A Madrid, le spectacle vivant réagit -à sa manière- à l'austérité. Les "microthéâtres" et leurs pièces de quinze minutes à prix modique affichent complet. Rencontre avec l'actrice Veronica Larios, gérante du théâtre à l'origine de cette nouvelle scène.
Quatrième volet de notre série: Européens, acteurs de cultures.
Tout a commencé dans un lupanar, il y a quatre ans. En 2009, le quartier Triball, aujourd'hui l'un des plus branchés de Madrid, est en décrépitude. Située à quelques encablures du cœur touristique de la capitale espagnole, le périmètre est alors un repaire de marlous et de prostituées.
De la maison close au théâtre
Les dealers y alpaguent les fêtards, et les néons des sex-shops font office d'éclairage. Veronica Larios, 35 ans, actrice depuis une dizaine d'années, raconte:
A l'époque, l'association locale des commerçants cherchait à réhabiliter le quartier avec des boutiques de mode et des programmes culturels. Ils avaient récupéré plusieurs appartements qui étaient d'anciens bordels. Un jour, l'un de mes associés, le metteur en scène Miguel Alcantud, a eu l'idée d'y monter des petits spectacles, sur le thème de la prostitution."
Veronica Larios. DR
L'expérience est un succès. Les médias s'y pressent, le public afflue. Désormais co-gérante du théâtre, Veronica se souvient:
Dans cette maison close, il y avait treize chambres, et une œuvre était jouée dans chaque pièce, y compris dans les toilettes, où on ne pouvait faire tenir que deux acteurs face à deux spectateurs."
Dans la foulée, les créateurs du concept décident de se lancer de manière permanente. "Avec les associés, on a cherché un lieu, puis on l'a rénové, et on s'est lancé". Aujourd'hui installé dans une ancienne boucherie, le théâtre, baptisé Microteatro por dinero, est en passe de devenir une institution.
Chaque soir, cinq pièces à quatre euros
Le principe est simple: tous les soirs, du mardi au dimanche, le local propose cinq pièces très brèves. L'entrée pour chacune d'entre elles coûte quatre euros. Chaque spectacle passe cinq ou six fois, ce qui permet une rotation efficace. Veronica Larios détaille:
Le microthéâtre, on le conçoit avec des œuvres de moins de quinze minutes, pour un petit public, d'environ quinze personnes. Les pièces se déroulent dans un espace réduit lui aussi. Les salles font moins de quinze mètres carrés."
Habitués, jeunes et familles
Cette proximité avec les acteurs a vite conquis le public. En 2012, la salle a attiré plus de 80.000 spectateurs. Dans une Espagne en crise, le concept, économique et convivial, a de quoi séduire. "On voit tous types de publics", explique Veronica Larios:
Il y a les habitués du monde culturel, bien sûr, mais aussi beaucoup de jeunes, surtout le week-end, ou des familles. En temps de crise, tout le monde n'a pas les moyens de mettre trente ou quarante euros pour aller voir une pièce de théâtre. Là, pour dix ou quinze euros, tu peux en voir plusieurs et passer un bon moment: tu peux venir avec tes amis et boire un verre entre les pièces. Découvrir la culture scénique ainsi, c'est plus facile."
La culture dans le rouge
Veronica a vu le paysage espagnol se dégrader lentement ces dernières années. Comme tous les secteurs, la culture a subi les coupes budgétaires. Avec son statut d'association culturelle, Microteatro por dinero a échappé à la hausse vertigineuse de la TVA culturelle, votée l'an dernier, qui a mis de nombreuses salles dans le rouge. La structure survit sans subvention, grâce aux entrées et aux revenus engendrés par le bar du local.
Avant de travailler en Espagne, la jeune femme, originaire de Grenade, s'est formée au Mexique et à New York.
C'est difficile de comparer les pays, et je ne veux pas généraliser, mais il y a beaucoup d'acteurs en Espagne, je dirais 85% des cas, qui doivent gagner leur vie autrement que par leur métier de comédien. J'imagine que les difficultés existent ailleurs, mais c'est vrai qu'ici, avec la crise, les gens ont moins de travail. Il y a cinq ou six ans, il y avait plus de projets. Sans compter les artistes qui bossent sans être payés."
Quand on lui parle du système d'intermittence à la française, elle sourit : "Ici, ça paraît une utopie."
Un concept qui s'exporte
Mais son discours est volontariste. L'aventure de Microteatro por dinero, qui aujourd'hui emploie neuf personnes, ressemble à une éclaircie:
On a ouvert une petite porte d'espoir. Evidemment, ça ne rémunère pas autant que le théâtre conventionnel ou la télé, mais cette expérience a permis à de nombreuses personnes de montrer leur travail."
Après le succès du microthéâtre à la madrilène, plusieurs franchises officieuses ont ouvert, à Miami, à Buenos Aires et à Mexico. Un projet est en cours en Angleterre. "Si quelqu'un est intéressé en France, n'hésitez pas à nous contacter !" lance Veronica.