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Evasion fiscale: l’Europe à la veille d’une grande lessive?

lundi, 8 avril, 2013 - 16:01

A la suite de l'affaire Cahuzac, l'opération "OffshoreLeaks" a amplifié l'inquiétude de l'Elysée et de Matignon. Les ministres vont rendre public leur patrimoine. Une autre révélation d'évasion fiscale serait le coup de grâce pour le gouvernement. Ailleurs en Europe, l'enquête sur les paradis fiscaux n'est pas terminée. L'UE pourrait enfin être obligée d'agir.

En France comme ailleurs en Europe et dans le monde, l'opération "OffshoreLeaks", engendre une sourde et diffuse inquiétude dans les milieux politiques et économiques. Cette enquête menée pendant des mois par les titres les plus prestigieux de la presse mondiale a engendré un séisme planétaire à un niveau rarement atteint sur l'échelle de Richter des buzz médiatiques internationaux.

Le quotidien Le Monde est le seul média français à avoir été secrètement "habilité" à participer à l'enquête coordonnée par l’International Consortium of Investigative Journalists (ICIJ), consortium américain ainsi autoproclamé pour dépouiller et déchiffrer 260 gigaoctets de données provenant 2,5 millions de fichiers dont 122 000 sociétés off shore installées dans des paradis fiscaux.

Le nombre de "courriers électroniques, bases de données, tableurs, copies de papiers d'identité, lettres: l'ensemble des données récupérées par l'ICIJ composant les "OffshoreLeaks" utilisés par Le Monde et d'autres médias internationaux est vertigineux", explique Le Monde.

L'annonce de la publication des noms de grands fraudeurs du fisc spécialistes de l'évasion fiscale fait d'autant plus frémir dans le sérail politique et dans les rangs du pouvoir en France, qu'elle fait suite au mensonge "les yeux dans les yeux" de Jérôme Cahuzac.

Le glaive est au dessus des têtes, mais lesquelles?

Pour le moment, les résultats de cette enquête mondiale publiés par Le Monde sont pourtant étonnamment maigres comparés à l'ampleur des données analysées.

On a ainsi appris que le trésorier de la campagne présidentielle de François Hollande, Jacques Augier, a ouvert durant les années 2000 deux sociétés aux Iles Caïmans et que deux banques, le Crédit agricole et BNP Paribas ont facilité l'ouverture de sociétés offshore pour des clients soucieux d'échapper à l'impôt. N'est-ce qu'un début? D'autres révélations provenant des "vertigineuses" données "OffshoreLeaks" vont-elles suivre?

Les rumeurs vont déjà bon train. Ainsi, à la suite d'un article de Libération sur un hypothétique compte en Suisse détenu par Laurent Fabius, le ministre des affaires étrangères envisage de poursuivre le journal en justice.

Dans cette perspective, l'Elysée comme Matignon font assaut de transparence et de promesses pour lutter contre la fraude fiscale. Les ministres ont ainsi l'obligation de publier leur déclaration de patrimoine dans la semaine.

Dans l'opposition, l'ancien ministre UMP Laurent Wauquiez a fait, sans attendre, de même. Les états-majors des partis politiques pourraient, en effet, demander à leurs principaux responsables de suivre l'exemple des ministres. Un contre-feu minimum pour faire face aux populistes de droite comme de gauche prompts à surfer sur le rejet par une majorité de Français de politiques "tous pourris".

Parallèlement, Pierre Moscovici, ministre français de l’Economie et des finances, souhaite rendre automatique l’échange d’informations bancaires dans l’Union européenne. Mais si le Luxembourg se dit prêt à mettre un bémol à son secret bancaire, l’Autriche s'y refuse.

Or la mise en place d'un "Facta européen", comme le souhaite Pierre Moscovici, nécessite l'unanimité des pays de l'Union européenne. Facta est une loi américaine qui imposera en 2014 à toutes les banques dans le monde à déclarer aux autorités américaines les mouvements affectant un compte détenu par un citoyen américain.

Belgique: 9 milliards évadés par les diamantaires

Pour la Belgique, c’est le journal Le Soir et en particulier le journaliste d’investigation Alain Lallemand qui a participé au réseau ICIJ.

Environ 120 noms de particuliers et d’entreprises du pays sont cités dans les transactions enregistrées. Mais aucun patron du Bel20 – indice de la Bourse de Bruxelles – ni aucun politicien, n'a été cité. Du moins pour le moment.

Par contre, une fois de plus, les milieux diamantaires anversois sont dans le collimateur. Notamment des hommes d’affaires d’origine indienne, très actifs depuis quelques années dans un secteur traditionnellement géré par l’importante communauté juive anversoise.

Une société publique, la BIO – société d’investissement pour les pays en voie de développement – figure aussi dans la liste : le tout nouveau Ministre de la coopération, Jean-Pascal Labille lui donne deux ans pour remettre en ordre ses comptes.

Tandis que John Crombez, Secrétaire d’Etat à la Fraude fiscale, estime que le manque à gagner pour le fisc belge s’élève à 9 milliards d’euros : une manne dont le pays aurait bien besoin en ces temps d’austérité européenne. Le bouillant socialiste flamand menace même de retirer leur licence aux banques véreuses.

Pays-Bas : les îles pour paradis

C’est Joop Bousma, journaliste du quotidien de centre-gauche Trouw, qui a analysé les données relatives aux Pays-Bas pour l’ICIJ.

Apparemment, les banques néerlandaises affectionnent particulièrement les îles exotiques. ING et ABN AMRO gèrent des dizaines de comptes aux îles Madeleines et aux îles Cook. Des montages juridiques et financiers complexes, notamment au profit du sulfureux milliardaire indonésien Eddy William Katuari.

Des particuliers néerlandais sont également impliqués dans ces transactions suspectes, mais leurs noms n’ont pas été révélés. Et toutes les transactions n’ont pas encore été analysées.

Des informations qui intéressent bien entendu Frans Weekers, Secrétaire d’Etat aux Finances, qui a promis de se saisir du dossier.

Italie: comme d'hab'

Pour l’Italie, c’est le magazine l’Espresso qui a mené l’enquête. Il a identifié plus de 200 "super-fraudeurs" d’origine italienne. L’hebdomadaire publie une série d’histoires de consortiums constitués dans les paradis fiscaux par des ressortissants de la péninsule. Notamment, un trust dans les îles Cooks, lié au cabinet fiscal Tremonti, une société offshore dont le bénéficiaire serait Fabio Ghioni, hacker reconverti dans la sécurité informatique de haut vol.

Un système financier complexe impliquant trois familles de bijoutiers et d’entrepreneurs lombards. Et enfin, un trust dont les directeurs commerciaux ne seraient autres qu’Oreste et Carlo Severgnini, deux consultants milanais qui occupent des positions importantes dans de nombreux groupes italiens…

La classe politique italienne semble pour une foi épargnée, mais comme on ne compte plus le nombre d'élus nationaux ou régionaux impliqués dans des affaires de corruption, détournements de fonds publics et autres prévarications, l'évasion fiscale n'est finalement qu'une pratique illicite comme une autre. 


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