Les députés français ont supprimé la semaine dernière le délit d'offense au chef de l'Etat. Datant de 1881, ce délit n'était pas appliqué depuis De Gaulle, jusqu'à son retour fracassant sous Sarkozy, et le fameux "Casse-toi pauv' con". Ailleurs en Europe cela reste le plus souvent un crime de lèse-majesté. Tour d'horizon.
Insulte punie par la loi sous Sarkozy, simple invective sous Hollande : depuis une semaine, le célèbre "Casse-toi pauv’ con" ne résonne plus tout à fait de la même manière. Mercredi dernier, 15 mai, les députés français ont en effet balayé le délit d’offense au chef de l’État en France.
C’est le Parti socialiste qui présentait cet amendement, adopté à l’unanimité en commission des lois. Le délit est n’est "plus justifié dans une démocratie moderne", a-t-il été mentionné. Rayé donc, cet article d’une loi de 1881 sur la liberté de la presse. Le délit d’offense au chef de l’État avait été sollicité six fois sous la présidence De Gaulle, avant d’être mis en veilleuse. Giscard, Mitterrand ou Chirac s’étaient abstenus. Sarkozy, non.
Ce soudain coup de balai répond d’ailleurs aux récentes remontrances de la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH). Le 14 mars dernier, celle-ci jugeait que l’État français n’avait pas moins que violé la liberté d’expression en condamnant l’auteur du "Casse-toi pauv’ con" affiché et brandi sous le nez de Nicolas Sarkozy en 2008 lors d’un déplacement présidentiel à Laval.
Une invective, rappelons-le, dont le copyright revient au président Sarkozy lui-même : c’est l’amabilité qu’il avait lancée à un visiteur du salon de l’agriculture, en février 2008. Hervé Eon, l’offenseur, avait été condamné à 30 euros d’amende avec sursis.
Cons ou pas, les présidents ne seront plus, en France, offensés par l’insulte, du moins pénalement. Et ailleurs en Europe? Petit tour d’horizon de la susceptibilité face à l’insulte de nos voisins, souverains et dirigeants.
Belgique : "crime contre la sureté de l'État"
En Belgique, le crime "d'offense à la personne du roi" est inscrit dans code pénal. Depuis la loi du 9 septembre 1885, il est assimilé à un "crime contre la sureté de l'État". Une chose sérieuse, donc. Pourtant, la répression de ce "crime" est rarissime. Si les médias francophones font preuve d'une rare retenue à l'égard de la famille royale, leurs homologues flamands se montrent, eux, plus critiques. Il leur arrive même d'emboiter le pas aux velléités républicaines de certains partis indépendantistes.
Calme plat donc… à une exception près, toutefois : le récent scandale suscité par le livre Question(s) royale(s), de Cristophe Deborsu. Le journaliste de la chaine de télévision francophone RTBF y expose publiquement certains faits comme l'infidélité des époux royaux et l'homosexualité supposée du prince Philippe, le futur roi des Belges. Il remet en cause la fertilité du futur souverain et donc la paternité de ses quatre enfants… Il s'appuie également sur un entretien privé avec le roi Albert II pour émettre d'autres critiques à l'égard de la famille royale.
Le Palais est sorti de sa réserve habituelle et, le 31 octobre 2012, a saisi le Conseil de Déontologie journalistique, organe consultatif, mais non répressif. Ce dernier a remis son avis, mi-figue mi-raisin, lors de sa réunion du 15 mai 2013 :
La plainte de M. l’intendant de la Liste civile du Roi n’est pas fondée en ce qui concerne le recours à des rumeurs, à du plagiat, à la fiction dans la présentation de membres de la famille royale et à l’atteinte à leur vie privée si ce n’est dans deux cas précis. Elle est, par contre, fondée en ce qui concerne le non-respect du "off" et le recours à des "insinuations" dans les deux cas précis mentionnés."
En attendant, le journaliste a été mis à l'écart de l'antenne et a pris un congé sabbatique.
Le plus étonnant en Belgique? Quand ce sont les citoyens eux-mêmes qui viennent à la rescousse de leur souverain. C'est ce qu'a fait un habitant de Tournai qui a déposé plainte contre le politicien flamand Bart De Wever pour "offense à la personne du roi" et pour "avoir répandu sciemment et volontairement des avis ou des informations de nature à ébranler la crédibilité de l’État". Bart De Wever, reprochait au souverain belge d'avoir mis en garde ses concitoyens contre des partis aux tendances populistes rappelant les années 30.
Pays-Bas : tolérance pour les artistes, pas pour les citoyens
Aux Pays-Bas, la liberté d'expression est quasi-absolue, y compris sur des sujets comme le révisionnisme ou la pédophilie. La monarchie, elle, semble engendrer deux poids deux mesures: les artistes jouissent d'une liberté quasi totale, impensable ailleurs. L'humoriste Hans Teuwens, qui simulait crument une relation sexuelle avec la reine Beatrix lors de son spectacle "Love Industry" n'a jamais été inquiété.
