Jugé utopique il y a quelques années, le financement participatif est en plein boom. Avec un marché de 50 millions d’euros en 2012, l’Europe a certes pris la vague, mais reste à la traine, comparée aux États-Unis. Victime d’un choc culturel ? Réponses avec Vincent Ricordeau, cofondateur et président de KissKissBankBank. Interview.
Pour commencer, rappelez-nous le concept de KissKissBankBank ?
Vincent Ricordeau : KissKissBankBank s'adresse à des réalisateurs, journalistes, musiciens, designeurs, mais aussi des sportifs, navigateurs ou explorateurs et permet à leurs projets d'exister. Notre plateforme est destinée aussi bien à des professionnels qu'à des amateurs. Pour eux, l’intérêt n°1 consiste à partager leur projet avec une communauté élargie, tout en conservant 100% de la propriété intellectuelle. On privilégie la création indépendante en favorisant la cocréation plutôt que la coproduction. Notre objectif : que chacun puisse donner naissance à cette créativité, car on est convaincu que c'est de cette façon qu'on pourra contribuer à changer le monde.
Comment se porte le crowdfunding en Europe, comparé aux États-Unis ?
Vincent Ricordeau : En France, KissKissBankBank a enregistré une croissance de 400% entre la première et la deuxième année, et autant l’année suivante. La tendance est la même à l’échelle européenne, où les sites leadeurs de crowdfunding en Allemagne, en Angleterre et en Espagne enregistrent des volumes équivalents. En 2012, le marché européen du crowdfunding pesait 50 millions d’euros. À titre de comparaison, cela correspond aux chiffres de la première année de lancement aux États-Unis, en 2009. En Europe, on a donc clairement trois ans de retard sur les États-Unis. En terme de volume, le marché européen ne rattrapera pas son homologue américain, mais il tend à s’en rapprocher.
Comment expliquer que cette évolution soit plus laborieuse en France et en Europe ?
Vincent Ricordeau : Aux États-Unis, le rapport à l’argent est décomplexé : on donne, on prête facilement… Tandis qu’en France, l’argent lui-même, en tant que valeur, est plus compliqué. Le rythme de progression similaire du crowdfunding en France et dans le reste de l’Europe démontre d’ailleurs que ces réflexes vis-à-vis de l’argent sont les mêmes partout en Europe.
Ce retard repose-t-il sur un choc culturel ?
Vincent Ricordeau : En partie, mais pas seulement. Aux États-Unis, il s’agit d’un mouvement très fort. Obama parle de crowdfunding tous les jours depuis trois ans. En France, en revanche, François Hollande a prononcé le terme de 'financement participatif' pour la première fois dans le cadre des dernières Assises de l’entrepreneuriat cette année… Il y a également tout un cadre règlementaire au niveau européen qui empêche le crowdfunding de se développer comme aux États-Unis.
Selon vous, quels secteurs d’activité sont amenés à se développer ?
Vincent Ricordeau : À l’avenir, pas un pan de l’économie ne sera épargné par le crowdfunding. Actuellement, on peut se lever le matin et prêter 5 euros à sa voisine pour ouvrir une crèche, et investir 50 euros dans la production d'un disque. En tant que particulier, tout est possible. Mais si les mouvements culturels et artistiques ont été les premiers, la tendance s’oriente peu à peu vers des plateformes dédiées aux entreprises, qui répondent à une logique d’investissement sans passer par les intermédiaires traditionnels. Ce qui explique d’ailleurs les craintes des banques et des systèmes de financement classiques…