La Calabre veut en finir avec sa mafia, la redoutable 'Ndrangheta. Certains résistent au péril de leur vie, comme Filippo Cogliandro, restaurateur à Lazzaro, petit village qui a dit non à la mafia. Reportage.
Des maisons blanches et bleues aux volets fermés, la mer qui danse sous le vent, l’odeur des bergamotiers, des petits bateaux de pêcheurs et des filets qui sèchent sur la plage caillouteuse. À l'horizon, l'Etna et les montagnes de Sicile. Bienvenue à Lazzaro et son décor de carte postale, une petite commune calabraise peuplée de 1135 habitants.
À une vingtaine de minutes de Reggio Calabria détruite par un séisme en 1908 puis par les bombes des Américains et des Allemands, Lazzaro a vécu son heure de gloire le week-end dernier. Pour montrer à la 'Ndrangheta, la puissante organisation criminelle locale que les Calabrais veulent relever la tête, la région vient d'organiser la remise du prix "Société civile et culture pour la légalité" dans cette petite commune.
Comme dans un film des années 70
Une cérémonie comme on en voit dans les films italiens des années 70, avec la bande des Bersagliers jouant de leurs trompettes en courant, les habitants en train d’applaudir, le maréchal des carabiniers et le maire bardé d’une écharpe tricolore. Dans la salle des fêtes, le gratin des procureurs antimafia du sud profond de la péninsule côtoyait les champions de la brigade financière intarissables sur leur dernière opération coup-de-poing.
Un coup de filet qui a permis une vingtaine d’arrestations. Une nouvelle défaite pour la 'Ndrangheta rejetée par une partie grandissante des Calabrais.
C’est le cas de Filippo Cogliandro, un quadragénaire tout en rondeur. Il a refusé il y a cinq ans, de payer le "pizzo", la dime réclamée par les mafieux en échange de leur protection.
La rébellion, Filippo l’a dans le sang depuis qu’il est petit à l'exemple de son père Demetrio. Avant lui, il avait refusé de plier la tête devant la 'Ndrangheta.
Mon père avait une petite pompe à essence. Un jour, ils sont venus et ils lui ont dit qu’ils le protégeraient s'il payait chaque mois, les cousins, c'est-à-dire la 'Ndrangheta. Il a dit non. Pour se venger, ils l’ont attendu un soir devant la maison et lui ont tiré dans les deux jambes. C’était en 1986, le soir de Noël "
se souvient Filippo.
Il y a cinq ans, le clan Barecca a frappé à la porte du restaurant de Filippo Cogliandro. Une famille mafieuse mise pourtant à l’index par la 'Ndrangheta, un membre du clan Filippo Barecca s’étant repenti dans les années 90 après avoir été condamné à neuf ans de prison.
Ils étaient six, trois femmes et trois hommes. Ils ont d’abord déjeuné et, à la fin du repas, deux d’entre eux m’ont demandé un rendez-vous. Deux jours plus tard, les deux hommes sont revenus. Ils m’ont dit que si auparavant j’avais payé quelqu’un pour me protéger, je devais arrêter, qu’ils étaient les seuls à pouvoir prélever une dime. Ils m’ont dit qu’ils viendraient manger et que je devais leur donner une enveloppe à la fin du repas . L’un d’entre eux était le gendre du parrain du clan. Je me suis dit que je ne pouvais pas accepter cela, que mes enfants n’auraient plus vécu en paix"
Après, la vie est devenue un enfer pour la famille Cogliandro. Petit à petit, le restaurant s’est vidé, les banques ont fermé les robinets, Filippo s’est endetté. La peur s’est installée. Pour y faire face, l’homme s’est concentré sur sa cuisine.
La peur reste permanente
Il a créé de nouveaux plats. Des filets de sèche crus posés sur un lit de riz noir et surmonté de petits morceaux de frais pour "exalter les différentes saveurs", des petits rouleaux de bar vapeur accompagné d’une petite tourte aux épinards et une pointe de bergamote. Les clients sont revenus.
Finalement, deux des mafieux ont été condamnés à quatre et six ans de prison.
Le gendre du parrain a particulièrement trinqué probablement du fait de ses liens familiaux. J’ai échangé des messages avec sa femme sur Facebook. J’ai de la peine pour elle, ce n’est pas de sa faute si elle est la fille du parrain. Et puis je pense à ses enfants"
confie Filippo Cogliandro.
Depuis, Filippo a encore plus peur. L’un des deux hommes est sorti de prison il y a quinze jours, mais il n'a pas été averti par la police.
Ils vont surement faire quelque chose pour laver l’offense. Comme pour mon père."