Fiat a pris le contrôle du Corriere della Sera. Ce n'est pas une bonne affaire: le premier quotidien italien est en déficit chronique. Mais le titre est prestigieux et le constructeur automobile dispose ainsi d'un puissant moyen de communication.
Le groupe Fiat est devenu le premier actionnaire du groupe de presse Rcs Mediagroup, qui détient le premier quotidien italien, Il Corriere della Sera. En investissant plus de 10 millions d’euros, sa participation au capital grimpe de 10,5% à 20,13%.
En prenant le contrôle de ce quotidien dont les ventes frôlent la barre des 445.000 exemplaires, le groupe de la famille Agnelli renforce sa présence dans la presse italienne. Le constructeur automobile a désormais sous sa coupe trois quotidiens importants: La Stampa, la Gazzetta dello sport, leader de la presse sportive et Il Corriere della Sera. Sans parler des régies publicitaires de Rcs Mediagroup dont la force de frappe est sans égal en Italie.
Malgré la crise de la presse quotidienne italienne, Fiat n'était pas le seul sur les rangs. Le principal adversaire de Fiat, l’industriel Andrea della Valle qui souhaitait lui aussi s’emparer du prestigieux quotidien.
Une presse quotidienne malade
Selon la fédération de la presse italienne, les ventes des quotidiens ont chuté l’an dernier de 6,6% et de 22% sur les cinq dernières années. Traduit en chiffres, cela veut dire que les titres de la presse quotidienne ont vendu un million d’exemplaires en moins depuis 2008.
Quant aux recettes publicitaires, elles ont baissé de 14,8% depuis 2011. Une partie des annonceurs a émigré sur les sites d'information qui ont enregistré une hausse de 5,3% de leurs revenus publicitaires. A l’origine de cette désaffection des lecteurs pour la presse écrite, la crise qui les pousse à économiser le prix d'un journal qui atteint en moyenne à 1,20 euros par jour.
Plusieurs titres ont pratiquement disparu des kiosques à commencer par l’Unità, le quotidien communiste fondé par Antonio Gramsci en 1924. Ou encore, Il Manifesto dont les ventes n’arrivent plus à dépasser la barre des 15.000 exemplaires vendus en kiosque.
"La liberté de presse est en danger"
Pour mettre des bâtons dans les roues du constructeur automobile, Andrea della Valle, avait pourtant fait appel au chef de l’Etat en soulevant le problème de la liberté de presse.
Avec le rachat du Corriere della Sera, l’une des pièces les plus importantes du puzzle de l’édition italienne, la liberté de presse est en danger"
explique-t-il dans une lettre rageuse à Giorgio Napolitano le propriétaire des chaussures à picots Tod’s. L’industriel d’origine toscane demande au président de la République d’intervenir
pour éviter qu’un seul et unique groupe prenne le contrôle du quotidien pour l’utiliser à des fins personnelles".
Le message est clair: Fiat souhaite soigner ses intérêts à travers le Corriere della Sera. L’appel n’est pas resté lettre morte, l’Antitrust, l’autorité italienne de régulation de la concurrence a ouvert une enquête sur les modalités et les conséquences de la montée en puissance de Fiat dans le capital social du premier quotidien italien.
Fermeture d'usines
L’autorité de régulation s’interroge particulièrement sur les raisons qui ont poussé le constructeur frappé de plein fouet par la crise à s’investir un peu plus dans la presse. De nombreux ouvriers de Fiat sont au chômage technique, plusieurs usines sont fermées ou sur le point de mettre la clef sous la porte et le constructeur automobile a brandit à plusieurs reprises la menace de la délocalisation dans son bras de fer avec les syndicats.
Dans un tel contexte pourquoi investir dans le Corriere della Sera qui doit être restructuré en profondeur pour réduire ses pertes? L’autorité de régulation est pour le moins perplexe.
Licenciements de journalistes
En février dernier, une opération de remise à plat des comptes en pleine déliquescence avait été envisagée avec la présentation d’un plan social sévère et, à la clef, la mise à pied d’un tiers des effectifs. Soit 110 journalistes sur 355. Pour ceux qui restent, la réduction des salaires et des avantages sociaux (voitures de fonction, bons essence, assurance, téléphone et notes de frais trop généreuses) est au programme.
La direction envisageait aussi de revoir les feuilles de présence des journalistes qui adaptent trop souvent leurs horaires à leurs contraintes personnelles. Une réduction de la pagination pour réduire les coûts d’imprimerie avait aussi été annoncée. Pour protester, les journalistes ont croisé les bras pendant deux jours en mars dernier.
Avec l’arrivée du groupe Fiat, ce plan de redressement des finances du quotidien sera probablement repris par les experts de Fiat. Pour affronter la concurrence des nombreux sites d’information, un regroupement des rédactions de plusieurs quotidiens pourrait être mis en œuvre.
Pour l’heure, le comité de rédaction du Corriere della Sera n’a pas encore réagi. Mieux vaut attendre que le loup sorte du bois, estiment les représentants de la rédaction milanaise.