La prostitution ne fait plus fantasmer aux Pays-Bas. Après la libéralisation totale au début du siècle, le gouvernement tente de contrôler les travailleurs et travailleuses du sexe à Amsterdam. Un secteur d’activité victime de son succès. La pénalisation du client est envisagée.
Depuis 2000, la prostitution est une industrie légale aux Pays-Bas, avec ses patrons nommés pudiquement “exploitants d’entreprise de relaxation”, d’ailleurs rassemblés dans une association professionnelle. Avec ses indépendant(e)s ou salarié(e)s payant des taxes et des contributions sociales. Les 25.000 à 30.000 personnes de cette "industrie" engendrent un chiffre d’affaire d’environ un milliard d’euros.
Mais aujourd’hui cette légalisation est remise en cause. La municipalité d'Amsterdam a tenté de remettre de l'ordre dans le "district rouge" pour tenter de limiter le nombre croissant de prostitué(e)s et on parle à présent d'adopter un autre "modèle" celui de la suède, autrement dit à pénaliser, comme dans ce pays, le client !
Lodewijk Asscher, l'actuel ministre des affaires sociales, défend cette idée. Il n'en est pas à son coup d'essai, puisque c'est lui qui est à l'initiative du rachat par la ville d'Amsterdam de la plupart des vitrines où s'exhibaient les prostituées.
La vente de ses vitrines à la municipalité aurait rapporté à Dikke Charles – Gros Charles – la modique somme de 25 millions d'euros. Charles Geerts, également surnommé le roi des Wallen, le quartier chaud d'Amsterdam, coule à présent des jours heureux entre sa villa néerlandaise et l'Afrique où il joue les mécènes entre deux parties de pêche.
Pour Lodewijk Asscher la pénalisation du client est la seule solution pour enrayer la prostitution. Une politique qui lui est inspirée, entre autres, par Patricia Perquin, une conseillère très spéciale, ancienne prostituée des Wallen. Elle s'apprête notamment à publier son deuxième livre sur les victimes des "lover boys", ces jeunes garçons d'origine étrangère qui poussent leurs petites amies à la prostitution.
Mais patatras ! Patricia Perquin s'appelle en réalité Valérie Lempereur, une journaliste anversoise, propriétaire d'une modeste imprimerie à l'époque où elle prétend avoir exercé le plus vieux métier du monde à Amsterdam.
Bref, ce qui caractérise l'actuelle politique du gouvernement néerlandais en matière de prostitution, c'est un mélange d'amateurisme et de bonnes intentions qui augure mal de l'avenir de la profession. Une profession aujourd'hui en colère : les prostituées réclament plus de clarté et de sérieux de la part des autorités. Pendant ce temps, les associations de lutte contre le trafic des êtres humains réclament plus d'aide structurelle et une formation adéquate des intervenants sociaux. En vain.
Dans ce dossier comme dans d'autres, c'est la confusion et le défaut de communication qui définissent le mieux ce gouvernement libéral-travailliste actuel. Cela fait suite à l’absence de cohérence des politiques en matière de prostitution menées par les gouvernements successifs.
Statut précaire
Aux Pays-Bas, la profession de “travailleurs et travailleuses du sexe" est ouverte à toute personne majeure de 21 ans au moins, y compris aux ressortissants des Etats-membres de l’Union européenne, à l’exception des Roumains et des Bulgares qui ne peuvent exercer qu’en tant qu’indépendants, en raison du moratoire existant aux Pays-Bas sur le libre travail des personnes originaires de ces deux pays.
La personne – homme ou femme – qui veut se lancer dans ce type d’activité, en tant que travailleur ou employeur, trouvera une mine d’informations utiles sur le site Prostitutie.
Mais, en réalité, les patrons du commerce du sexe salarient rarement leurs employé(e)s. Et alors que la loi avait été promulguée afin de casser le lien entre prostitution et criminalité, on ne peut que constater un renforcement de ce lien derrière une “façade légale”.
L’équipe contre le trafic des êtres humains d’Amsterdam compte 7 membres… Et son chef, Harold van Gelder admettait devant les caméras d’Al Jazeera en octobre dernier que “personne ne sait combien de prostituées travaillent à Amsterdam". Il précisait: “c’est une profession légale, si vous suivez les règles, la police ne va pas vous embêter”. Mais il avoue aussi qu’il ne “voit probablement que le sommet de l’iceberg”.
Trafics d’êtres humains
C’est ce que confirment les organisations de lutte contre le trafic des êtres humains, comme CoMensha, à laquelle les services de police ont l’obligation de communiquer toute victime possible d’un réseau. CoMensha dénonce une augmentation vertigineuse du nombre de victimes de réseaux de trafics d’êtres humains identifiés aux Pays-Bas: alors qu’il était d’environ 200 en 2004, l’association constate qu’il est passé à 1.056 en 2010!
Les pays d’origine de ces victimes sont, par ordre décroissant, les Pays-Bas, le Nigéria, la Hongrie, la Bulgarie, la Roumanie, la Slovaquie, le Sierra Leone, la Guinée, la Chine et le Ghana. Au total, 83 nationalités ont été identifiées par l’association.
Parmi les 1.056 victimes de 2010, 797 travaillaient dans le secteur de la prostitution! Et 49 d’entre elles seulement étaient des hommes. Il est d’autant plus difficile d’identifier ces travailleurs du sexe que certains d’entre eux travaillent dans la rue ou au domicile privé de leur “exploitant”.
15.000 enfants prostitués
La prostitution enfantine a également augmenté aux Pays-Bas. Le site "Pour une société sans prostitution" affirme:
La prostitution enfantine a connu une croissance certaine ces dix dernières années aux Pays-Bas. L’organisation des droits de l’enfant à Amsterdam estime qu’il y a aujourd’hui plus de 15.000 enfants, en majorité des filles, dans la prostitution, soit une augmentation de 11.000 depuis 1996. 5.000 d’entre eux proviendraient de l’étranger, notamment du Nigéria."
Et le bénéfice de la légalisation pour le fisc est dérisoire, puisque seuls 5 à 10 % des personnes prostituées ou de leurs exploitants paient régulièrement leurs impôts.
Le site rappelle aussi que la violence est endémique des milieux exploitant la prostitution. Dans une enquête réalisée en 2000 par l’institut sexo-sociologique, 79 % des femmes interrogées faisaient état d’une forme de violence pour les contraindre à se prostituer.
La prostitution en Europe
Florian Tixier / TargetMapF