La politique familiale française, championne d'Europe? Si son efficacité est enviée en Allemagne et ailleurs, son déficit a conduit le gouvernement à diminuer certains avantages fiscaux aux familles les plus aisées. Plafonnement des prestations, "prime aux fourneaux" ou "voucher", nos voisins européens explorent d'autres pistes.
Avec un taux de fécondité proche du renouvellement des naissances (2 enfants par femme en 2012), la démographie française est enviée par beaucoup de voisins européens. La politique familiale n'y est sans doute pas étrangère.
Les allocations familiales existent en France depuis 1945. Elles sont versées aux familles françaises (ou étrangères résidant plus de 6 mois par an en France) sans condition de ressources, à partir de deux enfants à charge de moins de 20 ans. Elles varient en fonction du nombre et de l'âge des enfants: les familles touchent 129 euros par mois pour deux enfants à charge puis respectivement 293 et 458 euros pour trois et quatre enfants. A partir du quatorzième anniversaire de l'enfant, la prestation est majorée.
Autre héritage de l'après-guerre, la fiscalité française s'adapte au nombre d'enfants et applique une modulation de l'impôt, le quotient familial, calculé sous forme de parts. Si la famille compte deux enfants, ceux-ci constituent deux demi-part du foyer fiscal. A partir du troisième, chaque enfant compte pour une part entière.
Face au déficit de la branche famille de la sécurité sociale, le gouvernement a annoncé lundi un train de réformes. La principale: un nouvel abaissement du plafond du quotient familial (de 2000 à 1500 euros). En contrepartie, les allocations familiales et leur modalité de versement sont préservées.
La force de la politique familiale française réside aussi dans une offre généreuse des places en crèches, que le gouvernement français actuel a prévu de renforcer, avec la création de 275 000 places d'accueil supplémentaires.
En Allemagne, bientôt une prime aux fourneaux?
Une initiative qui va faire rêver les parents allemands. Outre-Rhin, le manque de structure d'accueil de la petite enfance se fait cruellement sentir. L'Allemagne fait pourtant face à un vieillissement sans précédent de sa population, lié au faible taux de fécondité (1,41 enfant/femme).
La politique familiale n'est cependant pas inexistante: les allocations familiales ("Kindergeld") sont accordées aux familles à partir du premier enfant, de la naissance à son dix-huitième anniversaire, sans condition de ressources. Aujourd'hui, 184 euros sont alloués à partir du premier enfant (190 euros pour le troisième enfant, et 215 à partir du quatrième). Les ménages peuvent conserver ces allocations jusqu'au 25 ans de l'intéressé, à certaines conditions, formation professionnelle ou autre.
En moyenne, les prestations familiales sont donc plus élevées en Allemagne qu'en France. Sur le plan fiscal, on ne recourt pas à un quotient familial outre-Rhin, mais à un abattement lié au nombre d'enfants sans lien avec les revenus.
La faiblesse démographique s'enracine ailleurs: le pays est confronté au manque de places en crèche et à un marché du travail défavorable aux femmes. Pour tenter d'y remédier, l'Etat a récemment légiféré: à partir du 1er août 2013, les parents seront en droit d'exiger la prise en charge de leur enfant de moins de 3 ans.
Mais les infrastructures suivront-elles? Des offres aberrantes apparaissent déjà, comme des crèches privées facturant jusqu'à 1300 euros par mois. De son côté, l'union chrétienne-démocrate (CDU) a proposé l'instauration d'une "prime aux fourneaux" ("Betreuungsgeld") de 100 à 150 euros pour les familles qui décident d'élever eux-mêmes leurs enfants.
Un gouffre pour ses détracteurs, puisque cela mobilise plus de 2 milliards d'euros. Et un risque d'accroître encore l'injustice sociale subie par les femmes, plus souvent cantonnées que les hommes à la maison ou aux emplois à temps partiel.
Aux Pays-Bas, le volontarisme ne suffit pas
Le système d'allocations familiales existe depuis 1941 aux pays-Bas. Au départ, elles n'étaient versées qu'à partir du 3ème enfant. Mais depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, les salariés en bénéficient dès le premier enfant, tandis que les indépendants ont dû attendre 1951.
Elles concernent les enfants jusqu'à 16 ans avec une prolongation d'un an si les enfants sont toujours scolarisés. Les allocations sont versées y compris pour des enfants qui ne résident pas aux Pays-Bas: il suffit que les parents y travaillent pour en bénéficier .
Les montants des allocations familiales sont indépendants des revenus: 192€ pour un enfant de 0 à 5 ans, 233 euros de 6 à 11 ans et 274 euros de 12 à 17 ans.
