Au Portugal, crise oblige, on voit d’un bon œil le retour à la terre. Joaquim Dantas, ancien expert comptable stressé, a pris les devants: il est revenu sur les lieux de son enfance il y a 12 ans, où il a converti une école en maison d'hôte et fait redécouvrir le pain traditionnel. Après Tanguy, le paysan-boulanger et Dimitry, l'apiculteur grec, voici le troisième portrait de notre série sur les néo-ruraux européens.
La petite route qui grimpe au-dessus de Arco-de-Valdevez, dans le nord du Portugal, offre des lacets très serrés. A chaque virage, l’estomac souffre. Nous ne sommes qu’à 500 mètres d’altitude mais le paysage est typique de la région du Minho: montagnes aux flancs très escarpés, végétation luxuriante et des plantations sur le moindre bout de terrain accessible. C’est au lieu-dit Grijo, 15 habitants -"mais la population double l’été"-, que travaille Joaquim Dantas.
Ici c’est une ancienne école primaire. Elle a fermé, faute d’élèves. J’ai négocié avec le maire pour obtenir le droit de la restaurer. Aujourd’hui, c’est une habitation rurale pour les touristes,"
explique Joaquim Carlos Dantas, 46 ans.
Promoteur de la 'broa', le pain de maïs traditionnel
Sous l’ancien préau de l'école, Joaquim a installé son coin cuisine. Au fond, dans une pièce annexe se trouve le four à pain, version contemporaine, entendez "aux normes européennes". Joaquim a beau ne pas être boulanger, c’est bien du pain qu’il fait cuire dans son école.
Quand je suis revenu vivre à la campagne, il y a maintenant une douzaine d’années, j’ai décidé de me lancer dans la fabrication de la 'broa', le pain de maïs typique de la région. Mais à la manière de nos ancêtres."
C’est en découvrant que la 'broa' est inscrite sur la liste internationale de 'slow food' que Joaquim décide de s’intéresser au produit. Et de changer de vie.
Attention, du pain de maïs, on en trouve partout dans la région. Celui que nous faisons ici est issu du maïs régional du Minho, un maïs rustique, endémique et qui avait pratiquement disparu de la région. J’ai décidé d’en replanter, et de relancer le processus de fabrication tel qu’il était respecté il y a encore 20 ou 30 ans."
Joaquim n’est pas né à Grijo, mais à deux kilomètres du lieu- dit, dans une ferme. Il a repris l’exploitation de ses parents et de ses grands-parents: deux ou trois hectares de terre exploités pour une économie de subsistance, le reste des dix hectares est en forêt. C’est la taille moyenne des fermes du nord du Portugal: des jardins plutôt.
Joaquim a délaissé son bureau d'expert comptable pour
la campagne ©Marie-line Darcy.
Expert comptable au bord de la crise de nerfs
On y fait pousser du maïs, un peu de vigne, des pommes de terre et des légumes, et on élève quelques animaux. Pas facile de faire vivre quatre enfants. Seul Joaquim, et plus tard sa jeune sœur, iront à la ville étudier, à une quinzaine de kilomètres.
Il fallait en vouloir. Dans ma jeunesse, il n’y avait pas de transport scolaire à la porte. C’était 3 kilomètres à pied sur des pentes raides, le matin et le soir. Le climat ici est difficile: très froid l’hiver, brûlant l’été. Pas facile."
Joaquim est modeste, et passe rapidement sur les difficultés. Il s’accroche, passe son bac à Arco-de Valdevez, puis part à Porto poursuivre ses études. A l’époque, on encourage les jeunes à partir, la terre ne peut pas nourrir tout le monde. Il faut réussir. Le jeune homme, qui a déjà un diplôme de secrétaire comptable en poche, travaille tout en étudiant.
