Les états d'âmes de certains élus français à droite comme à gauche qui dénoncent le "voyeurisme" auquel pourrait donner lieu la publication de leurs patrimoines déconcertent la plupart de nos voisins européens. Notamment les Norvégiens, habitués à une transparence absolue de tous les contribuables du royaume.
Les élus français de droite comme de gauche ruent dans les brancards. Ils ont bien du mal à accepter l'obligation de déclarer leurs patrimoines décidée par François Hollande à la suite de l'affaire Cahuzac au nom de la "moralisation de la vie politique". Et certains élus du PS et pas des moindres ont rejoint la cohorte des pleureurs de droite. Ainsi pour Claude Bartolone, président socialiste de l'Assemblée nationale:
Déclarer, contrôler, sanctionner, c'est de la transparence, rendre public, c'est du voyeurisme ! "
Le président du groupe socialiste à l'Assemblée nationale dénonce, lui, un "étalage sauvage" du patrimoine des élus. Son homologue du Sénat, François Rebsamen, ne dit pas autre chose. Il faut dire que, depuis l'an dernier, le sénat publie sur son site officiel, à la différence de l'Assemblée nationale, les déclarations d'intérêt de ses membres. Mais ces déclarations sont pour la plupart laconiques et ne comportent guère d'élements chiffrés.
Car la France n'est quand même pas un pays où aucun compte ne serait demandé. Une loi de 1988, modifiée en 1995 et 2011, prévoit pour les ministres une déclaration de situation patrimoniale soumise à une commission de transparence de la vie politique. Pour les parlementaires, il s'agit de déclarations d'activités et d'intérêt.
Le problème est que ces renseignement ne sont pas contrôlés, qu’ils sont insuffisamment détaillés et qu’ils ne sont pas consultables par le public sauf en ce qui concerne les sénateurs. D'où la volonté d'aller beaucoup plus loin en matière de renseignements publiés et de libre accès du public aux données.
Comme pour le mariage gay, nos voisins européens ne peuvent que s'étonner que cette publication des données engendre une telle polémique dans l'Hexagone. Les Norvégiens sont littéralement sidérés. Dans leur pays la transparence est totale et ceci dans le consensus général. Encore et toujours l'exception française se dit-on sans doute à Oslo…
Norvège: tous les patrimoines sont sur internet
En Norvège, la transparence est absolue. Le système est des plus simples : toutes les déclarations fiscales des citoyens sont publiées sur Internet, à l’exception de celles de la famille royale. Celles des politiciens et des mandataires publics sont donc consultables en ligne par tout le monde. Y figurent non seulement les revenus professionnels, mais aussi les revenus mobiliers et immobiliers de chaque citoyen.
Là aussi, les dépenses publiques font l’objet d’un contrôle strict : pas question pour le premier ministre Jens Stoltenberg de dépenser une couronne de trop. C’est lui qui avance l’argent et est remboursé sur présentation de facture.
Ici, pas d’avion présidentiel, ni de chauffeur particulier : Jens Stoltenberg partage un parc de voitures avec ses collègues. Mais pour les déplacements dans Oslo, il prend volontiers les transports en commun. Dans ce pays protestant, l’utilisation de l’argent public est l’affaire de tous et la frugalité est la bienvenue, y compris pour les membres du gouvernement… Des élus norvégiens qui avaient emprunté un taxi pour voyager dans Oslo se sont fait rappeler à l'ordre !
Espagne: une conversion récente
Si la Suède et la Finlande sont à peu près aussi exigeants en matière de transparence, il n'en est pas tout à fait de même au Danemark où les déclarations d'intérêt ne se font que sur une base volontaire. Dans d'autres pays, notamment l'Italie, les déclarations ne sont que partiellement accessibles au public qui doit en faire la demande expresse.
En revanche, depuis 2011, l’Espagne joue à son tour la transparence en publiant nominalement, sur le site du congrès des députés, les déclarations patrimoniales mentionnant notamment le niveau du compte bancaire personnel ou le type de véhicules possédés.
Belgique: la transparence progresse
La Belgique a récemment adopté une série de mesures de transparence à l’égard de ses élus et hauts fonctionnaires. Seuls les conseillers communaux échappent désormais à l’obligation de déclarer leur patrimoine.
Mais cette déclaration n'est pas publique. Elle doit être remise sous pli fermé à la Cour des Comptes. Même les membres de cette dernière ne peuvent l’ouvrir. Seul un juge d’instruction peut en réclamer l’ouverture dans le cadre d’une enquête.
Pour Transparency International Belgique, cette déclaration sous le sceau du secret est trop restrictive. C’est également ce que pensent 86 % des internautes qui ont répondu à un sondage Bel RTL et se sont déclarés "favorables à ce que tous les élus belges dévoilent publiquement leur patrimoine".
Et certains politiques n’ont jamais remis de déclaration de patrimoine selon le site cumuleo.be . Et l'opacité reste totale concernant les revenus provenant des mandats publics. Selon le rapport sur "La Gouvernance des Intercommunales wallonnes" – sociétés semi-publiques qui gèrent les centres sportifs, la distribution d’eau ou d’électricité ou encore la collecte des déchets – 52 % de ces entreprises ne publient aucun chiffre sur la rémunération de leurs administrateurs. En outre, dans 11,5 % des cas, "ce serait le conseil d’administration lui-même qui fixerait ces indemnités, le rendant ainsi juge et partie".
