicosie se tournent désormais vers Bruxelles. Hier, les ministres des Finances de l'Union européenne ont a affirmé à l'issue d'une réunion de l'Eurogroupe qu'ils espéraient "aboutir à un accord politique dans la seconde quinzaine de mars" pour mettre en œuvre un plan de sauvetage de l'économie chypriote.
Mais ils posent leurs conditions. Les ministres des Finances de la zone euro ont obtenu la réalisation d’un audit anti-blanchiment. Une enquête qui devrait faire des vagues dans un pays peu regardant sur l'origine des capitaux, souvent russes, investis par le biais les milliers de compagnies "off shore" dont bon nombre ne sont que des boites aux lettres.
Le nouveau Président très réticent, a finalement été contraint d'accepter que les inspecteurs de l'UE passent au peigne fin les comptes et l'origine des capitaux de ces sociétés.
Mais ce n'est pas la seule demande de Bruxelles. L'Union européenne exige la privatisation des trois compagnies nationales, d'eau, d'électricité, et télécoms. Mais cela ne rapporterait que 1,5 milliard d’euros.
Les ministres des Finances restent cependant divisés sur les modalités de l'aide. L’Allemagne, les Pays-Bas et la Finlande souhaitent que déposants et les investisseurs étrangers dans les banques chypriotes assument des pertes.
Les autorités chypriotes s'y refusent, redoutant un retrait massif des dépôts.
L'Allemagne insiste par ailleurs pour que le FMI contribue de manière notable au plan d’aide. Mais le Fonds monétaire international veut des garanties sur la "soutenabilité" du remboursement du plan de sauvetage par Nicosie.
L’austérité et la rigueur devraient néanmoins être moins sévères pour la population chypriote qu’en Grèce et en Espagne. En effet, les bases de l’économie de l’île sont toujours relativement saines : secteur tertiaire de qualité, tourisme, shipping.
Une réunification trop chère
Par ailleurs, si la campagne électorale s’est focalisée sur la crise économique et non sur la "question chypriote", cette crise économique pourrait avoir des répercussions sur une éventuelle réunification.
Le 24 février dernier, Angela Merkel s’est rendue en Turquie où elle a rencontré le Premier ministre turc, R.T. Erdogan. Ce dernier lui a fait part de sa volonté de régler le problème chypriote. En effet, cette question est sine qua non pour tout rapprochement d’Ankara avec l’UE. D’autant que la Turquie est aujourd’hui en pointe dans l’aide à l’opposition syrienne avec le soutien de Bruxelles et de Washington.
Bruxelles pourrait faire pression sur Nicosie: aide financière contre rapprochement avec la RTNC et réunification. Mais l'influence de l'UE sur ce dossier est relativement limitée car il dépend essentiellement de l’ONU.
De 2002 à 2004, l’ancien Secrétaire général des Nations Unies, Kofi Annan, avait proposé un plan de réunification largement en faveur des Chypriotes turcs. Soumis à référendum dans les deux parties de l’île le 24 avril 2004. Les Chypriotes grecs ont rejeté le "Plan Annan" à 76% et accepté par les Chypriotes turcs à 65%.
Et depuis 2010, la position de la partie turque de l'île s'est considérablement durcie. Le nouveau président de la République turque de Chypre nord, Dervis Eroglu, peu favorable à la réunification, préférant l’intégration de sa région à la Turquie. Il a été le Premier ministre de Rauf Denktash, premier dirigeant de la république autoproclamée. C’est ce même Denktash (1924-2012) qui a été le père de l’irrédentisme des Chypriotes turcs en liaison étroite avec l’armée turque depuis 1963. Président de la partie nord de l'île de 1976 à 2005, il a toujours exclu toute réunification.
Autre facteur qui peut empêcher Bruxelles de faire un chantage sur Nicosie : le PIB du nord est trois à quatre fois inférieur à celui du sud. Une réunification couterait extrêmement chère à Nicosie et plongerait l’ensemble l’île dans une récession de très longue durée.
Et les Allemands sont bien placés pour savoir quel est le coût d'une réunification.