Devenir actrice: les villes européennes en rêvent. Pour attirer les tournages les plus lucratifs, elles mettent en place d'ambitieux mécanismes de soutien. Coup de projecteur sur cinq décors à ciel ouvert: Istanbul, Budapest, Paris, Bruxelles et Berlin.
Rayonnement culturel, symbolique, mais aussi retombées économiques: le cinéma est un enjeu de développement territorial. Les métropoles européennes l'ont bien compris. Pour attirer les tournages, les villes jouent de leurs atouts naturels et usent aussi de carottes financières. Un coup d'oeil à la filmographie récente de Woody Allen confirme le succès de la recette.
Après Londres, sa ville fétiche (Match Point en 2005, Scoop en 2006, Le rêve de Cassandre en 2007 et Vous allez rencontrer un bel et sombre inconnu en 2010), le réalisateur new-yorkais est passé par la capitale française (Minuit à Paris en 2011) et italienne (To Rome With Love en 2012). Son amour pour le Vieux continent n’explique pas à lui seul ce movie tour: cette triologie de villes-mondes bataillent, comme d'autres capitales en Europe, pour séduire de fructueuses productions.
Turquie: James Bond et consort sur les rives du Bosphore
Quel est le point commun entre Ghost Rider 2, Taken 2, Argo et Skyfall? Ces blockbusters américains ont tous été tournés à Istanbul. Depuis quelques années, la ville attire nombre de productions occidentales et en premier lieu hollywoodiennes. Si en 2006, le nombre de films (et séries) étrangers tournés en Turquie était de 181, il a presque doublé en 2011.
Ces tournages permettent de promouvoir le pays, créent de l’emploi et font venir des investissements étrangers. Le pays a ainsi réalisé en 2011 un bénéfice de 10 millions de dollars et 15.000 personnes ont été employées. A titre d’exemple, pour le seul tournage du dernier James Bond (Skyfall), près de 800 figurants turcs ont été recrutés.
Istanbul bénéficie d’avantages naturels: beauté des paysages, monuments historiques, coût de la vie peu élevé au regard d’autres capitales européennes… Les autorités ont aussi multiplié leurs efforts afin de la rendre toujours plus attractive pour les sociétés de productions, en facilitant les autorisations de tournages. Autre avantage non négligeable, une loi "d’encouragement" est entrée en vigueur en 2010. Il s’agit d’un remboursement de 5 à 25% des taxes. Ainsi, sur un budget de 44,5 millions de dollars pour le film Argo, Ben Affleck a-t-il été remboursé de 300.000 dollars.
Preuve de l’engouement suscité, le tournage du prochain film de Russell Crowe devrait débuter en Turquie d’ici à la fin de cette année.
Belgique: une fiscalité généreuse victime de son succès
En Belgique, les régions s’arrachent les cinéastes grâce à un mécanisme fiscal: le Tax Shelter. C’est grâce à lui que de nombreux réalisateurs français, italiens, ou même américains –Steven Spielberg lui-même!- viennent tourner à Bruxelles ou Namur.
Ce Tax Shelter permet à une entreprise de déduire un "mécénat cinéma" à hauteur de… 150 % du montant versé. Si elle donne 10.000 euros à un fonds de cinéma affilié au système Tax Shelter, elle pourra ainsi déduire 15.000 euros de son assiette fiscale. On comprend l'engouement.
Le système, victime de son succès, commence à marcher sur la tête. Générant bien plus que les besoins locaux, il finance les grosses productions internationales comme The Fifth Estate de Spielberg, ou Astérix et Obélix au détriment de la fiction et surtout du documentaire belge, pourtant tous deux réputés internationalement. En 2012, le Tax Shelter a ainsi généré 180 millions d'euros quand la production locale n’en dépensait que 30 millions. Des sociétés d'intermédiaires se sont constituées qui écument les marchés étrangers en échange de commissions énormes. Résultat, moins de 20% des sommes investies financeraient les productions réelles.
