L'annonce d'un prélèvement sur les dépôts bancaires à Chypre a fait souffler un vent de panique en Europe. Pour les Chypriotes cette décision est un "hold-up" inacceptable. Les ministres des finances de la zone euro ont finalement fait marche arrière en acceptant la suppression de ce prélévement pour les petits épargnants.
Chypre, l’île bénite de la Méditerranée à qui tout semblait sourire après le drame de sa division après l’invasion de l’armée turque au Nord en réaction au coup d’Etat des Colonels grecs.
Chypre qui pouvait hier encore se prévaloir d’être une exception avec un PIB mirobolant pour la région, avec un chômage quasi-inexistant, une entrée en fanfare dans la zone euro en 2008, une présidence européenne réussie il y a à peine 6 mois.
Chypre qui est aujourd'hui au bord de la banqueroute…
Personne n’a rien vu venir. On aurait cependant dû avoir la puce à l’oreille quand le président sortant Dimitri Christofias – communiste, encore une exception en Europe! – a pleuré durant son discours en annonçant qu’il ne se représentait pas et en prononçant une phrase que personne n’a entendu ou voulu entendre :
Je ne veux pas être celui qui va demander des sacrifices au peuple chypriote".
Son successeur conservateur, Nikos Anastassiades, élu au 2° tour le mois passé, avait promis, lui, que rien ne serait fait au détriment de la population. Mais depuis, il a eu ce sommet européen, le week-end dernier, pendant les vacances d'hiver, avec l’annonce ex abrupto d’une taxation sur les dépôts bancaires. Avec, dans un premier temps, un taux de 6,75 % pour les dépôts de moins de 100 000 euros et 9,9% pour les montants supérieurs.
Face à l'indignation générale, l’ajustement serait finalement modulé et le prélèvement réduit pour les petits épargnants avec une ponction de 3% pour les montants de moins de 100 000 euros, 9,9 % pour ceux de 100 000 à 500 000 euros et 12% au-delà.
Avec la banque centrale, nous discutons d'une reconfiguration des taux d'imposition pour rapprocher de zéro ceux des comptes en dessous de 100 000 euros"
en augmentant parallèlement le taux sur les plus grosses fortunes, a précisé le ministre des Finances chypriote, Michalis Sarris.
"Mesure dictatoriale" et "viol moral"
Le président chypriote a affirmé être "directement opposé à certaines dispositions", et promis de "continuer de se battre pour limiter l'impact sur les petits déposants."
La Commission européenne et la BCE ne sont, quant à elles, pas opposées à des aménagements de la décision prise lors du sommet européen. Pour les instances européennes, seul le montant de la contribution des banques chypriotes en contrepartie d'un plan de sauvetage du pays compte vraiment. Chypre doit apporter les six milliards d'euros promis pour bénéficier de 10 milliards d'aides européennes.
Pierre Moscovici, le ministre français de l'économie, est sur la même longueur d'onde:
Si Chypre choisissait, tout en respectant l'enveloppe globale de sa contribution au plan, une répartition différente pour mieux protéger les petits dépôts, il faut l'écouter et à mon sens l'entendre".
Paniqué par une généralisation de la rigueur fatale pour la croissance en Europe, les dirigeants européens ont préféré opter cette fois pour ce prélèvement direct sur l'épargne. Mieux vaut, se sont-ils dit, cette ponction que la mise en place d’une politique engendrant des coupes sur les salaires et les retraites, des nouvelles taxations et, au final, la récession comme, notamment, en Grèce.
C'était oublier qu'une telle mesure est perçue comme foncièrement injuste et totalement arbitraire, sans aucun semblant démocratique. Les Chypriotes n’ont pas tardé à la qualifier de "mesure dictatoriale", "hold-up" ou même de "viol moral".
Capitaux d'origine incontrôlée
Avec un taux de prélèvement sur l'épargne plus progressif, la mesure serait néanmoins plus acceptable pour les petits épargnants. A l'inverse, les investisseurs étrangers qui profitaient du paradis fiscal chypriote, notamment à travers des sociétés off shore servant de boites aux lettres pour recycler des capitaux, vont prendre la poudre d'escampette, pour se réfugier sous des cieux plus cléments.
Or l'agence Moody's évalue à 19 milliards de dollars les seuls avoirs de sociétés russes placés à Chypre, auxquels s'ajoutent 12 milliards de dollars d'avoirs de banques russes dans des banques chypriotes. Cette fuite des capitaux va encore fragiliser une économie fortement dépendante de cet afflux de capitaux.
Tout le monde sait, et l’UE la première, que Chypre est depuis des décennies un refuge pour l'argent d'origine incontrôlée, et ceci bien avant la chute du mur (celui de Berlin pas celui de Nicosie). Déjà pendant la guerre civile au Liban, sa position à la porte du Proche-Orient en avait fait la base arrière pour les riches négociants libanais. Et bon nombre sont restés, estimant l'île plus sûre que leur pays toujours politiquement instable.
Puis les oligarques russes sont venus. On peut vivre totalement à la russe à Chypre. Les Russes sont présents partout. Larnaka et Limassol sont devenues des villes gréco-russes. Les magasins de fourrure côtoient les "Gastronom", on s'exprime en russe dans les épiceries slaves, les écoles, à la radio et à la télévision. On ne compte plus les journaux en cyrillique.
La réaction de la Russie a donc été immédiate.
"Poutine a dit que cette décision, si elle est adoptée, sera injuste, non professionnelle et dangereuse"
a expliqué le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov. C'est "une confiscation de fonds étrangers", a ajouté le chef du gouvernement, Dimitri Medvedev.
Finalement, devant les réactions simultanées, bien que pour des raisons différentes, des Chypriotes, des marchés et de la Russie, les ministres des Finances de la zone euro se sont concertés lundi soir pour revoir leur copie. La réunion du parlement chypriote qui devait se prononcer lundi sur ce plan a été reportée à aujourd'hui, mardi. Quant aux banques, elles resteront fermées jusqu’à nouvel ordre.
Les autorités chypriotes vont introduire plus de progressivité en ce qui concerne la taxe exceptionnelle sur les dépôts bancaires par rapport à ce qui a été décidé le 16 mars, à condition que cela ne modifie pas le montant total de l'aide financière des Européens et du FMI"
a indiqué l'Eurogroupe à l'issue de sa conférence téléphonique de lundi soir dans un communiqué.
Ces différents marchandages politico-financiers sont un cuisant désaveu des décisions prises par les chefs d'Etat et de gouvernement européens et un discrédit de plus pour l'Union européenne.
Article actualisé le 19 mars à 12h52 avec les décisions de l'Eurogroupe