Le bras de fer est inédit : après un boycott des conseils de classe, les enseignants portugais font la grève des examens. L’éducation est particulièrement visée par le nouveau programme de réduction des dépenses publiques.
La grève des conseils de classe a commencée il y a une semaine. Les professeurs ont entamé leur combat contre le démantèlement du service public d’enseignement par la grève des conseils de classe. Il suffit qu’un seul professeur ne se présente pas au conseil, pour qu’il soit annulé. La direction a alors 48 heures pour fixer une nouvelle réunion, ou, une fois de plus, il suffit qu’un professeur soit dispensé pour rendre caduque la réunion…
Cette politique syndicale de la chaise vide aux conseils de classe a été un franc succès. Les élèves se présentent donc aux examens de fin d'année sans connaitre leur évaluation du 3e trimestre.
Mais cela n'a finalement guère d'importance pour bon nombre d'entre eux, les examens étant, eux aussi, boycottés.
Menace de réquisition
Lundi 17 juin, le premier jour des épreuves pour les 92 000 candidats à l’entrée à la faculté. Ils devaient passer le portugais et le latin pour ceux qui ont choisi cette option, mais les examinateurs dans ces matières n'étaient pas à leur poste.
Pendant des jours, le gouvernement a tenté d’obtenir un accord avec les syndicats pour empêcher de "mettre en péril l’année scolaire en cours et la suivante". Près de dix heures d’intenses tractations vendredi dernier n’ont pas réussi à faire fléchir les profs.
Au contraire, les menaces sur le recours éventuel à la réquisition, ont surtout servi à jeter de l’huile sur le feu.
Le premier ministre Pedro Passos Coelho a même évoqué la possibilité de modifier la loi sur la grève pour y introduire le service minimum dans l’éducation nationale. Résultat, samedi 15 juin, les professeurs sont massivement descendus sur l’Avenue de la Liberté, l’artère principale de Lisbonne, et passage obligé des grandes manifs.
Une question de dignité
Entre 80 et 100 000 enseignants, selon les syndicats, ont réclamé la démission du ministre de tutelle, Nuno Crato, et celle du gouvernement. Une marée de drapeaux et de chapeaux, soleil radieux oblige, pour exprimer colère et tristesse.
On en a marre d’être maltraités. C’est notre dignité qui est en jeu. On remet tout en cause, notre temps de service et depuis 2005 nos progressions dans la carrière sont bloquées. Nous sommes obligés d’investir dans notre propre formation. On travaille de plus en plus et dans des classes surchargées. Et au bout du compte on gagne chaque fois moins. J’ai fait les comptes, depuis 2005 on a perdu un tiers de nos revenus"
s’insurge Cristina de Céu Pinto, institutrice à Condeixa, une ville moyenne du centre du Portugal. Cristina et son amie Maria da Luz sont venues en bus spécialement affrété pour l’occasion.
Elles aussi sont en grève ce lundi, "par solidarité".
Dans le cortège bigarré, beaucoup de jeunes enseignants, préoccupés de leur avenir. Carolina professeur de portugais a été affectée à "l’éducation spéciale", destinée aux enfants handicapés ou en difficultés. A 33 ans, elle n'a pas cessé d'être déplacée depuis onze ans du nord au sud du Portugal :
Je ne pensais pas qu’après cette précarité je serai tout simplement en risque de perdre mon travail. Tous les ans le nombre de professeurs contractuels sans affectation diminuent. Je ne sais pas si j’aurai un poste à la rentrée".
En septembre 2012, des 51 000 professeurs contractuels seuls 7600 ont trouvé un poste. C’est 5000 de moins que l’année précédente. Beaucoup d’entre eux ont 10, 15 et même 20 ans d’expérience, ponctuées par des rentrées improbables et chaque année l’angoisse de ne pas savoir ce qui va se passer.
Les profs "recyclés" dans l'administration
Après les contractuels, ce sont les professeurs titulaires qui sont affectés. Là encore en 2012, 14 000 d’entre eux ont été placés en "horaire zéro" : pas de classe, pas de travail, mais une mise à disposition contre le revenu auquel ils ont droit s’ils étaient en classe. Le gouvernement veut modifier les règles concernant cette "mobilité spéciale".
La rémunération d’abord. Elle sera pleine les deux premiers mois, puis chutera à 60 % du revenu les mois suivants. Et c’est en fait la définition même de la mobilité spéciale -les surnuméraires- qui se transforme et devient requalification, à savoir que les profs sans affectation seront formés pour être affectés vers d’autres services administratifs.
Mais où s’interrogent les syndicats ?
L'État ne sait pas ce qui lui manque et où, et de toutes façons 30 000 postes de fonctionnaires doivent disparaitre. Alors former des gens à des fonctions en voie de disparition ?
C’est l’un des arguments qu’opposent les deux grands syndicats du secteur, la FENPROF affiliée á la CGTP (proche des communistes) et la FNE affiliée à l’UGT, modérée.
Et puis, cerise sur le mauvais gâteau de la rigueur budgétaire, un allongement du temps de travail, de 35 à 40 heures hebdomadaire…
Alors que les profs crient qu’ils n’en peuvent plus, le gouvernement et certains de ses soutiens – de plus en plus réduits- parlent d’une guerre syndicale pour défendre des privilèges d’un autre âge. "L’obstination" des syndicats est dénoncée par certaines associations parentales au nom du bien suprême de l’enfant et de l’élève.
Mais les enseignants- qui ont garanti que tous les candidats passeront finalement les épreuves auxquelles ils sont convoqués- affirment, eux, que c’est le principe de l’éducation publique, laïque et gratuite qui est en jeu.
Dans un contexte de dégradation sociale et économique, le bras de fer va se poursuivre. Les enseignants ont prolongé leur préavis de grève jusqu’au 28 juin, ce qui laisse entendre que d’autres examens pourront être affectés.
Et le 27 juin, ce sera la grève générale au Portugal. Une grève unitaire CGTP/UGT, la troisième depuis l'instauration de la démocratie en 1974. Et la seconde en deux ans depuis l’arrivée au pouvoir de l’actuel gouvernement et la mise sous tutelle internationale du Fond Monétaire International et de l’Union Européenne.