"Démission!" Après 100 jours de manifestations anti-gouvernementales, rien ou presque ne semble avoir changé en Bulgarie. Retour sur une révolte (presque) oubliée.
C'est une révolte dont on a peu parlé: depuis près de quatre mois, des milliers de Bulgares manifestent dans les rues de Sofia et d'ailleurs. Aux cris de "Mafia!" ou "démission", ils réclament le départ du gouvernement de Plamen Oresharski, accusé de corruption. Plus largement, ils dénoncent l'imbrication du politique et de l'économique.
Aux mois de juin et juillet, quelque 10.000 manifestants battaient quotidiennement le pavés; ils étaient jusqu'à 60.000 certains jours. Affaiblie en août, la contestation a repris timidement en septembre. Mais jusqu'à quand et avec quel impact?
Un objectif: la démission du gouvernement
Ces Bulgares, sans étiquette et majoritairement issus de la classe moyenne –si l'on en croit plusieurs observateurs-, réclament le départ de l'actuel Premier ministre, Plamen Oresharski. Cet économiste, entré en politique au côté des conservateurs dans les années 90, avait été exclu de son parti après s'être compromis avec un homme d'affaire véreux.
Aujourd'hui "sans étiquette", après un passage dans les rangs des socialistes, il est arrivé en poste le 29 mai après des élections législatives houleuses. Une configuration parlementaire étonnante l'a investi: ses soutiens officiels, les socialistes du PSB et le Parti de la minorité turque (MDL), ont été rejoint par le renfort tacite et néanmoins sulfureux des ultranationalistes d'Ataka.
Les manifestants dénoncent un gouvernement "géré par l’oligarchie" et réclament un renouveau de la classe politique.
Nous souhaitons unir le peuple bulgare pour changer la politique bulgare telle qu'elle est aujourd'hui",
revendiquent les manifestants sur l'un des nombreux blogs appelant à la mobilisation citoyenne.
Le catalyseur de l'indignation a un nom: Delyan Peevski. Le 14 juin, ce jeune député est nommé à la tête de l’Agence de la sécurité nationale (DANS). Pour l'opinion, c'est un oligarque de plus placé à une fonction clé de l'Etat, mais pas seulement. Magnat des médias et lié au secteur financier, déjà accusé de corruption -blanchi depuis- Delyan Peevski incarne à lui seul l'imbrication du pouvoir politique avec le monde médiatique et économique.
Le 14 juin 2013, pour la première fois dans l'histoire moderne bulgare, plus de 10.000 personnes sont descendues dans la rue, sous la pluie, pour manifester. Le 14 juin 2013, le gouvernement bulgare a nommé un "corrompu" à la tête des services secrets bulgares, en modifiant la loi, auparavant, afin de rendre la chose possible",
écrivent les organisateurs du rassemblement DANSwithme.
Bulgarie, lointaine Europe
Les réseaux sociaux sont un relais d'information efficace parmi les sympathisants: un hashtag #DANSwithme (jeu de mot avec le sigle de l'Agence de sécurité d'Etat), une page facebook, un site internet homonyme ou encore des tumblr proposant des modèles d'affiches sont quotidiennement alimentés.
Un capuccion et une démission, s'il vous plaît!
Si les Bulgares sont peu entendus en Europe, ils ne sont cependant pas les seuls à dénoncer la dérive démocratique de leur pays. Le 8 juillet, les ambassadeurs de France et d’Allemagne, Philippe Autié et Matthias Hoepfner, avaient rappelé dans une déclaration commune que:
Le modèle oligarchique n’a pas sa place en Bulgarie".
L’ambassadeur britannique en Bulgarie, Jonathan Allen, avait par ailleurs appelé le gouvernement à écouter les manifestants, sans succès.
Pays le plus pauvre de l’Union européenne (qu'elle a rejoint en 2007), la Bulgarie peine à améliorer les conditions de vie de ses citoyens: le salaire moyen est estimé à 400 €, le salaire minimum à 160 € bruts (et guère plus en parité de pouvoir d'achat). L'actuel gouvernement n'est pas le premier en cause. Il a été investi à la suite d'une longue crise politique et sociale, marquée par des immolations par le feu et des manifestations contre la pauvreté.
Au gouvernement, le statu quo
La démission du gouvernement ne changerait pas grand chose",
estime Tsvetlin Yovchev, le ministre de l'Intérieur, sur les colonnes de The Economist. Selon lui, la crise de la Bulgarie est le résultat du mécontentement à long terme plutôt que des décisions de son gouvernement.
Le parti conservateur bulgare GERB, de l'opposition, a déposé jeudi 19 septembre une motion de censure (la première d'une longue série, a-t-il averti) à l’encontre du gouvernement du technocrate Plamen Orecharski. Elle vise notamment la lenteur de la planification des investissements. Elle a peu de chance d'aboutir: le GERB compte 97 députés seulement (sur les 240 que comptent le parlement).
Pour Daniel Smilov, du Centre des stratégies libérales de Sofia,
L'absence d'une démission crée un aléa moral (…). Si les choses restent les mêmes, les jeunes Bulgares vont continuer à fuir à l'étranger (…) la société bulgare restera divisée, comme elle l'est maintenant".
Le début d'une société civile?
Les manifestants sont moins nombreux depuis la pause estivale. Mais les plus optimistes, analyse The Economist, pensent que les protestations ont créé un nouvel environnement politique et que les politiciens ne seront plus en mesure d'entretenir le clientélisme. La contestation a-t-elle permis la naissance d'une société civile?
Pour Antoinette Tsoneva, de l'Institut pour le développement de l'environnement,
La protestation ne va pas disparaître. C'est le début de la contestation civile. Nous avons un message clair, qui, apparemment, est entendu par beaucoup".
Selon les chiffres récents d'Alpha Research, 51% des personnes interrogées soutiennent les manifestations.