Prénom d'un(e) ex, idéogramme chinois grandiloquent: parfois, les tatouages vieillissent mal. En Grèce, les néonazis d'Aube dorée affluent dans les salles d'attente des dermatos, prêts à transformer leurs svatikas... en papillons.
Derek, un repenti néonazi interprété par Edward Norton, se regarde debout, nu, dans le miroir. Il essaye de cacher l'énorme croix gammée gravée sur sa poitrine, dans une ultime tentative d’effacer son passé raciste. Cette scène emblématique du film "American History X", de Tony Kaye se rejoue aujourd’hui quotidiennement en Grèce.
Extrait d'American History X, avec Edward Norton. Scène de la douche.
Suite aux révélations des activités criminelles d'Aube dorée, ce parti néonazi arrivé au Parlement en juin 2012 avec 18 députés, nombreux sont les "Derek" locaux qui s’effraient des symboles nazis qui marquent leurs corps. Alors qu'ils étaient hier nombreux à les exhiber sur facebook ou ailleurs -la photo d'Edward Norton dans le rôle de Derek figurait d'ailleurs sur de nombreux profils de réseaux sociaux- ils sont désormais en quête de discrétion.
Par remords, par honte, par peur de devenir la cible de leur cercle social ou des autorités, ils veulent extirper à tout prix de leurs corps croix gammées et autres symboles nazis. Les salles d'attente des dermatologues et chirurgiens se remplissent de partisans d'Aube dorée repentis -du moins en apparence.
Je reçois tous les jours des appels de personnes qui veulent effacer leurs tatouages nazis. Ils me demandent combien ça coûte, si cela peut être fait très rapidement, et en une seule fois",
observe le dermatologue Christophoros Tzermias.
"Il y a eu un assassinat, les choses ont changé"
La plupart des patients affirment qu'ils se sont fait tatouer de manière irréfléchie, et que les révélations récentes leur ont ouvert les yeux sur la réalité d’Aube dorée et du fascisme. Beaucoup aussi ont peur d’être dénoncés. N'oubliez pas qu'il y a eu un assassinat, les choses ont changé.
Ces jeunes malabars qui arboraient fièrement les symboles nazis tatoués ne veulent plus exposer à la plage ou à la salle de gym leurs torses ou leurs bras couverts de croix gammées. Leurs dirigeants emprisonnés ont dénoncé cette idéologie, comment eux peuvent-ils en exhiber les signes? Bien sûr, on peut effacer les signes sur la peau sans pour autant changer les convictions d'un homme",
conclut le praticien, en écho au poète Nikos Kavvadias:
Souvent le soir, dans l’obscurité, il essayait,
De frotter sa poitrine avec des onguents.
Mais il savait, comme nous le savons tous,
Que les stigmates du destin ne s’en vont jamais."
(Marabout)
Le chirurgien plasticien Spyros Vlachos a constaté le même afflux de demandes:
Retirer les svastikas et autres tatouages nationalistes ou racistes est de plus en plus couru. En général, beaucoup de patients (environ 40 %) regrettent ces tatouages qu’ils ont fait dans leur jeunesse. Mais depuis peu, on assiste à un afflux plus important. Pourquoi décident-ils d'enlever leurs tatouages? Je ne leur demande pas la raison. Quand un patient a un pistolet dans sa poche, vous ne demandez rien, vous vous contentez d’exécuter",
ironise le médecin.
Une opération difficile
C’est une opération difficile, les symboles nazis ou antiques sont de grande taille, ce qui implique de faire un tatouage encore plus grand pour les camoufler. Je leur conseille plutôt de le transformer en autre chose, une fleur ou un papillon."
Les mois précédents l’assassinat du jeune rappeur antifasciste, point de départ de la prise de conscience collective, la popularité d'Aube dorée est montée en flèche. L'esprit populiste "anti-système" avait infusé une partie de la société grecque, en particulier chez les jeunes.
L'effet boomerang du tatouage
Dans une banlieue populaire d'Athènes, l'atelier de tatouage de Spiros Papakonstantinou a longtemps été assiégé par des amateurs de symboles fascistes. Les magasins qui refusaient de les réaliser étaient pointés du doigt. "Maintenant, c'est l'inverse", confie le tatoueur.
Ceux-là mêmes, le cœur léger, qui s'étaient fait tatouer une croix gammée veulent aujourd'hui effacer ces compromettants emblèmes."
"La plupart ne disent rien, baissent la tête et demandent simplement à modifier les symboles. Il est évident qu’ils ont honte", analyse Spiros. Enlever des tatouages, les transformer pour les rendre moins compromettants n'est pas nouveau pour lui. Mais les motivations de ses clients ont changé:
Avant, il s'agissait surtout de personnes qui voulaient rejoindre les forces de sécurité, car les candidats ne doivent posséder aucun tatouage. Beaucoup, avant de s’inscrire, se précipitaient pour les supprimer. Rien ne les empêchait, cependant, de se les retatouer à nouveau peu après",
constate-t-il.
L’histoire pourrait se répéter, si les autorités ne prennent pas la mesure de la menace pour la démocratie que constitue l’organisation criminelle d’Aube dorée, et si la justice ne pousse pas l’enquête jusqu’au bout. Alors, un effet boomerang nauséabond risquerait fort de faire réapparaître les tatouages nazis sur les corps des Grecs.