Par La Rédaction
En Allemagne, c'est la saison des négociations. Alors qu'Amazon était en grève hier, le syndicat IG Metall a pour sa part conclu aujourd'hui un accord avec le patronat. Depuis les années 1990, les salariés allemands ont été mis à la diète salariale. L'augmentation, c'est maintenant !
C'est fait! Le syndicat allemand IG Metall et le patronat des secteurs de la métallurgie et de l'électricité ont signé aujourd'hui un accord salarial. Celui-ci s'appliquera en deux temps: une augmentation de 3,4% en juillet, puis une autre de 2,2% en mai 2014.
La très puissante organisation syndicale IG Metall, qui revendique 2,2 millions de membres dans des secteurs allant de l’automobile, la mécanique à l’électronique, avait décidé de montrer les muscles ce week-end. Et promettait une grève massive si un accord "rapide et juste" n’était pas trouvé d’ici la Pentecôte. IG Metall réclamait 5,5% de hausse de salaires pour 3,5 millions de travailleurs.
Hier, les salariés allemands d'Amazon avaient quant à eux mis à exécution la menace de grève qu'ils faisaient peser depuis la fin avril sur le géant du commerce en ligne. Une première dans l’histoire des sites allemands de Bad Hersfeld (Hesse) et de Leipzig, qui emploient respectivement 3.300 et 2.000 salariés.
"Nous sommes très contents de ce début", s’est félicité Heiner Reimann, le représentant du syndicat Verdi qui demande que les 9.000 salariés allemands du groupe (répartis sur 8 sites) soient rattachés à la convention collective des services de détails, ce qui pourrait leur faire gagner 9.000 euros bruts par an.
Vers une grève massive de IG Metall?
Amazon n’est pas la seule à être touchée par les arrêts de travail. Au total, plus de 400.000 salariés allemands se seraient mis en grève depuis le début de l’année, dans le cadre de ce que l’on appelle outre Rhin des "grèves d’avertissements": Deutsche Post, Bosch, Siemens, BMW, Audi, Lufthansa, Daimler, les principaux géants de l’économie allemande sont concernés.
Le phénomène n’a pourtant rien d'exceptionnel. Ces grèves, très limitées dans la durée, sont un moyen de pression habituel pour les syndicats en période de négociations salariales, comme c’est le cas actuellement dans les Etats du Baden-Württemberg et de la Bavière.
D’autres branches ont déjà obtenu gain de cause. En mars, les employés des services publics des Länders ont obtenu une hausse de 5,6% de leurs salaires sur 2 ans, et en avril, ce sont les coiffeurs qui ont obtenu le droit à un salaire minimum de 8,50 euros de l’heure à compter de 2015.
Des salaires qui ont stagné pendant prés de dix ans
Si ces tensions sont traditionnelles, ces négociations salariales mettent en exergue un problème de fond: celui de la répartition des richesses, dans une Allemagne aux performances économiques enviées par ses voisins européens.
Les salariés allemands se sont en effet serrés la ceinture durant des années afin de faire tourner la machine à exporter qu’est l’économie allemande. Depuis le milieu des années 1990, des efforts importants leur ont été demandés, via une stagnation des salaires suivie, à partir de 2002 sous le gouvernement Schröder, des réformes dites Hartz sur la flexibilité du travail.
Conséquence, selon l’Insee, les coûts salariaux unitaires ont baissé dans ce pays de 2,3% de 1996 à 2005. En 2009, les salaires bruts étaient même inférieurs à ceux de 2000. Et alors que les salaires ont progressé de 2,7% dans la zone euro entre 2007 et 2011, ils n’ont augmenté que de 1% en Allemagne.
Par ailleurs, si le chômage est quasiment à son plus bas niveau depuis la réunification (6,9% en avril), on compte de plus en plus de travailleurs pauvres. L’Agence fédérale pour l’emploi estime à 323.000 le nombre de personnes qui, en 2012, gagnaient plus de 800 euros par mois et qui recevaient en parallèle des aides sociales. Elles n’étaient que 20.000 en 2009.
La modération salariale a contribué à rendre l’Allemagne plus compétitive",
explique Dominik Grillmayer, de l’Institut franco-allemand de Ludwigsburg, tout en pointant du doigts les travers des réformes Schröder menées à partir de 2002 notamment dans le secteur des services.
Mais aujourd’hui, il y a une sensibilité en Allemagne sur le fait qu’il faut augmenter les salaires"
ajoute cet expert. Dans les faits, les salariés allemands connaissent depuis trois ans un léger rattrapage de leurs revenus (1,5% en 2010, 1% en 2011 et 0,6% en 2012).
Un débat voué à avancer par branche et par région
Le débat prend d’autant plus d’ampleur qu’arrivent à grands pas les élections législatives du 22 septembre. Trois des principaux partis d’opposition, dont le SPD, réclament l’instauration d’un salaire minimum généralisé. Actuellement, seuls certaines branches et certains Länder disposent de revenus minimum.
En mars, l’opposition de gauche a ainsi adopté au Bundesrat (chambre haute) un projet qui prévoit une rémunération minimale de 8,50 euros de l’heure. Mais il a peu de chance d’être adopté par la chambre basse, dominée par la droite.
La droite allemande reste opposée à cette idée, la chancelière Angela Merkel estimant qu’un salaire minimum généralisé est la raison pour laquelle "de nombreux pays en Europe ont un taux de chômage bien plus élevé que chez nous, du fait que les salaires et les rendements ne sont pas en rapport". Elle n’est toutefois pas opposée à ce que le débat progresse par branche et par région.
Si Angela Merkel reste chancelière, ce qui est probable, on verra des salaires minimum dans toutes les branches mais pas de salaire minimum généralisé, même en cas de grande coalition",
prédit Dominik Grillmayer.
Augmenter les salaires en Allemagne? La demande est également émise par d’importants partenaires commerciaux de Berlin, tels que Paris et Washington. Lors d’une récente visite en Allemagne, le ministre francais du redressement productif, Arnaud Montebourg, a plaidé pour une hausse des salaires de l’autre côté du Rhin qui, par effet domino, permettrait de booster les exportations francaises. Même appel du pied du secrétaire américain au Trésor, Jacob Lew.
En Allemagne ces exigences font sourire. Le président de la Bundesbank, interrogé par le journal Frankfurter Allgemeine Zeitung, a estimé qu’une hausse généralisée des salaires n’aurait pas d’effet positif sur les pays voisins.
N.B. Article du 14 mai 2013, actualisé et republié le 15 mai 2013 après l'accord signé par IG Metall.