Depuis un mois, des milliers de Roumains manifestent. Ils s'élèvent contre le projet d'exploitation du gisement d'or -le plus grand d'Europe- qu'ils ont sous leurs pieds. Dans la petite cité de Rosia Montana, où se trouve la mine, les habitants sont divisés et les tensions enflent. Reportage.
Dimanche dernier, en Roumanie et ailleurs, des manifestants sont descendus dans les rues pour protester contre une exploitation minière. Ils s'élèvent contre un projet de loi autorisant l'exploitation du plus grand gisement d'or d'Europe.
Rosia Montana, le village qui abrite la mine, et dont tous les Roumains ont entendu parler ce dernier mois, est perdu au bout d'une longue route sinueuse, étonnamment neuve. A son approche, les montagnes de Transylvanie arborent des teintes automnales. Quand la petite cité apparaît enfin, dominée par sept clochers et coincée entre quatre collines, il est difficile d'imaginer qu'elle est à l'origine des manifestations qui ont mobilisé des dizaines de milliers de personnes. Difficile aussi de croire que sous les pieds de ses habitants se trouve le plus grand gisement d'or d'Europe.
Manifestation dans un village voisin. Crédits: Aline Fontaine
A l'entrée du village, des employés de la compagnie regardent les visiteurs en chiens de faïence. Les tensions sont palpables, mais ici, il n'y aura pas de manifestations aujourd'hui. Les opposants au projet ont préféré se réunir dans la vallée.
Sous les pieds des villageois: 316 tonnes d'or et 1600 tonnes d'argent
L'histoire commence en 1998. La compagnie Rosia Montana Gold Corporation –détenue à 80% par la société canadienne Gabriel Resources, et à 20% par l'Etat roumain- révéle alors la richesse du sous-sol: 316 tonnes d'or et 1600 tonnes d'argent.
Le permis d'exploitation n'a pas encore été délivré. Mais Rosia Montana Gold Corporation n'a pas attendu pour s'enraciner sur le territoire. Elle emploie déjà 400 habitants à des tâches d'entretien et de surveillance. Un argument fort pour les partisans du projet, alors que le taux de chômage avoisine les 80% dans la région.
Il faudrait être stupide pour ne pas accepter cette offre. Moi j'ai une fille qui étudie en faculté de médecine. Comment je ferais, sans cela, pour payer ses études? Le village ne peut pas vivre que d'agriculture",
déclare Ilie Mera, salarié de la compagnie. Lui bénéficie d'un contrat à durée indéterminée, ce qui n'est pas le cas de tous au sein de la société.
60 familles résistent encore
Le village de Rosia Montana a été reconnu comme zone protégée, mais son périmètre se trouve justement dans l'aire d'exploitation prévue par la compagnie… Ainsi, sous prétexte d'intérêt national –Gold corporation devra verser une redevance de 6% par an à l'Etat roumain-, le gouvernement a proposé, début septembre, un projet de loi qui permet à l'entreprise d'exproprier les derniers résistants et d'utiliser le terrain comme elle l'entend.
Le village de Rosia Montana. Crédits: Aline Fontaine
Sorin Jurca habite la maison la plus centrale du village. Il est né dans le village il y a 41 ans, et y a vécu toute sa vie. Il n'en est parti qu'une fois, pour aller défendre sa cause à Bruxelles, devant une commission du Parlement européen. Avec sa femme, il tient un magasin d'alimentation générale.
A plusieurs reprises, la compagnie a interdit aux ouvriers de faire leurs achats chez nous. Ils ont obéi. La compagnie, pour gagner du terrain, a même déterré des morts. Cela a été le cas de mes grands-parents et ils ne m'ont pas demandé mon avis",
ajoute-t-il en essayant de cacher sa tristesse sous sa casquette.
Il assiste chaque matin au ballet incessant de mini-bus qui amènent les travailleurs, munis d'un casque et d'une frontale. Lui n'a aucune envie de revêtir l'uniforme vert des ouvriers de Rosia Montana Gold Corporation, et encore moins de céder sa maison. La compagnie a déjà acheté 200 propriétés, qu'elle devrait en partie raser pour construire des routes. Soixante familles, comme celle de Sorin, refusent de quitter la leur.
