François Hollande veut reporter le scrutin sur le droit de vote des étrangers après les municipales de 2014. Un projet qui ne date pas d'hier. Il était déjà dans les cartons du candidat Mitterrand aux présidentielles de 1981.
Le débat n'est pas nouveau. Dans les années 1970, les associations et les organisations politiques amènent le droit de vote des étrangers sur la scène politique. En 1981, le candidat Mitterrand l’intègre à ses 110 propositions pour la présidentielle. Mais il botte en touche dans la foulée, considérant que les Français ne sont pas encore prêts.
Le sujet ressurgit dans les années 2000. Le gouvernement Jospin décide de se saisir de la question malgré l’obstruction de la droite. Le 3 mai 2000, une proposition de loi est examinée par l’Assemblée nationale, mais restera lettre morte. Le texte ne sera pas inscrit à l’ordre du jour du Sénat.
Pourtant, selon un sondage BVA de novembre 2011, six Français sur dix y sont favorables, alors qu’ils n’étaient que la moitié en 1999 et à peine 28% en 1996. Le candidat Hollande reprend cette mesure dans ses propositions. Mais l'UMP récupère le débat en dénonçant le risque d'un vote communautaire.
Le débat suscite également des divisions au sein de la majorité. Manuel Valls, Ministre de l'Intérieur, a déclaré en septembre 2012 dans les colonnes du Monde que le vote des étrangers "n'est pas une priorité", alors qu'il disait l'inverse en 2007.
An II : Hollande passe à l'offensive
Le vote des étrangers a alors du plomb dans l'aile. Le candidat, désormais Président, se remet à peine de sa première réforme sociétale sur le mariage gay. Au plus bas dans les sondages, et à un an des municipales, l'ouverture du droit de vote aux étrangers serait "une maladresse", estime-t-on à l'Élysée.
François Hollande reste sur sa position, mais n'en fait plus une priorité. Le texte est différé après les municipales de 2014. Un report afin d'éviter une polémique appuyée par l'opposition. Mais François Hollande a promis "l'offensive" pour l'An II de son quinquennat.
Dans la plupert des pays d'Europe, les étrangers peuvent participer à certains scrutins électoraux.
Il y a ceux qui octroient le droit de vote à tous (Irlande, pays scandinaves) et ceux qui sélectionnent les citoyens étrangers pouvant participer: les Brésiliens du Portugal, ou les Indiens du Royaume-Uni. D'autres font mine d'avancer (République Tchèque) et certains se demandent si c'est bien constitutionnel (Grèce)…
Tour d'horizon du droit de vote des étrangers sur le sol européen :
1. Le droit de vote strictement national
Dix pays de l’UE refusent le droit de vote aux étrangers : la France, l’Allemagne, l’Italie, la Pologne, la Roumanie, l’Autriche, la Lettonie, la Bulgarie, Malte et Chypre. Dix pays, et dix débats.
ALLEMAGNE
Prévu dans le programme du SPD-Verts en 1998, le droit de vote des étrangers au niveau local n’a pas vu le jour, faute de majorité qualifiée pour le groupe des sociaux-démocrates et Verts au Sénat. La domination de la droite au Bundesrat, qui représente les Länder, a ensuite empêché le projet de renaître.
ITALIE
En Italie, Romano Prodi, alors chef du gouvernement, a bien tenté de faire passer le droit de vote aux résidents étrangers en 1997, mais s’est heurté à la Commission des affaires constitutionnelles.
Pourtant, même Gianfranco Fini, à la droite de la droite, estimait onze ans après, en 2008, alors qu’il était président de la chambre des députés, que
ce n'est pas une idée folle, ni criminelle, les étrangers doivent avoir des droits et des devoirs".
Et le ministre de l’Intérieur de l'époque, Roberto Maroni, de relancer le débat un an plus tard :
La Constitution dit que le droit de vote dans notre pays, ce sont les citoyens italiens et européens qui l'ont, pas les extracommunautaires. Si on veut, on peut changer la Constitution, mais on ne peut pas dire qu'on ferme les yeux".
