Allemand d'origine turque, Halil Gülbeyaz s'est installé il y a peu à Berlin. Athée, alévi, engagé à gauche, cet écrivain et journaliste est aussi père de deux enfants. Pour Myeurop, il explique son choix et partage son regard sans concession sur la politique d'Erdogan comme de Merkel. Portrait d'un résistant germano-turc.
Ces dernières semaines, Halil Gülbeyaz a rongé son frein. Tandis que la jeunesse turque campait sur la place Taksim, à Istanbul, pour dénoncer la politique autoritaire du premier ministre Recep Tayyip Erdogan, lui se trouvait à Berlin, dans son nouvel appartement du quartier de Friedrichshain, situé dans l’ancien Berlin est.
Du matin au soir et "la nuit aussi parfois", il a suivi les événements sur internet, à chercher des retransmissions en direct par le biais de sites montés à la hâte.
Lorsque ces manifestations ont éclaté, j’ai ressenti un grand sentiment de fierté envers ces jeunes qui ont réussi à paralyser la vie du pays. Comme j’ai regretté de ne plus être à Istanbul!"
Ce journaliste et écrivain de 51 ans ne s’attendait pas à ce soubresaut de la jeunesse turque. "Et pour cause!" avoue-t-il. "Ces derniers mois, j’étais tellement démoralisé par la situation en Turquie que j’ai décidé de rentrer définitivement en Allemagne".
Une mégapole stambouliote "difficile à vivre au quotidien"
Journaliste indépendant travaillant pour les chaînes publiques allemandes NDR et ARD et auteur notamment d’une biographie en allemand sur Mustafa Kemal, le fondateur de la République de Turquie, Halil Gülbeyaz a vécu durant 25 ans à Hambourg avant de passer les huit dernières années à partager sa vie entre cette ville du Nord de l’Allemagne et Istanbul.
Mais en début d’année, il décide de quitter la mégapole stambouliote "trop difficile à vivre au quotidien" pour s’installer dans la capitale allemande.
En Turquie, j’ai ressenti dans ma vie les effets de la politique d’islamisation du gouvernement",
explique-t-il, installé dans son grand appartement berlinois encore en travaux. "Par exemple, je n’ai pas pu donner mon nom de famille à mes deux enfants car je ne suis pas marié avec leur mère. Et puis si j’étais resté, mes enfants, une fois scolarisés, auraient certainement du suivre un cours sur l’islam sunnite et la vie du prophète Mahomet. Cela, en tant qu’alévi et athéiste, je ne le souhaitais pas".
Originaire d’une famille kurde alévie fortement marquée par des opinions politiques de gauche, Halil Gülbeyaz dit "craindre" par essence tout gouvernement qui se revendique religieux. Et il constate l’accroissement des pressions sociales et politiques exercées ces deux dernières années par le gouvernement islamo conservateur de Recep Tayyip Erdogan sur la société turque.
Avant de rentrer définitivement en Allemagne, je n’arrivais plus à regarder les informations. Je ne pouvais plus écouter discourir ce premier ministre (Recep Tayyip Erdogan, ndlr), arrogant, qui abaisse systématiquement ceux qui n’ont pas la même opinion que lui et qui divise la population. Changer de chaine était inutile car toutes ou presque sont sous pression du gouvernement. Je me suis senti écrasé par la dictature de la majorité. Je me suis dit : soit je résiste à ce régime soit je pars. Malheureusement, tous n’ont pas pu faire comme moi".
"L’UE n'est pas un remède miracle" pour la Turquie
Durant huit années, ce journaliste aux cheveux grisonnants a voulu "donner une chance" à la Turquie, un pays que sa mère avait quitté dans les années 1970 pour venir travailler comme "Gastarbeiter" (travailleur étranger "invité"). Lui-même l'a quitté en 1979, pour échapper à la police alors qu'il était membre d’une organisation d’extrême gauche. "A une époque, notamment lorsque Gerard Schröder était chancelier allemand (1998-2005, ndlr), on a constaté d’importants développements en Turquie, destinés à faire entrer le pays dans l’Union européenne. Mais je n’ai jamais cru que l’UE serait un remède miracle pour ce pays".
Pessimiste et un brin radical, ce père de famille estime que la Turquie n’a pas sa place en Europe, et moins encore depuis que le gouvernement a violemment réprimé les récentes manifestations.
Si rien ne change, il sera impossible qu’Ankara adhère. C’est un pays qui soumet ses minorités, qui limite les libertés individuelles, qui ne tient pas compte des droits de l’homme. L’économie fonctionne bien mais cela ne suffit pas. Cela me rend extrêmement triste lorsque je pense à mes amis restés sur place."
En Allemagne, "Je ne m'y sens pas chez moi"
En tant qu'Allemand d'origine turque, il se situe de lui-même au sein une minorité, celle des alévis qui seraient près de 600.000 dans le pays. 40.000 d'entre eux ont manifesté le 23 juin à Cologne pour dénoncer la répression policière des manifestants de Gezi. "Les 2,5 millions de turcs d'Allemagne sont en grande majorité le reflet de la Turquie. Ils sont venus dans ce pays pour des raisons économiques et même après 2 ou 3 générations, ils restent nationalistes et religieux. Ce que je ne suis pas".
Vis-à-vis de la politique allemande, Halil Gulbeyaz est critique. "Angela Merkel développe une politique contre la Turquie en pensant aux prochaines élections de septembre" estime-t-il. Quant à l’Allemagne, pays où il a étudié, vécu la plus grande partie de sa vie et dont il possède le passeport, elle est à ses yeux "un endroit où l’on peut vivre comme un être humain". "Je ne m’y sens pas chez moi mais j’y ai ma vie. Une vie que je peux mener de manière démocratique".