Pourtant, le personnel politique lui-même est dans l’ensemble demandeur de plus de transparence. Depuis dix ans, des efforts considérables ont été accomplis dans ce sens : loi sur le financement public des partis politiques, obligation pour les élus fédéraux et régionaux de publier leurs mandats gratuits ou rémunérés, limitation des dépenses électorales…
Pas moins de 804 élus belges de toutes tendances ont répondu à l’enquête "Transparence et politique 2012" et une majorité d’entre eux se prononcent pour plus de clarté et de publicité, que ce soit pour la désignation des bourgmestres (maires), concernant les accords pré-électoraux ou encore la gestion des conflits d’intérêt.
Pays-Bas: même le salaire de la reine est connu
Aux Pays-Bas, les politiques sont tenus à plus de transparence. Le salaire et les avantages du Ministre-Président Mark Rutte sont consultables par tout citoyen sur le site du parlement. On y découvre ainsi qu’il gagne environ 144.000 euros, soit l’échelle 21 du barème des fonctionnaires, et bénéficie d’une enveloppe de frais professionnels de 7887,24 euros par an.
Le même site publie les revenus des autres ministres, parlementaires, secrétaires d’Etat, parlementaires européens. Même la reine Beatrix n’échappe pas aux scrutateurs de la Cour des Comptes. On y apprend ainsi qu’elle reçoit 5.143.000 euros de dotation par an, dont 4.314.000 à titre de frais professionnels. Nettement moins que le roi des Belges, Albert II, qui a reçu au total 12.429.454 euros pour l’année 2010.
Les parlementaires et les autres ministres sont soumis à la même obligation. Les dépenses publiques sont contrôlées jusqu’au dernier centime. En revanche, on ne parle pas, aux Pays-bas, ni des patrimoines, ni des intérêts que peuvent détenir les hommes politiques dans les entreprises. Ce qui rend difficile de déceler les conflits d'interêts.
Allemagne: attention aux conflits d'intérêts
Pas de déclaration de patrimoine non plus pour les députés du Bundestag, mais la transparence des revenus. Les parlementaires allemands doivent, en effet, déclarer leurs revenus annexes à partir de 1.000 euros par mois. Il n'est pas question de déclaration de patrimoine, seulement de "Nebeneinkünfte" ("revenus complémentaires"). Quant aux ministres, ils doivent se contenter de leurs traitements ministériels.
Toutes les activités des parlementaires exercées en dehors de leur mandat public est signalée sur leur biographie. Par exemple, il est mentionné sur le profil de Peer Steinbrück, député SPD et candidat à la chancellerie en septembre prochain, les conférences rémunérées qu'il a donné pour le compte de BNP Paribas ou de la Deutsche Bank en 2010 et 2011. Selon l'ONG AbgeordnetenWatch, 193 députés sur 620 sont concernés, dont 126 qui dépasseraient le seuil des 7.000 euros par mois, le seuil le plus élevé dans le système de graduation établi en 2003.
Afin de prévenir d'éventuels conflits d'intérêts, sont également consignées toute adhésion à une association, un groupe de travail ou une fondation, ainsi que la participation financière ou administrative au sein d'entreprises. Dévoiler son patrimoine est à la discrétion des politiques. Ce qu'a fait Peer Steinbrück en décembre dernier.
C'est seulement en cas de doute que le président du Bundestag, Nobert Lammert (CDU), peut demander une enquête parlementaire. Ce qu'il a fait sur les financements opaques d'un site de soutien pour Steinbrück.
Royaume-Uni: les élus jugés sur leurs dépenses
Outre Manche, il existe à la Chambre des Communes un registre des intérêts des membres du Parlement et des ministres. Mais sa consultation sur le site des Communes en est assez compliquée et il n’y a pas d’obligation formelle à déclarer son patrimoine sauf s’il procure un revenu.
C’est ainsi qu’une controverse est née à propos du premier ministre David Cameron dont la fortune, estimée à 4,5 millions d’euros, n’est pas clairement prise en compte sur le registre. Et encore moins, bien sûr, les quelques 23 millions qu’ils devrait hériter un jour de ses parents…
L’an dernier, l’étude de la société singapourienne Wealth-X estimant la fortune totale détenue par les membres du gouvernement à 70 millions de livres (80 millions d’euros) a pourtant été largement contestée par les conservateurs.
En revanche, l’attention des médias se concentre bien plus sur leurs dépenses. Lors de l’été 2009, le quotidien ultra conservateur The Daily Telegraph a en effet publié la liste de 389 des 646 parlementaires ayant illégalement demandé le remboursement de dépenses non autorisées ou dépassant le plafond autorisé. Plus que les sommes en question, qui s’élevaient entre 28.50 livres et 42.458 livres pour un montant total de 1,16 million, les journalistes et le grand public ont condamné le comportement jugé inadmissible des élus du peuple.