Des déclarations donc, mais qui en 2011, ne se sont toujours pas concrétisées par le droit de vote pour les étrangers en Italie.
2. Le vote pour tous les étrangers
IRLANDE
Les Irlandais font figure de pionniers en Europe : c’est en 1963, avec le Local Elections Act, qu’ils accordent le droit de vote aux étrangers aux scrutins locaux.
Un droit doublé d’une conditionnalité particulièrement souple, puisqu’avoir résidé six mois sur le territoire irlandais suffisait, avant que cette clause de résidence soit complément effacée en 1992, faisant de l'Irlande le seul pays de l'Union européenne à ne pas imposer de condition de résidence aux aspirants électeurs.
Onze ans après le Local Election Act, l’Irlande faisait un pas de plus en 1974, et rendait cette fois accessible l’éligibilité à tous ses résidents, quelle que soit leur nationalité.
Les citoyens britanniques ont, eux, le privilège depuis 1985 de pouvoir également voter aux élections nationales (hors présidentielle et référendum).
DANEMARK, FINLANDE, SUÈDE
Les pays scandinaves ont été parmi les plus prompts à élargir les droits électoraux aux étrangers. La Suède (1975), le Danemark et la Finlande (1991) autorisent les étrangers à voter aux élections locales pour peu qu’ils y aient résidé trois ans pour les deux premiers, et deux ans en Finlande.
En Suède les étrangers peuvent participer aux élections dites "intermédiaires", mais aussi aux référendums nationaux, une exception en Europe.
L'accès au droit de vote des étrangers chez les Scandinaves s'accommode, en outre, d'un petit arrangement entre amis : le Conseil nordique.
Selon cet accord, signé par les Danois, les Suédois et les Finlandais avec leurs homologues non membres de l'UE, l'Islande et la Norvège, les ressortissants de ces cinq pays peuvent voter là où ils habitent, sans condition de durée de résidence.
PAYS-BAS, BELGIQUE, LUXEMBOURG
Les étrangers peuvent voter aux élections locales aux Pays-Bas depuis 1985, s’ils justifient de cinq ans de présence sur le territoire national. Idem au Luxembourg, mais depuis 2003 seulement. La Constitution belge de 1998 prévoyait un élargissement des droits électoraux sans distinction de nationalité ou de niveau d’élection, et ce, à partir 1er janvier 2001.
La Belgique a finalement franchi le pas en 2004, mais en limitant l’accès au vote des étrangers aux seules élections locales. Pour accomplir son devoir civique (le vote est obligatoire en Belgique), deux conditions: résider sur le territoire depuis plus de cinq ans et signer une déclaration spécifique au préalable.
Dans cinq autres États membres de l’UE, les étrangers ont le droit de vote, un droit à chaque fois circonscrit aux élections municipales : l’Estonie (depuis 1993), la Hongrie (1994), la Slovaquie (2001), la Slovénie et la Lituanie (2002).
Last but not least, la Grèce s’est jetée à l’eau à l’occasion des municipales de l’année dernière. C'est le treizième pays à rejoindre le club, mais il n'est pas sûr qu’il y reste.
La loi votée en mars 2010 fut jugée anticonstitutionnelle un an plus tard, au motif que la Constitution grecque accorde le droit de vote au seul "peuple grec". Le vote des résidents étrangers en Grèce est ainsi suspendu à la décision de la Cour suprême.
3. Le vote selon la nationalité
ESPAGNE
L’Espagne est régulièrement présentée comme l’une des bonnes élèves du droit de vote des étrangers. Pourtant, les apparences sont trompeuses, car le système fonctionne sur la réciprocité.