Plus généralement, la région wallonne a investi dans un fonds de développement du cinéma baptisé Wallimages (au sein duquel fonctionne le Tax Shelter) mais dont les critères sont eux aussi contestés par les cinéastes du crû.
La Belgique est un acteur important de la post-production. De nombreux films étrangers y sont doublés en français. De même, des studios belges réputés et moins chers que leurs homologues français attirent les producteurs de dessins animés, qui leur confient l'animation, le son, le doublage ou le sous-titrage. Des studios belges qui effectuent une partie eux-mêmes, mais sous-traitent à leur tour à des entreprises coréennes…
Paris: la Ville lumière gagne du crédit
Paris, capitale du cinéma? Quelque 950 tournages ont lieu chaque année entre ses murs. Un curieux peu pressé peut y croiser, chaque jour, pas moins de 10 tournages en cours (long métrage, fiction télé, film ou photo publicitaire, documentaire, court métrage). La mairie de la capitale, pas peu fière, a d’ailleurs mis en place une carte recensant tous les films tournés à Paris (dans le cadre du projet Parisdata) et des "parcours cinéma", proposant aux touristes et passionnés de suivre les traces des plus prestigieux tournages. Avec Minuit à Paris de Woody Allen, on y trouve, entre autres, Hugo Cabret de Martin Scorsese, L'écume des jours de Michel Gondry.
"Attention au cocorico intempestif" met cependant en garde Michel Gomez, délégué de la Mission Cinéma, dans les colonnes du Film Français. La régularité, en effet, n’est pas le meilleur atout de l'industrie du cinéma. Et la délocalisation des tournages français à l’étranger, même en baisse en 2013, reste présente.
Pour autant, l'intérêt des productions internationales est bien là: en 2012, Paris a attiré 85 équipes étrangères provenant de 27 pays. Les décors mythiques et variés de la capitale, les compétences techniques des équipes françaises ne sont pas seuls en cause. Pour relancer une attractivité parisienne et nationale en berne, le parlement français a voté fin 2008 un crédit d’impôts autorisant un abattement fiscal -plafonné à 4 millions d'euros- de 20% des dépenses de production des équipes de tournage.
Par ailleurs, une commission soutenue par le CNC (Centre National du Cinéma et de l'image animée), Film France, facilite l’entrée des tournages étrangers. Sur son site, on trouve entre autres guides pratiques et annuaires une petite fiche technique récapitulant les 10 Good reasons to shoot in France (10 bonnes raisons de tourner en France). Disney, Universal et Paramount, à vos repérages!
Pourquoi tant d'efforts? Les retombées sont nombreuses. Si tourner dans les rues de Paris est gratuit (ce qui n’est pas le cas de toutes les capitales) les productions doivent payer une redevance pour les prises de vues dans un jardin, un stade, ou un Musée municipal. Les tarifs sont votés chaque année, et rendus publics: comptez 5000 euros environ pour une journée au coeur du petit palais. Pas si cher, comparé au privé, mais une jolie cagnotte pour la ville: 661.000 euros ont ainsi été récoltés en 2011.
Mais surtout, la venue de tournages permet d'assurer le développement des industries techniques et du bassin d’emploi de l’audiovisuel parisien. Ces retombées économiques sont une véritable aubaine pour la capitale: un studio américain dépense de 200.000 à 300.000 euros par jour sur un tournage…et contribue à l'aura de la ville la plus touristique du monde.
Hongrie : des studios high-tech dans la banlieue de Budapest
Cyrano de Bergerac (1990), Spy Game, avec Robert Redford et Brad Pitt (2001), Münich, de Spielberg (2005), Mission impossible 4 (2011), Au pays du sang et du miel, d’Angelina Jolie (2012) ou même Die hard 5 cette année…: Budapest est devenue une importante plateforme de tournage de films à gros budget. En 2009, une cinquantaine de films étrangers ont été tournés en Hongrie, qui dispute à la République Tchèque le titre de Hollywood d’Europe centrale.
