Berlin, capitale la plus abordable d'Europe? Peut-être plus pour longtemps. Gentrification, spéculation, transition énergétique: les prix de l'immobilier grimpent, et les locataires trinquent. Reportage à Kreuzberg, quartier en mutation du sud de la ville.
En ce samedi d’automne, Grit Müller a fait le déplacement de son quartier de Pankow, situé au nord de Berlin, pour Kreuzberg, plus au sud. Dans ses mains, une pancarte "Berlin nous appartient!". Comme plusieurs milliers de personnes ce jour-là, cette trentenaire est venue manifester contre la hausse des loyers et le nombre croissant d’expulsions de locataires dans la capitale. "Notre propriétaire veut rénover notre immeuble" explique la jeune femme:
C’est vrai que le bâtiment est un peu vieux et que les fenêtres seraient à refaire mais au final, les travaux vont faire doubler le prix de mon loyer".
Les prix grimpent aussi à Stuttgart et Munich
La jeune femme explique payer 3,2 euros du mètre carré pour un appartement de 70 mètres carrés. Elle devra débourser 6,5 euros après rénovations.
J’espère trouver un colocataire pour payer mon loyer, sinon, il faudra quitter les lieux".
Elle regrette "l’absence totale de dialogue" avec son propriétaire. "Tous les locataires de l’immeuble se sont montés en association. Nous nous battons depuis huit mois mais nos chances de gagner sont infimes".
Le cas de Grit Muller n’a rien d’exceptionnel à Berlin, métropole de 3,3 millions d’habitants en plein boom immobilier. D’ici quelques années, elle pourrait bien perdre son titre de capitale la plus abordable d’Europe. Rien d’exceptionnel non plus pour d’autres villes allemandes très attractives telles que Stuttgart, Munich ou Frankfort.
Car si jusqu’à présent les prix des loyers restaient faibles de l’autre coté du Rhin comparativement aux grandes villes françaises ou britanniques –favorisant au passage la croissance et la compétitivité allemande-, depuis 2010 les prix des locations ne cessent d’augmenter. Ainsi, le prix moyen du mètre carré a atteint les 9,9 euros à Munich (ville la plus chère d’Allemagne) et 7,3 euros à Stuttgart. A Berlin, les prix de l’immobilier ont grimpé de 32% depuis 2007.
Pression immobilière
Les villes allemandes attirent de plus en plus",
explique Konstantin Khodolivin, expert des questions immobilières au centre de recherche économique (DIW) de Berlin.
Ces nouveaux arrivants ont de l’argent, de l’ambition et font évoluer le marché de l’immobilier. Ils ne veulent pas vivre en banlieue mais en centre ville et peuvent se le permettre."
A cet attrait des villes s’ajoute un autre phénomène: l’augmentation du nombre de foyers vivants en zones urbaines. "Les foyers deviennent de plus en plus petits" constate Konstantin Khodolivin. "Ils comprennent une ou deux personnes. Les gens préfèrent vivre seuls dans leur appartement. Cela aussi fait augmenter la pression immobilière".
Autre problème central, le manque de logements disponibles.
Le nombre de nouveaux habitants s’installant à Berlin dépasse le nombre de nouvelles constructions",
explique le chercheur. "Et comme Berlin ne dispose presque plus de logements vides, les prix augmentent. La demande dépasse l’offre". Avec son image de capitale jeune, dynamique et bon marché, Berlin a en effet attiré 16.000 nouveaux habitants par an entre 2001 et 2011 alors que seuls 4000 nouveaux appartements étaient construits chaque année.
Logement social en berne et envolée spéculative
A cette faiblesse du secteur du bâtiment s’ajoute le manque d’investissements et d’incitations de la part des municipalités, gouvernements locaux et Etat fédéral pour construire des logements sociaux. Selon l’association des locataires allemands (DMB) il manquerait 250.000 logements dans le pays.
Et comme si cela ne suffisait pas, le secteur de l’immobilier a subi un effet indirect de la crise de 2009: l’arrivée d’investisseurs européens à la recherche d’un marché stable et lucratif. Capitale du pays à l’économie la plus robuste d’Europe, Berlin est devenue le nouvel eldorado de ces investisseurs étrangers qui comptent désormais pour 30% du marché immobilier local.
Parmi les manifestants qui défilaient fin septembre dans le quartier de plus en plus bobo de Kreuzberg, les associations de défense des locataires dénoncent l’envolée de la spéculation sur les logements mais aussi les effets pervers de l’abandon du nucléaire par le gouvernement allemand.
Transition énergétique coûteuse
Les locataires paient le prix de la transition énergétique",
explique Lea Vogt du groupe Aktionsbündnis.
Les propriétaires font des restaurations pour économiser l’énergie et isoler les bâtiments. C’est bien. Mais au final, les loyers flambent et de nombreuses personnes se voient chasser de chez elles faute de pouvoir payer".
En effet si la loi allemande limite la hausse des loyers à 20% sur trois ans, les propriétaires peuvent en revanche répercuter sur le loyer le montant des rénovations énergétiques qu’ils réalisent. Les associations reprochent aussi l’absence de limite en ce qui concerne les nouveaux contrats. Certes il existe un système appelé Mietspiegel permettant de comparer le prix du mètre carré quartier par quartier et si besoin de poursuivre en justice un propriétaire trop goulu, mais pour Felix Herzog de la plateforme 100% Tempelhof Feld, cela ne suffit pas.
Quand un nouveau locataire emménage, le propriétaire peut augmenter le loyer autant qu’il le veut. Il faudrait imposer des limites et interdire les rénovations de luxe qui se multiplient dans la ville",
lance ce militant.
Le problème est d’autant plus sensible en Allemagne que 44,3% seulement de la population est propriétaire de son logement (contre 57% en France). Un chiffre qui tombe à 14% à Berlin. "La hausse des loyers touche la plupart des allemands. Cela explique les manifestations à répétition de ces dernières années" constate Konstantin Khodolivin.
Thème électoraliste
Alors que les Allemands élisaient leur nouveau parlement le 22 septembre dernier, le thème du logement a été largement abordé durant la campagne électorale. Le parti social démocrate a proposé de limiter la hausse des loyers pour les nouveaux contrats tandis que la formation chrétienne démocrate de la chancelière Angela Merkel préfère confiner ces limitations aux zones les plus sensibles.
Dans les rangs de la manifestation de Kreuzberg, on ne croyait toufefois pas beaucoup à l’action des politiques.
Je ne pense pas que le futur gouvernement prendra des mesures sur ce dossier. Il aura d’autres chats à fouetter",
estime Grit Müller. Cette doctorante est convaincue que l’actuel processus de gentrification de Berlin sera très difficile à contrecarrer.