Portée par un nombre historique de participants, laissée (enfin) en paix par l’extrême droite, et rejointe pour la première fois par… les entreprises: la Marche des fiertés de Budapest a été un succès, le weekend dernier. Une bonne nouvelle pour la visibilité et la reconnaissance des minorités sexuelles en Hongrie. REPORTAGE.
Drapeaux arc-en-ciel sous un soleil de plomb, chars barriolés crachant du Michael Jackson et du Daft Punk, bulles de savon dansant au-dessus banderoles Google ou Prezi…: entre 8.000 et 10.000 personnes ont défilé de la place des Héros jusqu’au Danube, à l’occasion de la 18e édition de la "Marche des fiertés budapestoise", le week-end dernier.
Le Jobbik reste à la maison
A première vue, rien ne distingue la Pride hongroise d’une Gay Pride classique. A première vue. Car en toute discrétion, la Hongrie vient en fait de vivre la plus grande Pride de son histoire, rassemblant deux fois plus de personnes que l’an dernier: l’événement est bel et bien sorti de l’anonymat.
Dominika, l’une des organisatrices, précise que la foule "joyeuse, libérée, hétéroclite et solidaire" ne s’est pas contentée de prendre part à la marche. Elle a aussi rejoint les quelque soixante-dix événements (concerts, discussions…) de ce mini festival LGBTQ (lesbien, gay, bi, trans, queer), organisé dans la capitale durant toute une semaine.
Lors du défilé de la marche des fiertés, à Budapest (©Hélène Bienvenu)
Même les cordons de sécurité déployés sur toute la longueur du trajet de la marche par 2.000 policiers pour contenir une centaine de contre-manifestants n’ont pas entravé la fête.
Jusqu’à présent, la Pride de Budapest se déroulait sous haute tension. En 2007 notamment, l’événement avait été assombri par des groupouscules d’extrème droite provoquant de violentes altercations.
Mais cette année, même le Jobbik, le parti nationaliste hongrois qui ne cache pas sa préférence pour l’hétérosexualité, n’était pas de la partie. Ses dirigeants ont publiquement déclaré ne pas vouloir provoquer la "marche des pédés".
En faveur des minorités au sens large
Pourtant, quelques jours avant la Pride, une site extrémiste s’était fait un malin plaisir de publier une série de photos, pour constituer une "base de données des enculés". Violant ainsi toutes les règles de confidentialités et de protection de la vie privée. Un mini scandale en amont de la marche, auquel la communauté ciblée a répondu par l’humour: un miroir indiquant "liste d’enculés" circulait en fin de char.
Lors du défilé de la Budapest Pride (©Hélène Bienvenu)
Certes il y a bien eu trois agressions de manifestants au sortir de la Pride, trois de trop. Mais Jérôme, qui a eu la surprise de voir bon nombre de ses connaissances figurer dans la liste des "déviants" n’hésite pas à affirmer que "l'extrême droite a très clairement perdu cette bataille et en perdra surement de nombreuses autres".
A ses yeux, la gay pride hongroise a été
Une journée de fête, de bonne humeur, d'ouverture d'esprit, où hétéros, homos, jeunes, moins jeunes, battent joyeusement le bitume sans autre but que de célébrer cette vieille valeur désuète qu'est la tolérance".
Car la pride hongroise, au delà des droits des minorités sexuelles, prend en effet position en faveur de toutes les minorités du pays. En témoignent, les diverses tentes d’ONG (Roms, féministes, LGBTQ,…) plantées dans les parcs. De nombreux participants étrangers étaient aussi du cortège.
Google dans le cortège : les entreprises s'engagent
Dominika confirme "viennent à la pride tous ceux qui pensent que les prises de positions sexistes, homophobes, transophobes ou racistes concernent la société dans son ensemble". Dans l’entourage de Jérôme, nombreux sont ceux qui "voit dans la pride un moyen de montrer son opposition au Jobbik".
A vrai dire, toutes les conditions étaient réunies pour assurer le franc succès arc-en ciel de cette année: une organisation sans faille ; un communiqué commun de dix-neuf ambassades affirmant leur soutien à l’événement ; la présence d’associations LGBTQ issues de la province hongroise ; et le rattrapage du défilé par des entreprises.
Google Hongrie défile à la Budapest Pride (©Hélène Bienvenu)
C’est là que la Budapest Pride version 2013 se distingue vraiment des éditions précédentes: pour la première fois, 431 entreprises et associations ont rejoint l’initiative baptisée "Nous sommes ouverts" (Nyitottak Vagyunk). Menée tambour battant par Google Hongrie, Prezi (la start up hongroise du moment), et Espell, la campagne affirme que
Toute entreprise gagne à être ouverte et à ne juger ses employés que sur la base de leurs accomplissements, sans égard à leur âge, sexe, ou orientation sexuelle."
Impossible de passer à côte de leur char sur la Pride, où figuraient les logos des entreprises impliquées…
Les politiques absents
Côté politique, les responsables hongrois ont, eux, plutôt joué la carte de la discrétion, voire celle de l’absence. Aucun représentant du gouvernement et de son parti, le Fidesz, ni de la mairie (apparentée Fidesz) n’a daigné faire le déplacement. Le KDNP (parti démocrate chrétien en coalition avec le Fidesz) a par ailleurs appelé à un peu de retenu dans un communiqué: en demandant de ne pas provoquer les foules, "la fierté d’être homosexuel(le) s’étend dans la mesure où la dignité d’autrui ne se retrouve pas blessée".
Dans le cortège, seul le parti de Bajnai (Dialogue pour la Hongrie) s’est officiellement affiché. Quelques personnalités ont par ailleurs défilé mais à titre privé.
Dominika déplore ce manque d’engagement "dans un rassemblement pour les droits de l’homme", et aimerait bien que la Hongrie prenne exemple sur ses voisins:
La Slovénie ou la Croatie y envoient bien leur président ou ministre, sans parler des figures politiques dans les Pride des pays de l’Ouest…",
souligne-t-elle. Et de regretter "la vision aussi restreinte de la famille" que déploie le gouvernement de Viktor Orbán. En mars dernier, le parlement a adopté un quatrième amendement à la Constitution, qui réaffirme la prééminence de la relation parents-enfants pour définir la famille, ajoutant que le mariage ne peut intervenir qu’entre un homme et une femme. Dominika précise d’ailleurs que cette modification pénalise également couples et familles héterosexuels, "nombreux à ne pas rentrer dans la case".
Dominika rêve elle d’une Hongrie "où chacun puisse, dans la vie de tous les jours, tenir son partenaire par la main, quel que soit son sexe".
Nulle doute que la Pride 2013 y aura contribué. Et Jérôme de conclure:
La Hongrie a montré qu'elle pouvait descendre dans la rue avec le sourire. Nous sommes encore loin des gay prides françaises, anglaises ou allemandes, mais chaque étape nous rapproche un peu plus du pied de l'arc-en-ciel".
Crédit photo : Hélène Bienvenu, photojournaliste et journaliste à Budapest (page Flickr).