Un étranger peut voter en Espagne si son pays d’origine accorde lui-même ce droit aux ressortissants espagnols. En d’autres termes, un Chilien vivant en Espagne peut voter aux municipales, parce qu’un Espagnol vivant au Chili le peut lui aussi.
Mais sans traité, pas de vote. L’Espagne a donc signé des accords avec la Norvège, l’Islande, la Nouvelle-Zélande, et plusieurs pays américains : Argentine, Colombie, Pérou, Trinité et Tobago, Chili, Équateur, Cap-Vert, Paraguay, Bolivie et Uruguay.
Manque à l’appel… le Maroc. Première communauté étrangère d’Espagne, les 800 000 Marocains qui y résident sont donc exclus du système électoral espagnol, victimes du principe de la réciprocité.
Alors que celle-ci est en passe de se mettre en place (le Maroc a intégré dans sa Constitution de juillet 2011 le droit de vote des étrangers), l’Espagne s’interroge et voit ressurgir "la peur du vote maure", comme le titrait le quotidien El Pais dans son édito du 21 juillet dernier.
PORTUGAL
Comme l’Espagne, le Portugal choisit parmi ses étrangers qui peut voter ou non. Ils sont classés dans plusieurs catégories. Les Brésiliens sont les mieux traités : ils jouissent d’un statut spécial d’égalité des droits politiques et peuvent voter aux élections locales, régionales et législatives après cinq ans de vie sur le territoire.
Viennent ensuite les étrangers lusophones qui, pour peu qu’ils aient résidé plus de deux ans au Portugal, sont autorisés à voter aux seules élections locales.
Ce dispositif ne concerne, en fait, que les Cap-Verdiens et les Brésiliens présents depuis moins de cinq ans.
Troisième et dernière catégorie: les ressortissants de pays ayant signé un traité de réciprocité avec le Portugal : Israël, la Norvège, l’Argentine, le Pérou et l’Uruguay. Ils sont autorisés à glisser leurs bulletins dans les urnes (locales) après trois ans de séjour en terres portugaises. Pour les autres, donc, pas de vote.
RÉPUBLIQUE TCHÈQUE
En matière de réciprocité, la République Tchèque en fait encore un peu moins: sur le papier, elle octroie depuis 2001 le droit de vote aux étrangers dont le pays d’origine a signé avec elle un accord, mais dans les faits, elle n’a signé d’accord avec personne.
Une réciprocité de façade qui empêche donc les étrangers de voter. De fait, les premières élections municipales de 2006 théoriquement ouvertes aux étrangers ne l’ont donc été… qu’aux ressortissants de l’UE.
4. Cas particulier : le Royaume-Uni
Le Royaume-Uni fait figure de cas particulier au sein de l’UE, car il n’applique ni la réciprocité ni le vote pour tous. Il a plutôt choisi d’ouvrir le vote à certains de ses étrangers en fonction de son histoire; les ressortissants de l’ensemble du Commonwealth et d’Irlande bénéficient ainsi d’un statut particulier et peuvent voter, fait rare, à toutes les élections :
Un Indien ou un Nigérian peut ainsi voter (et être élu) au parlement national"
remarque donc Hervé Anders, chercheur à l’unité Migration et recherche de l’université de Nice, dans sa thèse sur le droit de vote des étrangers.
En revanche, les résidents britanniques originaires d’un pays autre que l’UE ou le Commonwealth n’ont aucun droit politique. En d’autres termes, les étrangers se partagent entre ceux qui peuvent voter à tous les scrutins, et ceux qui ne peuvent à aucun.
Et ces derniers sont les plus nombreux. Les ressortissants du Commonwealth représenteraient 35% des étrangers vivants au Royaume-Uni, et les Irlandais 17% : reste donc la moitié des étrangers de l’ile britannique privés du droit de voter.
À l’heure actuelle, aucun projet de modification de la loi n’est prévu et ce modèle hybride devrait se poursuivre, mais le vice-Premier Ministre Nick Clegg ne serait pas contre une extension du droit de vote.