Joaquim l’acharné devient expert comptable et décroche un diplôme de gestion. Commence alors pour lui une brillante carrière d’expert comptable pour un groupe hôtelier, puis au sein d’un journal économique et enfin au sein de la Commission Régionale du Vin Vert. C’est là que tout bascule.
J’y ai travaillé presque 12 ans. J’avais d’énormes responsabilités et vingt personnes sous mes ordres. C’est alors que j’ai fait mes premiers incidents cardiaques. Les médecins ont été formels: trop de stress, trop d’angoisse. J’ai décidé de changer de vie, avant qu’il ne soit trop tard."
Pas une expérience 'new-age'
La suite est à l’image de la vie de Joaquim: pensée, pondérée, mesurée. Il n’est pas un hurluberlu touché par l’illumination subite du retour à la terre version new-age.
Je me suis beaucoup renseigné. J’ai cherché, et compilé de l’information. Je n’ai pas franchi le pas comme ça, du jour au lendemain. Ces tentatives là, ça ne marche pas. Les gens essaient de s’installer, mais sans un projet sérieux, c’est voué à l’échec".
Reprendre le lopin de terre de ses parents, chercher et retrouver les graines de maïs régional grâce à la Banque Nationale des Semences, questionner les villageois pour connaitre les bonnes proportions de maïs et de seigle pour fabriquer le pain traditionnel: Joaquim élabore son projet deux ans durant.
Je ne pense pas avoir été perçu comme un fou quand je suis revenu au village. J’ai bien préparé mon idée, beaucoup travaillé. Aujourd’hui, j’en suis à près de 80.000 euros d’investissements. J’ai bénéficié des aides du programme Agris (fonds européen, ndlr) pour restaurer l’habitat rural. Je suis soutenu par la CIM, la communauté de commune du Haut Minho. Aujourd’hui, j’ai 3 maisons touristiques."
Joaquim retrouve les mots de la gestion et parle de niche de marché. Son projet consiste à organiser des workshops, il propose d’accompagner tout le processus lié au pain. Du semis de maïs au ramassage des grains, de la confection de la farine dans les moulins à eau traditionnels, à la confection de la 'broa'. Il faut deux jours, c’est slow : préparer la levure, faire la pâte, chauffer le four à bois. Les fournées se font à la demande, essentiellement à titre démonstratif.
Il s’agit de garder les pieds sur terre. C’est une économie d’échelle: je n’ai pas de terrain suffisant pour fournir les boulangeries. Et cela ne m’intéresse pas. Mon but est de préserver la tradition, et d’amener les touristes ici. Pas de faire du business et stresser à nouveau."
Prochaine étape, les abeilles
A Grijo et à Rio Frio, le bourg voisin de 400 habitants, on voit d’un bon œil le retour à la terre de Joaquim. Surtout, la présence des touristes redonne vie à une région rurale qui se désertifie. Personne dans les vallées avoisinantes ne pense que Joaquim a échoué à la ville. L’esprit a changé. L’agriculture est à nouveau valorisée, et les projets bien construits ont le vent en poupe.
Curieusement pourtant, Joaquim vit en ville, à Arco-de-Valdevez, mais c’est parce que sa femme y travaille et son fils y étudie. Joaquim s’assure un salaire confortable, sans toutefois avoir atteint celui de son emploi de comptable. Joaquim le néo-rural plisse des yeux de contentement:
Les besoins ne sont pas les mêmes. Mon bureau est à la campagne. Je ne regrette absolument rien, surtout pas ma vie d’avant. Je veux prendre le temps du temps. Contribuer à la préservation de nos traditions, et redonner de l’élan à notre magnifique région. Pas la peine de vouloir faire trop, et mal."
Joaquim travaille déjà sur un nouveau projet, celui de la pollinisation du maïs et des haricots régionaux par les abeilles. Pour améliorer les rendements et développer l’apiculture.
En redescendant dans la vallée, c’est comme si les virages en épingle à cheveux avaient disparu. Plus de nausée, juste un coup de foudre pour la belle région du Minho.