L'immigration, un thème de campagne électoraliste? Pas outre-Rhin. Si le parti néo-nazi entretient un discours xénophobe, l'ouverture des frontières séduit une majorité d'Allemands. Des arguments économiques et démographiques qui pourraient ouvrir la voie d'un multiculturalisme apaisé.
Il tombe une petite pluie fine en ce mercredi de septembre mais cela ne semble pas déranger Udo Voigt, 61 ans. Candidat aux législatives pour le parti néo-nazi du NPD, il ne lâche pas son micro et dénonce la loi permettant aux familles non allemandes de recevoir des allocations familiales.
Udo Voigt exige au micro, d’une voix forte mais monotone, que cet argent soit réservé aux seules familles allemandes puis s’en prend aux réfugiés. Devant lui, une pancarte tenue par deux sbires du parti, lance:
Aujourd’hui nous sommes accueillants, demain nous serons minoritaires dans notre pays".
"Le ton et l’atmosphère ont changé"
En cette période électorale, l’immigration est, avec l’abandon de l’euro et le retour au Deutsch Mark, le cheval de bataille de ce parti néo-nazi qui multiplie les mini manifestations dans des zones excentrées de Berlin.
Ici, à Hellersdorf, dans la banlieue est de la capitale, a été récemment ouvert un centre d’accueil pour réfugiés. Or le manque de concertation avec les habitants a créé une polémique aussitôt enflée par le NPD. Toutefois, ce jour pluvieux, le parti néo-nazi n’attire pas la foule: au total, ils sont cinq à manifester à un carrefour, derrière une rangée de policiers et face à une cinquantaine de militants anti fascistes beaucoup plus bruyants.
Si l’immigration et l’accueil de réfugiés soulèvent de sérieuses questions en Allemagne, force est de constater que
L’immigration et l’intégration ne sont pas des thèmes de campagne",
comme le souligne Orkan Kösemen, de l’Institut Bertelsmann:
Tous les partis représentés au Bundestag parlent désormais, et depuis deux ou trois ans, de la diversité de la société allemande. Le ton et l’atmosphère ont changé. C’est un signal positif".
Besoin des immigrés
Ce changement de ton est notamment dû à la bonne situation économique qui décrispe les esprits, mais aussi à la nécessité absolue pour Berlin d’attirer des immigrés diplômés afin de combler le manque criant de main d’œuvre dans certains secteurs. Montrer un visage ouvert est devenu crucial pour ce pays qui, face au déficit de naissances, risque de voir sa population baisser de 10 à 15 millions d’ici à 2060.
En plus de l’arrivée massive de jeunes Grecs et Espagnols fuyant la crise économique dans leur pays et de la signature d’accord entre Berlin et Madrid pour faire venir de jeunes apprentis, les procédures ont récemment été facilitées afin d’aider des diplômés issus de pays non européens à s’installer en Allemagne. Conséquence, la plupart des grands partis politiques sont aujourd’hui favorables à cette immigration de personnes qualifiées, rendant caduque toute exploitation électorale.
La question du droit à la double nationalité ne passionne pas non plus même si les sociaux démocrates du SPD y sont favorables et la CDU-CSU opposée.
Reste l’épineuse question de l’accueil des réfugiés. Après moultes réticences, le ministre de l’intérieur Hans Peter Friedrich -qui s’est récemment dit "alarmé" par l’afflux de réfugiés- a autorisé l’arrivée de 5000 syriens d’ici à la fin de l’année. Quant aux réfugiés eux mêmes, ils tentent de faire entendre leur voix comme en Bavière où une trentaine de sans papiers a sillonné la région à pied durant deux semaines afin d’alerter l’opinion publique et obtenir un lieu d’accueil.
Pas dans le débat
Problématique, la question est toutefois largement éludée dans la campagne électorale sauf par le parti néonazi.
Il existe une série de petits partis, à l’image du NPD, qui font campagne sur la question de l’Islam, de l’immigration et des étrangers, mais ils n’ont heureusement que très peu d’audience",
constate Orkan kösemen.
Pour ce spécialiste des questions d’immigration, le NPD essaie de faire croire que la société allemande s’oppose à l’accueil des réfugiés, "ce qui est faux".
Intégration et immigration ne sont pas un thème de campagne? Cela déplaît aux membres musulmans du parti BIG (Union pour l’innovation et la justice). Créé en 2012, cette formation se veut le premier parti de la diversité d’Allemagne. Elle compte des élus dans certains conseils municipaux et observe de près la campagne.
Or, il regrette que ces thèmes n’aient pas été abordés par les deux principaux candidats, Angela Merkel et Peer Steinbruck, notamment lors de leur débat télévisé du 1er septembre. Pas un mot non plus sur l’actuel procès en cours de membres d’une cellule néonazi, NSU, qui serait responsable de la mort de plusieurs familles turques.
Absente des débats, la question de l’immigration est toutefois perceptible à travers les 81 candidats d’origine étrangère (4% des candidats) présentés par les principaux partis politiques, notamment par les Verts (23), le SPD (18) et die Linke (18). Karamba Diaby (SPD) pourrait même devenir ce dimanche le premier député d’origine africaine du pays.
La société allemande est prête à voir davantage de députés d’origine étrangère",
estime Cansel Kiziltepe. Cette économiste et mère de famille de 38 ans, d’origine turque, est elle-même candidate dans la circonscription de Kreutzberg-Friedrichshain à Berlin et se dit confiante dans son élection.
A Kreutzberg – le petit Istanbul de Berlin, ndlr- les gens me parlent turc dans la rue, c’est un atout évident. Mais à Friedrichshain où il y a peu de turcs, mon nom pose parfois problème. Je brise la glace avec une pointe d’humour!"
Cette jeune femme brune à la voix grave ne veut toutefois pas faire dans le communautarisme et se présente surtout comme une économiste, militant pour un meilleur encadrement des loyers et une réduction des inégalités.
Vers un multiculturalisme apaisé
Dans une Allemagne de plus en plus multiculturelle, le vote des 5,8 millions de citoyens d’origine étrangère –soit 10% du corps électoral- pousse les grands partis à s’adapter.
La présence de candidats d’origine étrangère donne de l’authenticité aux partis politiques qui ont remarqué que la société change. Il devient étrange pour un parti de parler d’immigration et d’intégration sans avoir dans ses rangs des membres eux-mêmes issu de l’immigration",
affirme Orkan Kösemen.
Attablée devant un jeu d’échec lors d’un rassemblement électoral très familial, la candidate Cansel Kiziltepe estime que les partis, à commencer par sa propre formation, ont encore du chemin à parcourir. "Au parlement, le SPD ne dispose que d’un seul député d’origine étrangère. Si je suis élue, nous serons deux. On peut donc mieux faire!."