Par La Rédaction
Mariano Rajoy sur un siège éjectable? Un scandale de corruption fait trembler le Parti populaire et implique directement le chef du gouvernement espagnol. Explication de l'affaire en cinq points, par notre correspondant à Madrid.
Depuis janvier, un scandale de pots-de-vin éclabousse le Parti populaire et son leader, Mariano Rajoy, directement mis en cause. Au centre du dossier, l'ex-trésorier du PP, Luis Barcenas, qui discrédite la droite espagnole à coups de révélations dans les médias. Ces derniers jours, la pression s'est accrue sur le chef du gouvernement, qui exclut de démissionner. Une affaire qui ne va pas réconcilier les Espagnols avec leur classe politique, dans un pays miné par la crise.
Rajoy, un "rhinocéros" dans le viseur
Ses proches disent de lui qu'il a le cuir épais, "une peau de rhinocéros", selon les médias espagnols. De l'épaisseur, il en faudra à Mariano Rajoy s'il veut sortir indemne du scandale dans lequel il est empêtré depuis six mois.
En janvier, c'est le quotidien conservateur El Mundo qui lâche la première salve. Le journal assure que, pendant des années, des cadres du Parti populaire (PP) auraient perçu des enveloppes d'argent au noir. Des commissions versées par plusieurs entreprises, notamment dans le secteur du BTP.
Quelques jours plus tard, El Pais, l'autre grand titre (centre-gauche), publie les copies de cette supposée comptabilité occulte, tenue par Luis Barcenas, ex-trésorier du parti. Pour la première fois, le nom de Rajoy est cité. Selon ces "carnets secrets" de Barcenas, le chef du gouvernement aurait touché 25.200 euros par an entre 1997 et 2008. A l'époque, le PP crie à la manipulation. Mais début juillet, El Mundo publie des documents originaux qui mettent l'exécutif sur le grill: selon le journal, le chef du gouvernement aurait bel et bien touché des "compléments de salaire".
Lundi dernier, Mariano Rajoy, fidèle à sa réputation de leader imperturbable, a joué la carte de la tranquillité:
J'accomplirai le mandat que m'ont donné les électeurs. (…) L'Etat de droit ne se soumet pas au chantage."
Mais il refuse toujours de s'expliquer devant le Parlement espagnol.
Vers une motion de censure?
Le PSOE, principal parti d'opposition, a demandé "la démission immédiate" de Mariano Rajoy, qui préside le PP depuis 2004. Si le chef du gouvernement ne vient pas s'exprimer devant le "Congreso", le Parti socialiste déposera une motion de censure. Mais le PP dispose d'une large majorité, ce qui rend improbable le scénario d'une destitution.
Selon certains commentateurs, les socialistes espagnols ne seraient d'ailleurs pas si pressés de voir tomber le gouvernement, faute d'un candidat crédible à présenter en cas d'élections anticipées. Pour Antonio Hernando, l'un des porte-parole du PSOE, l'affaire est un "véritable drame " car,
En ce moment, l'Espagne a un Président vulnérable au chantage".
"Luis le Salopard" fait tanguer le PP
Luis Barcenas est celui par qui le scandale est arrivé. Ancien sénateur, cet Andalou de 55 ans a été intendant du parti pendant une vingtaine d'années, puis trésorier de 2008 à juillet 2009. Date à laquelle il doit démissionner, suite à son implication présumée dans le dossier Gürtel, un vaste réseau de corruption éclaboussant le PP.
Physique de boxeur, impeccable crinière couverte de gomina, chaussures briquées et beaux costumes, Luis Barcenas semble tout droit sorti d'un épisode des Sopranos. Depuis six mois, son train de vie luxueux est décortiqué par la presse espagnole. Selon la justice, il aurait entassé plus de 37 millions d'euros sur deux comptes en Suisse.
Et puis il y a ce surnom, "le Salopard", relayé par plusieurs médias… Fin février, alors qu'il revient d'un séjour au ski, un sport qu'il affectionne, Luis Barcenas, accueilli à l'aéroport par les journalistes, les gratifie d'un doigt d'honneur qui fera le tour du web. De quoi soigner sa "légende".
Le 27 juin, l'ex-trésorier est placé en détention provisoire dans le cadre de l'affaire Gürtel, pour blanchiment d'argent et fraude fiscale. Depuis son incarcération, les ponts semblent rompus avec ses anciens compagnons. Il y a quelques jours, un porte-parole du PP l'a qualifié de "délinquant". Depuis sa cellule, l'ex-argentier, qui a longtemps gardé le silence, s'ingénie désormais à distiller ses "secrets". Objectif: faire trembler le "rhinocéros".
Des SMS embarrassants
Le 14 juillet, El Mundo lâche une petite bombe. A la Une du journal, s'affichent les SMS échangés entre Barcenas et Rajoy. Une révélation qui tombe mal pour le PP qui, depuis le début de l'affaire, a tout fait pour minimiser les relations entre les deux hommes.
Dans un texto, le chef du gouvernement écrit:
Luis, rien n'est facile. Nous ferons ce que nous pourrons. Courage."
Un autre SMS est daté du 18 janvier, alors qu'une semaine plus tard, Mariano Rajoy déclarera ne plus se souvenir de la dernière fois où il a été en contact avec l'ex-trésorier :
Luis, je comprends, sois fort. Je t'appellerai demain. Je t'embrasse."
Une autre fois, Barcenas écrit:
Je te suis reconnaissant du soutien que tu m'as toujours apporté."
Mais quelques semaines plus tard, en mars 2013, "le Salopard" se montre moins affectueux: "Je ne sais pas à quel jeu vous jouez, mais moi, je me considère libre de tout engagement envers toi et le parti". Le PP n'a pas nié l'existence de ces échanges, mais il ne s'agirait que de "messages de courtoisie".
Une opinion choquée
Dans un pays aux six millions de chômeurs, ces révélations ont heurté l'opinion: 79% des Espagnols pensent que Barcenas disposerait de preuves pouvant compromettre les caciques du PP. Et depuis dix jours, les manifestations se multiplient face au siège du parti, à Madrid. Le 9 juillet, ils étaient environ deux cents à protester.
Ce président est un délinquant",
criait un manifestant ce soir-là. Un slogan qui devrait se répéter lors des barbecues "de chorizos" (ndlr : terme familier en Espagnol pour désigner un escroc), prévus aujourd'hui face aux différentes représentations du PP. En six mois, le parti de Mariano Rajoy a perdu plus de sept points dans les intentions de vote.