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Le marketing vinicole grise les exportations portugaises

mercredi, 23 octobre, 2013 - 12:12

Pour promouvoir les vins portugais qui s'exportent bien malgré la crise, Lisbonne vient d'attribuer quelque 300 millions d'euros au secteur vinicole. Mais dans la région du Douro où naît le Porto, les producteurs et négociants cultivent la prudence. Reportage.

Dans son bureau très cosy au Palais de la Bourse de Porto, Manuel Cabral, le président de l’Institut du Vin de Porto et du Douro (IVDP), affiche une satisfaction mesurée à l’annonce des nouvelles aides pour le secteur vinicole.

C’est bien d’attribuer des aides pour séduire de nouveaux marchés. Mais nous devons aussi consolider nos marchés traditionnels. Nous réalisons 92% des exportations de Porto vers onze pays. A l’exception des USA et du Canada, ils sont tous en Europe. On le sait, l’Europe est en crise. Mais une bonne opération promotionnelle en France rapporte bien plus que des mois de travail pour être présents dans une foire en Russie",

explique le responsable de l’IVDP, organisme qui certifie et accompagne la production des vins de Porto et du Douro.

Les vins portugais vendus dans près de 100 pays 

Sur les rives du fleuve Douro où le négoce du vin se pratique depuis des siècles, la prudence aquise au fil du temps est devenue une seconde nature. Pour autant, le vin portugais a le vent en poupe. En 2012, le secteur a dépassé pour la première fois les 700 millions d’euros de chiffre d’affaire. Une performance non négligeable: le secteur représente presque 1% du PIB (Produit Intérieur Brut) national.

La France arrive en tête des importations de vin de Porto, contrairement à une idée reçue selon laquelle le nectar se boirait avec l’accent anglais… L’Hexagone était même, jusqu’en 2012, le premier importateur des vins portugais, toutes catégories confondues. Ce n’est plus vrai aujourd’hui: l’Angola le devance. Cette ancienne colonie portugaise connaît un fort développement économique.

L’un des atouts des vins portugais est leur forte présence à l'international: ils s'exportent dans près de 100 pays dans le monde. Le talent de négociant des Portugais explique en partie cette capacité de pénétration des marchés, mais pas seulement. Un bon rapport qualité–prix favorise aussi la compétitivité du vin lusitanien.

Déficit d'image

Pour autant, dans la région du Douro, on se montre circonspect:

Nous souffrons d’un déficit d’image. Personne ne sait ce que sont les 'vins du Portugal'. Comment expliquer par exemple qu'on ne vende pas davantage au Royaume-Uni, alors que les touristes britanniques s’enthousiasment littéralement pour nos vins?"

s’interroge Pedro Silva Reis, directeur de la Real Companhia Velha, maison de Porto depuis….257 ans.

Le monde n’a pas encore découvert que nous avons autre chose que des rosés trop sucrés, qui étaient à la mode il y a 40 ans",

ajoute Pedro Reis.

326 millions d’euros -sur cinq ans- ont été attribués par le gouvernement au secteur du vin. Cette manne provient de fonds européens dans le cadre de la PAC (Politique Agricole Commune). L'Etat a choisi d'en consacrer une part significative pour améliorer la compétitivité de la production vinicole. Sur ces quelque 300 millions d'euros, 50 seront affectés à la seule promotion. En pratique, cela représente 100 millions d’euros. En effet, les sociétés et les viticulteurs ont obligation de doubler, par l'investissement privé, la somme équivalente au subside demandé.

Le Douro, saveur et originalité

A la fin des années 80, les vignobles de la vallée du Douro, à 100 kilomètres de Porto, se sont reconvertis. Jusque là, tout ce qui n’était pas autorisé à devenir "Porto" -dont la quantité était fixée par décret chaque année- était vendu en vrac, sans identification. Mais avec l’entrée dans l’union européenne en 1986, le Portugal a bénéficié des aides agricoles et modernisé sa viniculture.

Peu à peu, sous l’impulsion de jeunes viticulteurs ou de grandes maisons qui voient là un développement prometteur, le vin devient Douro, pour les A.O.C., ou Terres du Douro pour les non classés. Les marques se multiplient. Aujourd’hui, la vallée et ses paysages de vignes suspendues au-dessus du fleuve d’or, le Douro, sont classés au patrimoine mondial de l’Unesco, au titre des paysages façonnés par l’humain.

fouloir au portugal porto     
Les chais du Domaine Casa dos lagares à Cheires, Portugal (à gauche), les paysages viticoles de la vallée du Douro (à droite). Crédit: Marie-line Darcy

Pour exprimer la difficulté à produire du vin dans la région, les Portugais ont un dicton: 

Neuf mois d’hiver, trois mois d’enfer".

C’est pourtant ce climat rigoureux et ce terroir incomparable qui donnent aux vins du Douro leur puissance et originalité.

Le foulage au pied

La technique du foulage au pied des grappes de raisin avait pratiquement disparu il y a peu: l'hygiénisme et la nécessité de produire vite étaient passés par là. Mais aujourd'hui, elle revient sur le devant de la scène. Cette pratique artisanale est susceptible d’attirer les touristes en période de vendages, mais aussi les négociants venus découvrir d’admirables nectars dans des Quintas (domaines) de toute beauté.

Pour beaucoup, piétiner le raisin dans un lagar (fouloir), une fosse en pierre, ressemble à un divertissement: il faut relever ses bas de pantalon, rincer ses pieds, puis marcher lentement dans la fosse. On sent les grains de raisin entre chaque doigt de pied…Mais en réalité, la technique est longue et épuisante, réservée à des vendangeurs chevronnés.

Il y a un mystère et une magie qui lie notre cépage au fouloir. C’est difficile à expliquer, mais c’est ce qui fait tout le charme de nos vins",

évoque Pedro Silva Reis, qui réserve la technique traditionnelle à ses plus beaux vins d’appellation et a ses vintages les plus sophistiqués.

L'authenticité, argument marketing

Aujourd’hui, il est plus facile de communiquer sur l’histoire et l’alchimie mystérieuse du vin. Les consommateurs sont lassés de l’uniformisation des cépages et des vinifications. Le Portugal est un petit pays face aux géants du nouveau monde. Nous devons nous faire connaître autrement",

assène Dick Niepoort, l’un des producteurs de la nouvelle génération parmi les plus connus. Il possède l’un des rares lagar rond du Portugal (cf photo ci-dessus). Il y réalise un vin foulé au pied qui s’arrache en Suisse ou en Allemagne.


Crédit: Marie-Line Darcy 

Le retour des fouloirs, les retrouvailles avec une manière traditionnelle de faire le vin, le développement de l’œnotourisme: autant d'initiatives qui contribuent à redorer le blason du Porto, et à faire découvrir les Douro. A Porto, pour la première fois, on a même reconstitué un fouloir en centre ville, place Clérigos (cf ci-dessus), pour inviter les gens à expérimenter cette technique, et créer un événement autour de cette tradition.

Après tout, il existe bien des batailles de tomates chez la voisine Espagne. Mais au Portugal, désormais, le défoulement est productif… 




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