Article du 28/06/2013 mis à jour le 01/07/2013.
Les 'class action' débarquent en France. L'Assemblée nationale a adopté hier le 1er article de la loi qui permettra aux consommateurs de se pourvoir collectivement en justice. Une pratique déjà largement répandue en Europe. Illustration aux Pays-Bas, en Italie, en Espagne et en Allemagne. Plaignants de tous les pays, unissez-vous!
La France se dote de "class actions". La mesure phare du projet de loi déposé par Benoît Hamon, le ministre délégué à la Consommation, vient d'être adoptée. Les consommateurs français pourront désormais intenter des actions de groupe afin de demander collectivement réparation en cas de préjudice.
Le texte en cours de lecture autorisera uniquement les recours pour le secteur de la consommation. L'environnement n'y est donc pas. Quant à la santé, il faudra être patient. Marisol Touraine, Ministre des affaires sociales et de la santé, s'est dit favorable à la mise en place de "class actions" dans ce domaine. Elle déposera d'ailleurs un projet de loi… en 2014.
Seules 17 associations de consommateurs, habilitées par l’État, pourront mener des actions de groupe. Les réparations ne porteront que sur les préjudices matériels. Les dommages civils et moraux sont exclus du texte.
L'UMP dénonce un projet de loi a minima. La couleur avait pourtant été annoncée dès l'ouverture du débat parlementaire par Pierre Moscovici, Ministre de l’économie et des finances. Le texte est avant tout un moyen de relancer l'activité économique des Français:
Ce projet fait tout d’abord des consommateurs des acteurs de la relance par cette notion si essentielle pour l’économie: la confiance."
Reste aux députés français de statuer sur les 70 articles suivants… Avec cette loi, la France rattrape ainsi son retard sur les autres pays européens… mais seulement en partie.
Espagne: des 'class actions' difficiles à mettre en oeuvre
"Nous sommes dans cette procédure judiciaire pour réclamer notre argent, mais aussi dénoncer, sur le plan pénal, la gestion du conseil d'administration de la banque." Ce matin-là, Emilio León, 35 ans, est venu des Asturies jusqu'à Madrid pour protester face au siège de Liberbank. Comme d'autres caisses espagnoles, cette banque est accusée d'avoir vendu massivement des titres préférentiels à ses clients, à l'éclatement de la crise, pour faire face à ses besoins de liquidités. "Mes parents retraités ont perdu 50.000 euros, soit l'économie de toute leur vie. La banque nous a vendu ces produits toxiques comme si c'était un dépôt à taux fixe." Pour lui, l'action collective en justice est une évidence:
"On est là aujourd'hui car on veut se regrouper, et dénoncer ensemble."
En théorie, ce type d'action est possible dans les tribunaux espagnols. Mais le processus est loin d'être aussi simple que le modèle des "class actions" à l'anglo-saxonne. Un écueil important complique la tâche des cabinets d'avocats qui gèrent ces dossiers. Selon les textes de procédure civile, "la majorité des personnes affectées" doivent en effet se joindre à la plainte.
En principe, nous avons un équivalent de l'action class, mais notre loi n'est pas adaptée. Dans le cas de Bankia par exemple, on parle de 300.000 personnes touchées. Il est quasi impossible d'en réunir la majorité. Ce type d'actions collectives est donc très dur à mener",
explique José Luis González-Montes, avocat au cabinet Cremades & Calvo-Sotelo, connu pour avoir porté en justice le cas de 15.000 personnes affectées par une grève des contrôleurs aériens, en 2010.
Plusieurs cabinets se sont d'ailleurs réunis pour réclamer l'introduction de la class action en bonne et due forme dans la législation espagnole. Joaquin Yvancos, avocat qui représente entre autres des centaines de petits actionnaires de Bankia, y croit:
Je pense que ça viendra. Dans le cas contraire, la seule chose qu'on obtient, c'est l'engorgement des tribunaux. Il faut que n'importe qui puisse se joindre à une procédure unique".
En Allemagne, les 'class action' étouffées par un cadre très restrictif
En Allemagne, les recours collectifs sont permis mais les conditions qui encadrent une telle procédure sont extrêmement restrictives. Depuis 2005, des class action peuvent être lancées si elles regroupent des plaintes similaires qui ont été déposées séparément par les plaignants. A la différence des Etats-Unis, une requête ne peut ainsi pas être lancée par des personnes au nom d’un groupe défini de façon abstraite. Cette limitation réduit énormément le spectre de cette procédure.