Plusieurs facteurs expliquent le ballet incessant du gratin du show-biz dans les rues budapestoises: une ville particulièrement photogénique, propre au tournage de toutes les époques de l’histoire, un salaire moyen parmi les plus bas d’Europe et une main d’œuvre rarement syndiquée, un taux de change attractif du Forint, ainsi qu’une infrastructure touristique et cinématographique de haut niveau.
Mais surtout, depuis 2004, une ristourne de 20% à 25% qui s’applique aux dépenses effectuées sur place, sans plafond, à condition de passer par des entreprises hongroises. Le centre de la cinématographie hongrois a également simplifié les autorisations de tournage en 2012: le prix du m2/jour varie désormais de 1 à 7 euros, selon les quartiers.
Enfin, depuis 2007, l’ancienne base militaire de Etyek, dans la banlieue de Budapest, abrite un ensemble de studios de tournage high-tech: Korda Studio et Raleigh Film, depuis 2010.
Le marché est devenu juteux. Alors que le cinéma indépendant hongrois peine à recevoir des subventions, le niveau de co-production a été lui multiplié par 10 entre 2004 et 2009. A titre d’exemple, la première partie du tournage budapestois de World War Z (sorti en juin 2013 aux Etats-Unis, pour un budget de 190 millions de dollars) a duré 5 semaines, employant plusieurs milliers de figurants, déguisés en zombis, pour une dépense de 3,5 millions d’euros en Hongrie.
Il n’est cependant pas exclu qu’avec la crise, le système d’exonération finisse par avoir du plomb dans l’aile, sans évoquer d’autres désavantages comme la difficulté de trouver des faciès "exotiques" ou le niveau de qualification de la main d’œuvre locale.
Allemagne: les régions aux avant-postes du financement
Moins chère que la France mais plus que la Grande-Bretagne, l’Allemagne se place parmi les pays européens les plus abordables et attractifs pour les producteurs de films. L’un des vecteurs de cette réussite réside dans l’existence de studios de cinéma intégrés tels que ceux, célèbres, de Babelsberg à Berlin, extrêmement bien équipés.
L’acteur américain Georges Clooney y a tourné cet été une partie de son film, The monuments men. La région de Berlin-Brandebourg offre d’ailleurs la plus grande capacité de production d’Europe.
Autre élément de ce récent succès, la création en 2007 du fond fédéral pour le cinéma (DFFF) dont l’objectif est de promouvoir l’installation d’une industrie cinématographique, en attirant productions locales et étrangères pour le tournage et la post production. Cela passe notamment par un remboursement fiscal de 16 à 20% des coûts de productions sur place, mais implique que les candidats créent une société dans le pays.
En 2012, les 60 millions d’euros alloués par ce fond ont permis de soutenir 115 films (dont 80 fictions et 40 coproductions internationales), engendrant de la part de l’industrie cinématographique allemande 352 millions d’euros d’investissement. Résultat:
Même des productions internationales qui n’auraient certainement jamais été tournées ailleurs qu’à Hollywood sont désormais développées en Allemagne",
s’est félicité le ministre de la culture, Bernd Neumann. C’est le cas notamment du film Clouds atlas, avec Tom Hanks, sorti sur les écrans en 2012.
S’il existe au niveau national une autre institution, la FFA (Filmförderungsanstalt), chargée de soutenir le tournage et la production de films, la palme du soutien public à l’industrie du film est attribuée aux régions. Durant des années, elles ont été les seules institutions actives dans ce domaine. En 2012, les sept régions les plus engagées ont versé plus de 144 millions d’euros de subventions pour attirer les productions sur leurs territoires.
Arrivent en tête la Rhénanie du Nord Westphalie (34 millions) et la région de Berlin Brandebourg (29 millions). Plus de 300 films sont tournés chaque année dans la capitale et ses environs, dont des coproductions primées à l’international comme Amour, Inglorious Bastards ou The Reader.