Nous avons une pression énorme. Ceux qui ont dit 'oui' à Gold corporation ne m'acceptent plus, ils me voient comme leur ennemi. Il n'y a plus d'harmonie entre nous”,
confie Sorin Jurca. Il ne souhaite qu'une chose: que la compagnie parte. Il a travaillé dans la mine jusqu'en 2006, quand l'Etat a cessé son exploitation. Aujourd'hui il ne croit plus en ce secteur. Pour lui, le village doit se développer grâce au tourisme. Il a créé dans ce sens une fondation culturelle, édité un guide touristique, organisé des cours d'anglais, d'informatique. "Mais il est impossible d'attirer les investissements car depuis 2002, la région est exclusivement dédiée à l'exploitation minière."
Dans 16 ans, une fois que la compagnie sera partie et aura dynamité les quatre montagnes environnantes, qui voudra venir visiter la région?”,
s'inquiète-il.
Rosia Montana au patrimoine de l'Unesco?
D'autres essaient à leur façon de protéger le village. Comme l'association de défense du patrimoine Architecture Restauration Archéologie (ARA), qui s'attèle à la rénovation de maisons classées monument historique. En résistance aux multiples publicités de la compagnie d'exploitation minière, ARA développe une campagne de sensibilisation. Des tipis arborent le sigle "Adopte une maison", une exposition de photos du début du XXème siècle, léguées par le fils d'un ancien mineur, retrace le passé du village.
Notre premier objectif est d'inscrire Rosia Montana sur la liste du patrimoine de l'Unesco. Ici on trouve des kilomètres de galeries exploitées il y a deux mille ans par les Romains, avec des restes de système d'extraction uniques au monde”,
explique Sorana Vlad, membre de ARA. Depuis cinq ans, l'association travaille sur le projet, mais aucun ministre de la Culture n'a donné son accord pour faire aboutir la procédure d'inscription.
Des tipis arborant le slogan "adopte une maison": campagne de sensibilisation de l'ARA. Crédits: Aline Fontaine
Rosia Montana Gold Corporation, de son côté, affiche ses bonnes intentions. Elle a promis -si le projet de loi est adopté par le Parlement- d'investir jusqu'à 70 millions de dollars (51 millions d'euros) dans le patrimoine. Mais pour Sorana Vlad, "le projet de l'entreprise ne respecte pas du tout l'architecture d'origine. Ils utilisent du béton, et construisent des fausses routes pavées plus dangereuses qu'authentiques".
Cyanure ou développement durable
Outre les questions d'expropriation et de sauvegarde du patrimoine, la menace environnementale est bien réelle. Pour extraire ces tonnes d'or et d'argent, la compagnie devrait utiliser 12.000 tonnes de cyanure chaque année. "Nous respectons les normes européennes de 10mg par kilo de sable puisque nous n'en utiliserons que 3. Le cyanure sera neutralisé et recyclé", assure Cristi Plantos, responsable du département Patrimoine de Rosia Montana Gold Corporation.
Les déchets seront stockés dans un lac artificiel créé par un premier barrage de 180 mètres de haut. Des barrages plus petits de sécurité seront aussi construits. Cependant la compagnie ne précise pas ce qu'il adviendra du reste de cyanure à la fin de l'exploitation…
Les habitants du village, mais aussi de la vallée, sont inquiets. Le barrage principal prévu par le projet de l'entreprise ne se trouve à quelques mètres d'habitations. Tous ont en mémoire l'accident survenu à 275 km de là, à Baia Mare, en 2000. Un déversement de déchets avait contaminé l'eau de 3 millions de consommateurs, jusqu'en Hongrie.
Les terres de la région vont être polluées, ainsi que les forêts. Le danger porte aussi sur l'eau. Ici coule une rivière qui rejoint le Danube et la Mer Noire. Si elle est polluée, c'est tout le pays qui est concerné et si l'air est contaminé, c'est le problème de toute la planète",
alerte Ioan Utiu, un écologiste local.
Le premier ministre fait volte-face
Une commission parlementaire est venue rencontrer les habitants et doit rendre son rapport le 20 octobre au Parlement. Le maire de Rosia Montana, favorable au projet, a néanmoins déposé un amendement visant à limiter l'expropriation.
Les élus locaux opposés au projet souhaitent, eux, que les députés rejettent la loi dans son intégralité. C'était aussi le souhait exprimé par le Premier ministre, avant que celui-ci ne fasse volte-face ces derniers jours. Un revirement de plus (il s'était opposé au projet d'exploitation pendant sa campagne), qui achève de le discréditer aux yeux des Roumains.
Si le projet est adopté, ses opposants sont décidés à attaquer la Cour Constitutionnelle, et à venir jusqu'à Strasbourg, devant la Cour européenne des droits de l'homme, afin que leurs revendications soient entendues.