Après avoir rappelé ses ministres du gouvernement, Berlusconi a plongé son parti et l'Italie dans le chaos. Sa décision est unanimement critiquée, y compris par plusieurs de ses parlementaires et trois de ses ministres. Récit d'un chantage égocentrique et destructeur.
Après moi le déluge"
a toujours estimé Silvio Berlusconi. Jamais cette phrase n’a été aussi vraie.
Alors que la commission électorale sénatoriale se prépare à annoncer sa déchéance vendredi prochain, le Cavaliere a fait exploser le gouvernement d’unité nationale en retirant sa délégation composée de 5 ministres. Officiellement, cette décision a été prise pour protester contre l’augmentation de la Tva d’un point que les démocrates veulent appliquer pour compenser les pertes dérivant de l’abolition de l’Imu, l’impôt foncier.
Sacrifier les autres pour se sauver soi-même
Mais personne n'est dupe: l’ancien président du Conseil, condamné à un an et demi de prison pour fraude fiscale, a agi ainsi pour obliger ses pairs à lui éviter la déchéance. L’explication tient difficilement la route. Le fait que la commission sénatoriale puisse éviter de prendre une décision vendredi prochain n’a désormais aucune importance. Condamné à la prison par la cour de cassation, Silvio Berlusconi a également été interdit d’exercice dans la fonction publique pendant cinq ans par la cour d’appel de Milan en avril dernier.
Une peine trop lourde selon la cour de cassation, qui a demandé au tribunal milanais de réduire cette sanction de deux ans. La décision du tribunal sera rendue publique le 19 octobre prochain et mettra un point final à la vie politique du Cavaliere qui a par ailleurs un certain âge.
En retirant ses ministres, Silvio Berlusconi a fait un mauvais calcul. Son parti bascule en effet dans le chaos, après que trois de ses ministres ont qualifié son geste de grave erreur politique.
J’accepte cette décision sur laquelle je n’ai pas été consultée mais je ne ferai pas partie de Forza Italia qui représente une droite radicale, éloignée des modérées. Une droite qui ne m’appartient pas car elle ne tient pas compte du bien-être du pays et des Italiens",
a ainsi tonné le ministre de la Santé, Beatrice Lorenzin, pourtant proche du Cavaliere.
Tous les partis dans la tourmente
Refusant d’être traités "comme des pions", d’autres parlementaires laissent entendre qu’ils pourraient rejoindre les centristes. Et soutenir un nouveau gouvernement dirigé par les démocrates pour éviter un retour aux urnes jugé prématuré.
En effet, une nouvelle tournée électorale avec le système actuel et dans un contexte politique fracturé ne changera pas la donne. Le parti démocrate est miné par les dissensions et par la guerre larvée menée depuis des mois par le maire de Florence, Matteo Renzi. Ce quadragénaire libéral proche de Mario Monti d’un point de vu économique et politiquement de Tony Blair, veut expédier l’actuelle direction à la casse pour conquérir le parti qu’il veut transformer en force centriste.
Du coté du Mouvement5stelle de l'agitateur Beppe Grillo, le climat est également houleux. Une vingtaine de députés et de sénateurs ont déjà quitté le parti ou s’apprêtent à le faire. A droite, c’est le chaos depuis la démission des ministres. Quant à la Ligue du Nord, parti régionaliste et populiste autrefois puissant, elle est en pleine déliquescence. Sans parler du ras-le-bol des Italiens.
Les Italiens en colère, les Européens inquiets
Dimanche matin les discours étaient sévères dans les bars de Rome.
Ils sont là à se disputer pour défendre leur bout de gras sans se rendre compte que nous payerons les pots cassés, car Bruxelles va nous tomber dessus en hurlant que cette nouvelle crise met la stabilité de l’euro en danger",
analysait Massimo, vendeur de journaux.
Si on nous renvoie devant les urnes, ce sera la catastrophe car les Italiens en ont ras le bol. Il y aura un taux d’abstention épouvantable et nous nous retrouverons avec un gouvernement encore instable et composé de tout et n’importe quoi puisque notre loi électorale est bancale et favorise l’instabilité",
affirmait pour sa part, Livia, enseignante.
Au-delà des frontières, l’Europe atterrée s'inquiète comme toujours des retombées des tribulations politiques italiennes pour la zone euro et pour des marchés évidemment sur le qui-vive.
A Rome, le président du Conseil Enrico Letta s'interroge sur les possibilités de survie d’une nouvelle majorité composée des représentants de la gauche radicale des dissidents du mouvement5stelle et de Forza Italia. Au dessus-de lui, le chef de l’Etat Giorgio Napolitano réfléchit à la façon de faire plier Silvio Berlusconi pour éviter de devoir dissoudre les deux chambres, tout en sachant que la corde a été trop tirée. De la mauvaise cuisine politique faite sur le dos des Italiens.