Pas plus que Sander Pavert, qui montre dans son film la famille royale dans le plus simple appareil en Papouasie-Nouvelle-Guinée par respect pour les coutumes locales. Ni même le peintre Aat Veldhoen qui, en 1975, a pourtant dessiné la reine Juliana au centre d'une orgie. Le dessin n'a pas été publié alors, mais figurait en bonne place de Propria Cures, une publication étudiante réputée pour son gout de la provoc… La reine Juilana s'est aussi retrouvée dans la vitrine d'une prostituée (voir dessin).
Mais pour le commun des mortels, le crime de lèse-majesté est punissable depuis 1881! La sentence? "Peine de prison allant jusqu'à cinq ans et d'une amende de 4e catégorie".
C'est ce qu'a appris à ses dépens un citoyen néerlandais, qui a traité la reine Beatrix de "pute" alors qu'un agent le verbalisait. Il a écopé d'une amende de 400€. Dans les dernières années du règne de Beatrix, le nombre de condamnations pour lèse-majesté s'est multiplié. Alors qu'il n'y avait eu aucune condamnation depuis 1969, entre 2000 et 2012, 19 personnes ont été poursuivies et 9 condamnées (5 amendes et 4 peines de prison).
La députée écologiste Liesbeth van Tongeren propose que l'on supprime cet article 11 du Code pénal, à l'instar de ce qui se fait en France. Le nouveau souverain Willem-Alexander l’écoutera-t-il? C'est ce qu'il a laissé entendre lors d'une récente interview sur RTL4. Une étudiante avait été emmenée par deux agents pour avoir brandi une pancarte portant le slogan "La monarchie dehors! Nous sommes en 2013!" lors d'un déplacement de la reine Beatrix. "Je ne vois là aucun problème", a-t-il déclaré. "Et je pense que les deux pauvres policiers, qui ont cru bien faire, ont commis une erreur".
Allemagne : insultes sur Facebook
En Allemagne, calomnier publiquement le président de la République est un délit puni, depuis 1952, de 3 mois à 5 ans d’emprisonnement par article 90 du Code pénal.
Assez souvent utilisé, cet article 90 a ouvert la voie à 41 procès entre 1990 et 2004, deux se soldant par des condamnations. La dernière affaire en date remonte à fin 2010. Un homme de 45 ans, Jörg Domsgen, publie alors sur son compte Facebook une photo montrant Bettina Wulff, l’épouse du chef de l’État de l’époque, en train de faire le salut nazi aux côtés de son époux.
Dans un commentaire, Jörg Domsgen la comparait à une "Blitzmädel", c’est à dire à une militaire nazie au moment de la Seconde Guerre mondiale. Un peu plus d’un an plus tard, début 2012, le président Christian Wulff retirait sa plainte après avoir reçu des excuses écrites.
Cette affaire a donné l’occasion à certains juristes de relever le caractère "désuet" de cette loi. C’est le cas d’Andrea Grotemeier, procureure de la République à Brème, qui dans un article publié sur le site internet Lto regrette le "come back" d’une "infraction exotique" qui ramène l’Allemagne à l’époque prussienne de Guillaume II.
Grèce : des étudiants dans le collimateur
En Grèce la loi sur les "Offenses aux gouvernants" qualifie de "crime de haute trahison" avec des peines allant de 10 ans de privation de liberté à la perpétuité:
- "Celui qui perturbe de façon passive ou active, ponctuellement ou continuellement, l'exercice de la fonction présidentielle, qui se base sur la volonté du peuple et sur les fondations de notre civilisation.
- Celui qui tente de contrer son action avec violence physique ou morale, ainsi qu'avec des menaces de violence physique ou morale."
Et le président de la République peut se montrer susceptible. Lors des récents défilés organisés pour les deux fêtes nationales, les 25 mars et 29 octobre derniers, il s'est estimé offensé. Des écoliers lui ont tourné le dos ou détourné le regard en passant devant la tribune officielle, certains arborant un bandeau noir sur leurs bras, en signe de protestation contre la politique d'austérité qu'il soutient.
Italie : une loi fasciste
En Italie, le délit d’insulte envers le chef de l'État a été introduit sous le régime fasciste en 1930 et n’a jamais été aboli. Le parti communiste italien a pourtant longuement combattu pour son abrogation. Ce délit est passible d’une peine de un à cinq ans de prison.
La semaine dernière, le débat a été relancé en Italie après qu’une enquête a été ouverte par le parquet napolitain contre 22 sympathisants du Mouvement5stelle pour "offense à l’honneur et au prestige du président de la République".
Ces militants avaient insulté le président Giorgio Napolitano sur le blog du comique Beppe Grillo, qui a demandé au chef de l’Etat d’abroger ce dispositif régi par l’article 278 du Code pénal. Dans un communiqué officiel, la présidence de la République a précisé que seul le parlement pouvait intervenir.
Il faut avoir la capacité d’établir une différence entre liberté de critique et respect des institutions, qui ne doivent pas être mêlées aux discussions politiques"
a toutefois rappelé ce communiqué, soulignant la gravité "des offenses faites à l’honneur et au prestige du président de la République".