Les familles à bas revenus peuvent également bénéficier du "kindgebondendbudget" une prime mensuelle versée par le fisc. Le montant varie en fonction du nombre d'enfants, du revenu, etc.
Malgré ce régime plutôt favorable, la natalité néerlandaise reste faible : 1,8 enfant par femme, donc en dessous du seuil du renouvellement de population. Les crèches sont peu nombreuses et hors de prix. Mais surtout, il est encore très mal vu pour une mère d'enfants en bas âge de travailler à temps plein, ce qui explique en partie le taux très élevé de temps partiels féminins aux Pays-Bas.
Au Royaume-Uni, des prestations récemment plafonnées
Le ministre britannique du travail George Iain Duncan Smith a obtenu le plafonnement des prestations sociales attribuables à chaque famille. Désormais, elles ne peuvent recevoir plus de 31 200 euros par an. Si l’objectif du gouvernement est de lutter contre les abus, sa décision d’y intégrer les allocations universelles versées aux familles par enfant à charge a provoqué des étincelles.
Actuellement, chaque foyer reçoit 105 euros par mois pour son premier enfant et 69 euros pour chaque enfant suivant, et ce quel que soit le montant des revenus de ses membres.
Depuis le 5 avril 2013, les foyers dont l’un des membres a un revenu supérieur à 72 000 euros ne toucheront plus l’allocation. Seuls les foyers dont les deux membres reçoivent moins de 60 000 euros annuels la percevront intégralement. Cette mesure n’a pas été compensée par une augmentation du nombre de places en crèches ou par un changement des tarifs des crèches.
Le manque de places dans les crèches publiques et le coût des crèches privées (1 700 euros par mois en moyenne pour un plein-temps) est subi principalement par les femmes: celles-ci prolongent souvent leurs congés maternité jusqu’à 1 an, les derniers mois n'étant pas payés.
Natalité en berne dans la catholique Pologne
Les familles polonaises bénéficient d’un allégement fiscal de 1 112 zlotys (253 euros) par enfant. Depuis 2006, les parents de chaque nouveau-né reçoivent 1 000 zlotys (250 euros) de la part de l’Etat. Cette année, la loi a changé et cette "prime" est destinée uniquement aux familles défavorisées.
Depuis la mi-mai, le parlement discute des propositions gouvernementales. Les nouveaux projets incluent, entre autres, une aide de 504 millions de zlotys (126 millions d’ euros) aux municipalités destinée aux écoles maternelles qui manquent de places pour accueillir les jeunes candidats. Une aide de 10% aux crédits immobiliers est par ailleurs prévue pour les jeunes acquéreurs, ce qui favorise les parents.
Mais le grand débat de la politique nataliste est la fécondation in vitro. L’opposition conservatrice et certains membres du parti au pouvoir refusent qu'elle soit remboursée par la sécurité sociale, ce qui n'est pas sans lien avec la pratique extrêmement restrictive de l'IVG. La Pologne reste attachée à ses racines catholiques. Paradoxalement, le taux de natalité en Pologne est le plus bas d’ Europe.
En Italie, du "bonus bébé" de Tremonti au "voucher" de Monti
Avec un taux de natalité de 9,3% en 2012, l’Italie est, elle aussi, à la traine de l’Europe. Pour relancer la natalité, Giulio Tremonti, ministre du Trésor du gouvernement Monti, avait introduit en 2005 le "bonus bébé". Un dispositif accordant 1000 euros aux familles ayant un nouvel enfant.
Quelques mois avant les législatives de 2006, l’exécutif Berlusconi avait commis un gros dérapage électoraliste en expédiant un chèque à des millions d’Italiens en âge de procréer et sans aucune condition de revenus puisque le footballeur Francesco Totti figurait dans la liste des bénéficiaires … Quatre ans plus tard, l’administration a réclamé cette somme à tous ceux qui, finalement, n’avaient pas eu de descendance au moment de l’introduction du dispositif, en y ajoutant les intérêts. Un sacré bonus pour l’Etat, mais pas pour les familles!
L’an dernier, l’exécutif Monti a repris le dossier en main. Les femmes prêtes à reprendre le chemin du travail avant que leur enfant ait soufflé sa première bougie touchent un chèque mensuel de 300 euros pendant six mois. Cette somme, versée sous forme de voucher (bon de commande), est destinée à couvrir les frais de crèche ou de baby-sitter.
En revanche, les familles avec trois enfants mineurs à charge perçoivent une allocation familiale versée par la Sécurité Sociale de 130 euros par mois. A une condition cependant: les ménages doivent déclarer un revenu annuel inférieur à 23 363 euros. L’Etat intervient aussi pour aider les femmes au chômage (Italiennes et immigrées en situation régulière). Elles reçoivent un chèque de 325 euros pendant cinq mois.