L'IVG est à nouveau source de polémiques en Espagne, alors que le gouvernement conservateur envisage de réduire les possibilités d'avortement. Rencontre avec Francisca Garcia, gynécologue et porte-parole de l'association ACAI, qui regroupe les cliniques espagnoles accréditées pour l'IVG.
Le droit à l'avortement est-il menacé en Espagne? Le ministre de la justice, Alberto Ruiz-Gallardon, relance la polémique en remettant en cause la législation actuelle. Pour Francisca Garcia, gynécologue, les propositions gouvernementales sont alarmantes, même si la majorité de la société espagnole ne les soutient pas.
Etes-vous inquiète des projets du gouvernement en matière d'avortement ?
Le débat est loin d'être clos, car on ne sait pas comment va s'achever cette réforme. Il n'y a pas encore de calendrier ni de proposition claire. Tout ce que l'on a, ce sont les déclarations dans les médias de Alberto Ruiz-Gallardon (ndlr : le ministre de la Justice) et les interprétations que l'on peut en faire.
D'après ce que dit M. Gallardon, il sera plus compliqué d'avorter en cas de malformation du fœtus. Aujourd'hui, il n'est pas difficile d'avorter en Espagne. Depuis la loi de 2010, l'IVG est possible jusqu'à 14 semaines sans justification, et 22 semaines en cas de pathologies du foetus ou s'il existe un risque pour la mère. Mais si ce que dit le gouvernement s'accomplit, on aurait alors une loi plus restrictive.
On pourrait revoir des pratiques clandestines, avec des avortements qui mettraient la santé des femmes en péril. Et comme autrefois, celles qui ont le plus de ressources économiques iraient de nouveau consulter en Europe, vers des pays plus permissifs.
La restriction des IVG en cas de malformation du fœtus est l'un des points qui a suscité le plus de controverse. Qu'en pensez-vous ?
Je pense que c'est la femme qui doit décider, en toutes circonstances. Et encore plus dans le cas d'une pathologie du foetus. Elle seule peut déterminer si elle a les capacités pour assumer une maternité. L'IVG est un droit qui relève de la vie privée. Cela ne doit pas dépendre d'une tierce personne, que ce soit un médecin ou un juge.
Certaines cliniques subissent des menaces, des manifestations… Le débat actuel a-t-il installé un "climat" négatif autour de vos établissements ?
Par exemple, la semaine dernière, une femme s'est installée pendant deux jours devant la clinique de Grenade où je travaille, pour tenter de harceler et de convaincre les personnes qui venaient nous voir de ne pas procéder à l'IVG.
Mais généralement, la société civile espagnole, dans sa majorité, soutient le droit à l'avortement. Les secteurs « anti » sont socialement minoritaires.
Lors d'une session à l'Assemblée, une députée de la majorité a récemment déclaré : « Les femmes qui avortent sont celles qui ont fait le moins d'études ». Une phrase qui a fait polémique. Que pensez-vous de ce prétendu « profil » ?
Au quotidien, je vois tous types de femmes ! En Espagne, 80% des femmes qui avortent ont au moins le bac ou des diplômes universitaires. Si je me fie à mon expérience professionnelle, celles qui n'ont aucun diplôme sont très minoritaires, et elles viennent souvent de pays étrangers.
Aujourd'hui, l'avenir de l'IVG en Espagne est menacé. Comment les femmes qui viennent vous consulter ressentent-elles cette incertitude ?
La plupart estiment qu'un changement de loi compliquerait sérieusement leur situation. Elles ne comprennent pas comment quelqu'un peut les obliger à avoir un enfant qu'elles ne désirent pas. Aujourd'hui, elles peuvent faire une IVG librement, jusqu'à un nombre déterminé de semaines de gestation. Et là, du jour au lendemain, au gré des conjonctures politiques, on pourrait les empêcher de décider de leur maternité. Ça leur paraît incompréhensible.
Il n'y a aucune raison sociale ou objective qui puisse justifier un changement de loi. On n'observe pas une augmentation notable des IVG ces dernières années, que ce soit chez les femmes majeures ou chez les jeunes de 16 ou 17 ans (ndlr : celles-ci peuvent avorter sans autorisation parentale, ce qui pourrait être remis en cause par la réforme). Si l'objectif du gouvernement est de faire baisser le nombre d'avortements, on sait déjà qu'une loi restrictive ne les réduit pas.
Cette réforme n'améliorera pas le quotidien des Espagnols ! Ce débat répond à des motifs idéologiques.
En tant que médecin et observateur social, avez-vous l'impression, au gré des discussions avec vos patientes, que le poids de l'Eglise influence les positions?
Il s'agit surtout du poids de l'Eglise au sein du gouvernement ! Car la société civile est beaucoup moins pratiquante qu'avant. Ce n'est donc pas la société dans son ensemble qui attaque l'IVG mais une frange droitière du parti au pouvoir. D'ailleurs, le gouvernement semble lui aussi divisé sur la question.