Outre-Rhin, la principale action en justice a regroupé 34.000 plaignants. Ils ont attaqué les principales compagnies de télécommunications pour une atteinte contre leurs libertés. Une loi datant de 2008 oblige en effet les opérateurs à garder tous les courriels envoyés et les communications téléphoniques passées par leurs clients afin de lutter contre le terrorisme. Et l’an dernier, la Cour régionale de Francfort a rejeté le recours collectif déposé par 17.000 actionnaires minoritaires de Deutsche Telekom qui jugeaient que la compagnie avait diffusé de mauvaises informations au moment de son entrée en bourse en 2000.
Pays-Bas : une 'class action' américaine ouvre grand la porte
Les Pays-Bas sont l’un des pionniers des actions collectives en Europe. Dès 1993, la loi permet à des fondations ou des associations d’engager une action en justice pour obtenir collectivement réparation. Mais ces actions ne pouvaient pas déboucher sur des compensations financières des dommages subis.
Depuis la promulgation de l’Acte des Actions Collectives (WCAM) du 27 juillet 2005, les citoyens peuvent se grouper pour demander une indemnisation commune. Cette loi est alors prévue uniquement dans le cadre national néerlandais. A l’image de la première action collective de citoyens néerlandais, menée par contre des entreprises nationales responsables de la commercialisation du DES, un médicament défectueux.
Reste que, très vite, le mécanisme s’emballe: en 2007, la banque Dexia fait l’objet d’une class action alors que seule une partie des plaignants sont citoyens néerlandais. En 2010, un autre pas est franchi. Converium, compagnie suisse de réassurance, est attaquée par une class action de droit américain. Le juge exclut tous les investisseurs non-américains de cette action collective. Mais bien que les investisseurs néerlandais n’aient constitué qu’une infime partie de l’ensemble, ils ont pu se présenter à la Cour d’Appel de La Haye et ont obtenu gain de cause. Les investisseurs suisses, norvégiens, islandais ou citoyens européens sont tous couverts par cette décision: en fait, il suffit qu’un seul plaignant soit domicilié aux Pays-Bas pour que le dispositif joue.
Cet arrêt Converium a suscité des remous dans la communauté internationale pour deux raisons:
- Il permet à des citoyens non-américains d’intenter une action collective au niveau européen,
- Et parce que la possibilité pour des citoyens européens de se regrouper dans une telle action pourrait inciter les juges américains à exclure systématiquement les résidents d’autres pays de leur jugement.
Comme le disent les juristes Jeroen Kortman et Marieke Bredenoord-Spoek, le fait d’avoir une législation spécifique et si facile à mettre en œuvre n’explique pas entièrement le nombre croissant de ce type d’actions aux Pays-Bas. Plus globalement, le recours des citoyens à aux class actions "pourrait au contraire refléter une tendance croissante en Europe".
Italie : action collective contre l'eau polluée
En Italie, les actions collectives ont été introduites dans le code civil en juillet 2009. Depuis, plusieurs class actions ont été présentées. Dernier exemple en date, au mois de février: un groupe de touristes napolitains, qui avait porté plainte contre une agence de voyage, a gagné son procès coollectif. L’agence était accusée d’avoir vendu un voyage à Zanzibar, dans une résidence luxueuse qui s'était avérée n'être qu'à l'état de chantier. Après avoir ces vacances en enfer, les touristes s'étaient tournés vers la justice.
Une autre class action est actuellement en cours. Elle concerne une affaire d’eau courante polluée. Plusieurs associations de consommateurs, représentant quatre mille résidents de deux petits villages situés dans la région du Molise, ont saisi le tribunal de Rome en mars dernier. Les faits remontent à noël 2010. Durant un contrôle de la qualité de l’eau courante distribuée dans huit communes du bas Molise, les experts avaient noté un taux trop élevé de trihalométhane dans les conduits.
Pendant plusieurs semaines, la distribution d’eau courante avait été interrompue. Avec cette action collective, la population résidente pénalisée a porté plainte contre l’administration publique locale. Les plaignants réclament une indemnité, que les avocats de la défense ont estimé à 1.000 euros par personne.