Dans un panorama médiatique morose, lancer un média en Espagne est une gageure. La radio madrilène OndaCRO, créée en novembre dernier, a tenté le pari. Son crédo? Elle est entièrement dédiée aux réseaux sociaux. Et veut véhiculer un message d'optimisme. Rencontre.
Dans le studio, Leila et Boris, les deux animateurs, se marrent. Ce matin-là, leur interlocutrice, qui les écoute depuis Mallorca, semble assoupie. Boris la taquine: "Tu es encore au lit?". L'auditrice: "Excusez-moi, c'est la première fois que j'ouvre la bouche de la journée." L'interview débute. Au bout du fil, cette spécialiste du web leur décrit la réalité de son travail. Elle est community manager, spécialisée dans le tourisme.
Les journalistes de OndaCRO l'ont repérée sur Twitter, et ils ont décidé de recueillir son témoignage. Car le principe est martelé à l'antenne: ici, les 'followers' de la radio participent activement au programme.
En direct des réseaux sociaux
OndaCRO a été créée en novembre dernier. Son originalité? Elle est entièrement consacrée aux réseaux sociaux, avec une prédilection pour les sujets liés au marketing, à la réputation en ligne ou à l'analyse web. Ce média ultraspécialisé, financé par la pub, attire aujourd'hui 1.000 auditeurs par jour et génère environ 10.000 téléchargements de podcasts par semaine. Qui sont les auditeurs? En majorité des femmes, entre 35 et 55 ans, exerçant le plus souvent une profession libérale. Un public très connecté et accro aux nouvelles technologies.
Depuis huit mois, chaque matin du lundi au vendredi, c'est le même challenge. Pendant les cinq heures du programme "Atrapados en las Redes", qui fait figure de vitrine, les deux journalistes Boris Quijada, 35 ans, et Laila El Qadi, 36 ans, scrutent les réseaux sociaux, pour y dénicher un blogueur, une idée, ou une start-up, qui puissent faire l'objet d'une chronique ou d'une interview entre deux morceaux de musique.
C'est très intense. Personnellement, par rapport aux médias traditionnels, je trouve que c'est un défi stimulant, quelque chose qui n'existait pas en Espagne. Sur les autres radios, il y a des émissions qui traitent d'internet et des réseaux sociaux, mais elles en parlent de manière traditionnelle. Tout y est très programmé et verrouillé."
explique Laila pendant une pause musicale. Boris renchérit:
La radio, c'est le premier réseau social. On veut profiter de l'immédiateté de ce média mais aussi de ce qu'on voit sur les timelines (les pages des internautes sur les réseaux sociaux, ndlr). Quand on trouve quelque chose d'intéressant, on appelle la personne pour commenter une information ensemble. La plupart du temps, les gens nous répondent assez rapidement."
"Les médias espagnols n'ont pas fait leur transition"
Les deux journalistes ont déjà une bonne expérience professionnelle, mais assurent avoir trouvé chez OndaCRO une "part de folie" qui les a séduits. Tous les matins, avec leur équipe de six personnes, ils inventent leur programme, "sans canevas préétabli".
Pedro Aparicio, 51 ans, est à l'origine du projet. A quelques mètres du studio, dans son vaste bureau chargé d'affiches en tous genres, cet entrepreneur madrilène, un look à la Charlélie Couture, raconte l'origine de l'idée:
Ces trente dernières années en Espagne, il y a eu une Transition politique, mais les médias espagnols, eux, n'ont pas fait leur Transition. On voulait faire une radio mais on cherchait une formule alternative aux radios conventionnelles, pour y intégrer du participatif."
Pedro Aparicio est un habitué des paris. Il a tenté l'aventure de la presse gratuite, avant de lancer une chaîne de radios locales. Il y a quinze ans, il a monté "PR Noticias", un site spécialisé dans l'actualité des médias, qui accueille aujourd'hui OndaCRO dans ses locaux. Sa PME emploie désormais une quarantaine de personnes. "On fait aussi travailler 15 community managers dans toute l'Espagne", ajoute ce patron volubile.
Une radio spécialisée dans… les bonnes nouvelles
Et les projets fourmillent… "Onda Inversion", une radio dédiée à la Bourse et aux investissements, devrait voir le jour avec la création d'un poste à New York, pour suivre le Nasdaq. Le groupe a également développé une radio interne à un groupe hospitalier.
Ce qui frappe à l'écoute de OndaCRO, radio "100% social media", dont le logo est une grenouille bleue, c'est l'absence de mauvaises nouvelles. Le ton y est très positif, ce qui peut surprendre à l'heure où l'Espagne est minée par un chômage record et des affaires de corruption qui font la Une des médias.
Pedro Aparicio défend son credo: "Moi ce qui m'intéresse, c'est d'apporter un peu d'optimisme. L'état d'esprit de cette radio, c'est de dire aux gens, 'ne déprimez pas!' Je me définis comme un 'freak'. Je veux essayer, à mon niveau, de faire en sorte que les gens relèvent un peu la tête."
Dans cette même veine, il y a un an, son équipe a lancé un site d'infos, OK Noticias, spécialisé dans… les bonnes nouvelles. Laila El Qadi confirme la ligne éditoriale:
Sur les réseaux sociaux, on cherche aussi de l'optimisme. Ici, on essaie de faire une radio bon esprit et de bonne humeur, ce qui n'empêche pas de sortir des informations."
Amis de la morosité, passez votre chemin.