Depuis le 9 octobre, la presse française plébiscite un nouveau prénom: Leonarda. Provoquant indignation, modération ou approbation, l'expulsion de la jeune sans-papier commentée. Regards européens sur une polémique nationale.
De la Vanguardia espagnole à Info Libre, du Guardian anglais au Temps suisse: la presse européenne s'est fait l'écho de l'émoi suscité en France par l'arrestation, en pleine sortie scolaire, d'une adolescente sans-papiers.
El País dénonce la "cruauté" française
"Cruauté en France": l'éditorial du quotidien espagnol -étiqueté centre gauche- ne mâche pas ses mots. Le 16 octobre, el País accorde une large place à cette "expulsion brutale et inhumaine", interprétée comme "le résultat de la dérive xénophobe imprégnant une partie de la classe politique du pays voisin (la France, ndlr)".
Le gouvernement français et Manuel Valls en particulier sont au coeur d'une tempête politique dont le débat de fond est étonnamment absent. Même le parti de Jean-Luc Mélenchon n'a pas mis en doute la légalité de l'expulsion, se contentant d'en critiquer la forme. Derrière ce cas particulier, c'est une politique implacable concernant certaines minorités telles que les Roms (seulement 20.000 personnes) qui est révélée, et avec elle la démission de la République française à intégrer ces minorités pour finalement, dans un cercle vicieux, les blâmer pour leur manque d'intégration",
condamne sans détours l'éditorial. Le même jour, l'"affaire" Leonarda est mentionnée en Une du quotidien.
La gauche française "s'échauffe"
A l'opposé, le quotidien -conservateur- La Vanguardia marque sa distance avec la colère suscitée par l'expulsion de l'adolescente, en la limitant à une partie seulement de la classe politique: "La gauche française s'indigne de l'expulsion d'une enfant rom" titre le journaliste Lluís Uría.
Une distance partisane qu'on retrouve également dans les colonnes du quotidien libéral-conservateur suisse Le Temps: "Une expulsion choque la gauche", peut-on y lire ce vendredi. Hier, jeudi 17 octobre, le titre de la revue de presse était éloquent:
L’idéologie du 'sans-papiérisme' mitraille Manuel Valls".
"L’affaire de la jeune Kosovare expulsée de France ne cesse d’échauffer les esprits", précise le journaliste du Temps, évoquant une "fracture idéologique":
Entre ceux qui prônent, au-delà de l’émotion, le respect des lois, y compris à gauche comme Jean-Pierre Chevènement, et ceux qui n’écoutent que leur cœur et leurs convictions humanistes, le fossé est désormais quasi infranchissable."
The Guardian: "un nerf sensible"
Le Guardian consacre plusieurs articles, lui aussi, à la jeune Leonarda Dibrani. Il évoque la "régularité" des expulsions dans toute la France, "tandis que le gouvernement tente de limiter l'immigration clandestine". Mais "le traitement de la jeune fille a touché un nerf, suscitant les critiques envers les policiers, accusés d'être allés trop loin et d'avoir trahi l'image de la France, championne des droits de l'homme", analyse le quotidien d'information de centre-gauche.
Hier et aujourd'hui, le titre anglais se fait l'écho des manifestations de soutien des lycéens:
Les écoliers français protestent contre les expulsions de migrants. La colère a éclaté après l'arrestation d'une jeune fille kosovare (dont la nationalité fait l'objet de controverses, ndlr) de 15 ans face à ses camarades de classe, dans le cadre de la répression du gouvernement".
Les réactions des jeunes: c'est aussi ce dont s'enthousiasme le Spiegel, dans un article daté du 17 octobre:
Tous pour un: des milliers de lycéens protestent à Paris contre l'expulsion d'une jeune kosovare de 15 ans"
Valls souille les "valeurs" de la gauche
Plus largement, le journal allemand observe le concert de réactions indignées liées à l'expulsion de l'adolescente, mais aussi la crise politique ainsi engendrée: "L'expulsion d'une élève Rom met le ministre de l'Intérieur en difficulté".
C'est aussi cette possible remise en cause de la politique gouvernementale, et les tensions -au sein même de la gauche- révélées par le cas de Leonarda qu'analysent La Libre, n'hésitant pas à titrer: "Valls souille les "valeurs" de la gauche".
La polémique a pris d'autant plus rapidement qu'elle illustre les tiraillements de la gauche dont les "valeurs" d'accueil et d'humanisme à l'égard des étrangers sont mises à mal par l'exercice du pouvoir et la difficulté à accepter réfugiés, sans-papiers et autres étrangers en temps de crise et de chômage élevé."
Le quotidien belge rappelle que ces tensions ne datent pas du 9 octobre. Il rapproche les positions de Manuel Valls comme relevant "d'un 'blairisme' à la française qui passe mal dans les rangs du Parti socialiste", et qui avait "déjà choqué en septembre une partie de la gauche en mettant en cause la capacité et la volonté de s'intégrer des 20.000 Roms vivant en France".