Depuis son élection, le pape François a donné un grand coup de pied dans le protocole du Vatican. Ce chamboulement des traditions inquiète la curie et risque de poser de sérieux problèmes aux services de sécurité.
Allo ? C'est Bergoglio !"
C’est en ces termes que le pape François s’est présenté au téléphone, il y a deux jours. "Il voulait tout simplement prendre de mes nouvelles!", a raconté la libraire d’origine colombienne Mary Alfonso, la voix brisée par l’émotion.
Si cette façon de se présenter est pour le moins originale, la chose n’a finalement rien d’étonnant de la part du pape François. Depuis son élection au trône de Saint Pierre, le pape François, "venu du bout du monde", a répété à maintes reprises qu’il voulait bousculer les traditions. Et dans l’esprit du souverain pontife, cela veut d'abord dire conserver son style de vie, dont les marques de fabrique sont simplicité et contact direct avec le monde extérieur.
Ainsi l’a-t-on vu vendredi soir, avant la veillée de la Pentecôte, arpenter la grande avenue de la Conciliation, droit comme un I dans sa papamobile pendant que la foule en liesse lui jetait photos et petits livres de prière.
N’importe qui peut lui jeter n’importe quoi, mais que faire ? Il aime le contact avec la foule, il ne veut pas de barrières",
explique un vaticaniste préférant demeurer anonyme.
Coups de fil au cordonnier ou au marchand de journaux
Pas de barrières, cela veut surtout dire pas d’intermédiaires. Un exemple? Les quelques coups de fils importants que ce jésuite au visage débonnaire perpétuellement illuminé par un large sourire a passé au lendemain de son élection. Sans passer par le standard ou par son secrétaire, le chef de l’Eglise a d’abord appelé son cordonnier Carlos Samaria, qui exerce à Buenos Aires, pour lui faire part d’une décision importante.
Je ne veux pas porter de chaussures rouges comme les autres papes, on garde le modèle noir habituel",
lui a expliqué Jorge Mario Bergoglio. Une mauvaise nouvelle pour le pauvre cordonnier qui avait déjà préparé quelques croquis de modèles couleur pourpre.
"Il est trop simple, cet homme là, ses chaussures sont en peau de veau lisse et elles sont vieilles. Il n’en veut pas de neuves. Et puis, elles sont sans lacets et sans décorations, on dirait des petites galoches!", a confié cet ouvrier âgé de 81 ans au quotidien progressiste argentin Clarin. Le même jour, le pape a d'ailleurs appelé son marchand de journaux, qui lui expédiait quotidiennement un exemplaire de Clarin:
Hola, je suis le cardinal Jorge, je voulais te remercier mais je n’ai plus besoin que tu m’envoies le journal tous les jours. Tu sais, je suis devenu pape…",
a déclaré l’ex archevêque de Buenos Aires à son interlocuteur, désappointé à l’idée de perdre un client aussi illustre.
Vivre avec ses curés
Pour garder le contact avec le monde extérieur, le pape François a aussi refusé de vivre sous les ors du Vatican. A peine élu, il déclarait souhaiter rester dans la résidence Saint Marthe, où ont dormi les 115 cardinaux électeurs pendant le conclave. Pour certains vaticanistes, cette décision n’est pas seulement liée à la qualité de vie que le pape François s’est imposé.
Après l’affaire du majordome de Benoit XVI, on imagine que le cardinal Jorge n’a pas trop envie que quelqu’un fouille dans ses affaires. Son appartement situé dans la résidence Sainte Marthe, habitée par d’autres prêtres, est moins isolé. On peut par conséquent difficilement s’y introduire",
affirme un vaticaniste.
L’explication tient la route. Mais pour le pape, vivre dans cette résidence située aux confins du Vatican, c'est-à-dire tout à coté des murs qui marquent la frontière avec l’Italie, veut dire partager l’existence des autres prélats. C’est d’ailleurs ce que lui a fait remarquer l’un de ses proches collaborateurs fin mars. "Le conclave est fini et les cardinaux électeurs sont repartis. Les prêtres qui travaillent au Vatican vont reprendre possession de leurs chambres. En restant ici, vous allez devoir les côtoyer et cela pourrait vous poser un problème", a-t-il exposé diplomatiquement au pape.
Réponse du Saint-Père:
Pas de problème, j’ai l’habitude de vivre avec mes curés!".
Une manière d’entériner son refus de vivre dans la cage dorée du Vatican. Et son souhait, pour modifier son église, de continuer à entendre les bruissements du monde.