Une simple invitation à une fête d'anniversaire sur Facebook a déclenché de violentes émeutes de jeunes des Pays-Bas. Aujourd'hui, une commission d'enquête reproche au réseau social d'être le seul responsable de cet événement devenu le "Projet X". Mais, Facebook est-il réellement le responsable de ce "clash des générations" ?
Tout a commencé par une banale invitation sur Facebook en septembre dernier. Merthe, une jeune Néerlandaise de Haren, dans le nord des Pays-Bas, s'apprête à fêter ses 16 ans. Comme la plupart des jeunes de son âge, elle crée un événement sur Facebook. Mais, elle oublie de cocher la case "privé" de son événement. Et ce qu'elle n'a pas prévu – ce que personne n'a vu venir – c'est que des petits plaisantins allaient s'emparer de sa fête et la transformer en une méga-teuf : la Fête "Projet X" !. Le nom est repris du film du même nom avec un scénario comparable: trois adolescents organisent une soirée dont ils perdent le contrôle.
Dans les jours qui suivent, l'information va s'emballer et devenir virale. Merthe a beau démentir, rien n'y fait : le message semble animé d'une vie propre et continue à se répandre. Les autorités ne savent rien de la fête : aucune autorisation n'a été demandée pour ce qui devait être une banale party entre amis !
C'est le fils de Rob Bats, le maire local, qui avertit son père de l'imminence d'un événement majeur dans la paisible rue de la gare… Le maire n'y prête qu'une attention distraite.
De Haren à la Nouvelle-Zélande
Pendant ce temps, le message continue à circuler. Le 7 septembre 2012, ce sont des milliers d'invitations qui s'échangent déjà pour le "Projet X". Devant l'ampleur des réactions, le jeune homme à l'origine du groupe Facebook qui a multiplié les faux messages prend peur. Il passe le relais à un certain Jesse Hobson, résident en Nouvelle-Zélande. A ce jour, personne n'a pu établir l'identité réelle de ce personnage qui se fait aussi appeler "Ibe Der Führer"…
Avec lui, l'affaire va prendre une nouvelle dimension. La police estime que la fausse page a généré au total plus de 50.000 messages sur Facebook et 500.000 sur Twitter.
La police et la mairie s'inquiètent des proportions que prend le canular et entreprennent de démentir: via les réseaux sociaux et la radio, les autorités vont répéter inlassablement : "il n'y a pas de fête à Haren". En vain. A la veille de l'événement, ils sont 25.000 à s'être inscrits comme participants !
Une invasion que rien ne peut contrer
Et le 21 septembre, jour de la fête, ce sont plusieurs milliers de jeunes qui se donnent rendez-vous à Haren. La plupart d'entre eux vient de Groningen, la grande ville septentrionale dont Haren est une banlieue proche. Et nombre d'entre eux sont déjà ivres-morts lorsqu'ils envahissent la rue de la station. La fête dégénère très rapidement en émeute, que la police locale ne pourra maîtriser.
Le maire a trop traîné pour demander de l'aide à son collègue de Groningen. Les policiers sont trop peu nombreux, leurs communications sont rapidement saturées par le nombre d'appels des habitants qui paniquent. C'est le chaos. Plus personne ne maîtrise la situation.
En quelques heures, le chaos total
En quelques heures, les secours comptent 25 blessés légers et deux personnes grièvement blessées qui seront emmenées d'urgence à l'hôpital. Les dégâts matériels sont énormes : des habitations endommagées, des voitures brûlées, des tonnes de débris et de projectiles jonchent le sol des environs. Mais surtout, les habitants sont en état de choc. La police bloquera l'accès au quartier pendant deux jours, le temps de tout nettoyer et de s'assurer que les troubles ne redémarrent pas.
Dans les heures qui suivent le début des émeutes, 25 jeunes sont arrêtés. Les autres seront repérés sur les images des caméras de surveillance – omniprésentes aux Pays-Bas – et 855 d'entre eux feront l'objet d'une enquête [Lire notre article "Caméras et listes noires : Robocop à l'assaut des libertés"] .
Jugement sans appel
Aujourd'hui, une commission d'enquête dirigée par Job Cohen, l'ancien homme fort du parti travailliste, vient de rendre un avis sans appel: c'est la faute à Facebook! Et à la culture de la fête des jeunes des Pays-Bas !
C'est le réseau social qui a amplifié, distordu et répandu le message, impliquant au passage un faux compte en Nouvelle-Zélande, etc. Les messages de dénégation de la mairie et de la police ont été impuissants à endiguer le tsunami des jeunes qui voulaient "en être".
La commission félicite les policiers pour leur comportement ce jour-là. Mais elle regrette que le maire ait trop tardé à appeler les secours. Qu'il ait mal anticipé l'ampleur du mouvement.
L'alcool a également joué un grand rôle lors des troubles. La plupart des jeunes qui ont participé à ces émeutes étaient ivres avant même d'arriver sur la place. Ce qui renvoie aussi à un problème général aux Pays-Bas : celui de l'alcoolisme croissant chez les jeunes. Et à la responsabilité des parents.
Job Cohen propose de créer au sein de la police un département spécial pour la surveillance des réseaux sociaux. Un département chargé de décoder les messages et d'anticiper ce type de dérapage viral incontrôlé et d'alerter les services de police locaux afin qu'ils ne soient plus pris au dépourvu comme à Haren.
Deux mondes s'affrontent sans se comprendre
Mais peut-on réellement condamner un réseau social ? Il a été l'outil qui a amplifié le canular au point de le transformer en émeute. Celui qui a attisé la curiosité de milliers de jeunes et les a attirés dans un quartier que rien ne préparait à une telle réception !
Pour autant, le réseau social est-il "responsable" de cette situation ?
Job Cohen a prononcé une phrase très significative à propos de cet événement :
C'est comme si deux mondes s'affrontaient."
Oui, le monde des "jeunes", avec leurs codes, leurs désirs, leur besoin de se rassembler pour faire la fête. Leurs moyens de communication qui fonctionnent à la vitesse de la lumière, qui traversent les frontières et les continents. Et permettent des rassemblements gigantesques en un rien de temps.
Et le monde des "vieux" avec ses règles, ses lois, ses sanctions. Avec ses exigences d'ordre et sa hiérarchie qui ralentit sa capacité à réagir devant l'imprévisible. Avec ses habitants d'un quartier paisible qui ne comprennent toujours pas ce qui leur est arrivé.
La connexion entre les deux ne passe pas par Facebook, visiblement…