En uniforme, privés d'eau et d'électricité: trois jours durant, à Leipzig, 6000 passionnés participent à un "jeu de rôle" géant pour célébrer le bicentenaire de la défaite de Napoléon 1er. Nationaliste ou pacifiste, le rendez-vous divise.
Leipzig, ville allemande située à 190 kilomètres de Berlin, organise ce week-end une reconstitution géante de la bataille des Nations. Du 16 au 19 octobre 1813, elle marqua le début de la fin pour l’empereur Napoléon 1er. Suivant la catastrophe de la campagne de Russie, cette bataille de Leipzig fut la première grande défaite de Napoléon avant celle de Waterloo en 1815.
Tour d'Europe des reconstitutions historiques
A l’occasion du bicentenaire, la ville accueille 6000 acteurs et participants venus de 28 pays différents. Membres d’associations historiques, la plupart participent régulièrement à des reconstitutions similaires: Waterloo en juin, Borodino en août, Leipzig en octobre.
Durant trois jours, privés de téléphone, d’ordinateurs, vêtus d’uniformes d’époque qu’ils payent de leur poche -déboursant parfois jusqu’à 1000 euros- ces passionnés de batailles et d’histoire vont entrer dans la peau de simples fantassins ou d'infirmières ou encore participer à un large bivouac, sans lit ni eau courante. Ils relateront dimanche l’issue fatale de cette bataille de Leipzig.
Sur le terrain, les visiteurs peuvent circuler d'ici dimanche sur ce champ de bataille situé au sud de Leipzig. Au total, les organisateurs attendent plus de 30.000 personnes.
Revivre la bataille
"Cela fait 10 ans que nous organisons la reconstitution de cette bataille" explique Michel Kothe, 38 ans, président de l’association Leipzig 1813:
Cette année, nous avons vu les choses en grand à l’occasion du bicentenaire. Notre objectif est de rendre vivante cette bataille et de faire comprendre aux gens ce qui s’est passé à leur porte il y a 200 ans. Nous expliquons le contexte historique, la stratégie militaire mais aussi la vie au quotidien des soldats. Nous présentons un dispensaire pour expliquer les techniques sanitaires de l’époque. Par ce biais, nous pouvons peut-être intéresser des gens qui n’ont aucun atome crochu avec l’Histoire".
Rendre "l’Histoire vivante", l’objectif est légitime mais certaines voix s’élèvent contre l’aspect spectaculaire et les relents nationalistes d’une telle reconstitution. Faut-il vraiment faire fonctionner les canons pour commémorer une bataille qui, en trois jours, fit plus de 150.000 morts – 90.000 pour la coalition menée par la Prusse, les Russes, les Autrichiens, les Anglais et la Suède, et 60.000 pour les troupes napoléoniennes?
Réconciliation
Ce n’est pas un show",
répond Michel Kothe, "mais une représentation légitime de l’Histoire". Le président de cette association, enseignant en sciences politiques, père de famille, participe depuis l’âge de 22 ans à de telles reconstitutions historiques, en Allemagne et en Europe. Il enfile chaque année le costume de fantassin prussien sur le champ de bataille de Leipzig. Passionné par l’époque napoléonienne, il assure toutefois qu’aucun sentiment nationaliste ou revanchard ne guide ce projet.
La reconstitution historique a un objectif de réconciliation et n’a rien de nationaliste. Réunir 6000 participants de 28 pays différents, les faire bivouaquer ensemble pendant trois jours est la meilleure manière de le prouver. Et si d’autres voix se font entendre sur ce sujet, elles ne peuvent influencer notre action."
Mythe fondateur
L’énorme monument commémoratif (appelé Völkerschlachtdenkmal en allemand) érigé à Leipzig en 1913 lors du centenaire, quelques mois avant le déclenchement de la Première Guerre mondiale, rappelle toutefois l’importance de cette bataille pour les Allemands.
Largement méconnue des Français, cette défaite napoléonienne constitue outre-Rhin l’un des mythes fondateurs de la nation et occupe une place centrale dans l’histoire du nationalisme allemand. En 1913, on la commémora donc avec faste et nationalisme.
Bien sur à l’époque, le mémorial a été entouré de sentiments nationalistes mais il constitue aujourd’hui un symbole de paix pour l’Europe et le monde entier",
assure Michel Kothe.
A Leipzig, il est en tout cas bien difficile de passer à côté de ces commémorations. Au delà de cette reconstitution en costumes, se multiplient durant huit jours expositions, conférences et lectures sur le sujet.