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« Salaam Palace », l’enfer des réfugiés en Italie

mercredi, 6 novembre, 2013 - 15:26

Quelques 800 migrants squattent depuis des années un immeuble insalubre à Rome. Après avoir obtenu le statut de réfugiés, ils sont abandonnés à eux-mêmes. Reportage au "Salaam Palace", le "palais de la honte". 

L'endroit est lugubre, loin du centre de Rome. En cette fin de journée, il n'y a plus âme qui vive. Au détour d’un carrefour, on découvre un immeuble blafard, de sept étages aux grandes fenêtres bleues protégées par des grilles bardées de cadenas. C’est ici que vivent dans des conditions épouvantables quelques 800 réfugiés, pour la plupart originaires de la Corne d’Afrique.

Rebaptisé avec ironie "Salaam Palace" ou "palais de la honte" par les associations qui s’occupent des migrants, cet édifice devait faire partie du pôle universitaire de Tor Vergata. Fermé en raison des différentes coupes dans les budgets de l’Education, cet édifice est squatté depuis 2006 par des immigrés ayant fui les guerres et le désespoir qui ravagent le Soudan, l’Ethiopie et l’Erythrée. L’intérieur est lugubre, insalubre. Au deuxième étage, il n’y a qu’une seule toilette et une douche pour 250 personnes. Des matelas sont amoncelés dans les couloirs et sur la terrasse.

L’été, on dort sur les balcons, car dans l’immeuble, l’odeur devient vite insupportable malgré les efforts des habitants qui tentent de construire un semblant de normalité en nettoyant et en s’organisant pour éviter les dérapages sanitaires et surtout, les tensions sociales. Car avec plus de 800 personnes n’ayant que la misère pour tout horizon, la moindre étincelle peut rapidement se transformer en incendie. Pour maintenir l’ordre, un comité composé de deux représentants de chaque ethnie a été crée.

Indifférence généralisée

Au deuxième étage, les chambres sont alignées le long d'un couloir plongé dans une semi-obscurité. Une porte est légèrement entrouverte.

Il y a trois femmes là dedans. Elles sont devenues folles. Comme ne pas devenir fous avec la misère, la faim, le froid l’hiver et la chaleur l’été ? Sans avenir, on devient vite fou"

confie Melcol. 

Ce bel homme de 29 ans n’a pas de travail, comme ses compagnons d'infortune. De temps en temps, Melcol joue les médiateurs pour aider les réfugiés à remplir les tonnes de paperasserie réclamées par les autorités, soi-disant pour favoriser leur intégration dans la société italienne. Des papiers qui ne mèneront nulle part. "Avec  la crise, nous avons le droit à encore moins" ajoute Melcol.

Moins que rien, cela veut dire pas d’indemnité de chômage puisqu’ils ont du mal à s’inscrire sur les listes des demandeurs d’emploi malgré l’envie de travailler qui leur tient au ventre. Rien, cela veut dire pas de possibilité de scolarisation pour la cinquantaine d’enfants qui cavalent dans les couloirs de l’immeuble puisqu’ils n’ont pas de résidence légale.

"Nous n’existons pas, nous sommes invisibles"

Alors que faire ? "Attendre, espérer  et essayer de ne pas crever" dit Kibrom. Lui a trente ans et vient d’Erythrée. L’an dernier, Kibrom a essayé de partir. D’abord la France et la Hollande, puis la Suisse où il a passé trois mois en prison avant d’être réexpédié manu militari en Italie au nom de la "Convention de Dublin" qui autorise le renvoi des demandeurs d’asile vers le premier pays d’arrivée.

Ici, notre vie ne vaut pas un clou. Nous n’existons pas, nous sommes invisibles. Mais je reviendrais en Suisse. Je préfère être en prison là-bas plutôt qu’en enfer ici",

affirme Kibrom.

Relativement généreuse lorsqu’il s’agit d’accorder le statut de réfugié aux demandeurs, comme l’a souligné Nils Muiznieks, commissaire européen aux Droits de l’Homme, l’Italie n'assure aucun suivi social des migrants. Selon  l’Unhcr, l’agence onusienne pour les réfugiés, 58.600 sont actuellement installés en Italie dont 21.000 à Rome. 

La plupart d’entre nous voudraient partir, essayer de construire quelque chose ailleurs",

confie Kibrom.

Comme lui, de nombreux réfugiés ont essayé de passer en Suisse. Ils ont quasiment tous été refoulés vers l’Italie, la Suisse appliquant implacablement les accords de Dublin. Et cela malgré les protestations des associations humanitaires helvétiques qui soulignent la "nonchalance" des institutions italiennes vis à vis des réfugiés. 

Brava Italia, Brava Europa, en Afrique il y a la guerre, ici il y a la faim mais ils sont tous si gentils avec nous !"

dit Fatima qui vient du Darfour. A 40 ans, elle a le visage dévasté de ceux qui n’ont jamais rien eu. Et cet immeuble de la désespérance, c'est toujours mieux que la guerre.

Gentils? Pas vraiment

C’est vrai, les Italiens sont gentils, notamment à la mairie du 10ème arrondissement dont dépend Salaam Palace. Si gentils qu'ils coupent régulièrement l’eau dans l’immeuble, surtout l’été lorsqu’il fait chaud.

Abandonnés à eux-mêmes, les réfugiés de Salaam Palace sont dans un cercle vicieux infernal. Leur statut ne leur donne pas le droit à un visa Schengen qui aurait un double effet. D’abord, impliquer toute l’Europe dans la gestion des réfugiés. Puis, aider les migrants à s’installer dans des pays plus accueillants comme les nations nordiques par exemple. 

Le système est complètement désorganisé et bloqué par la bureaucratie. Il faudrait créer des services sociaux et les organiser selon les secteurs. Il ne s’agit pas de faire de l’assistanat en se contentant de leur verser quelques dizaines d’euros par mois, mais de les intégrer dans la société. Ils doivent pouvoir apprendre la langue, obtenir un logement décent et avoir un métier. Au lieu d’aider les réfugiés et les associations de volontaires, j’ai le sentiment que les institutions veulent plomber tout le monde",

s’énerve Donatella D’Angelo. Présidente de l’association "Cittadini del Mondo", cette quinquagénaire toute en rondeurs tente de faire entendre la voix des migrants auprès des institutions. Deux fois par semaine, elle soigne les habitants de Salaam Palace. Le reste du temps, elle harcèle les institutions pour les pousser à prendre en charge les réfugiés.

Le dépôt d’une demande d’asile politique devrait déclencher un soutien. Mais le  cadre est flou. D’abord, ils ne peuvent pas travailler tant qu’ils n’ont pas obtenu leur titre de séjour. Ils reçoivent parfois des cartes téléphoniques, quelques repas, une obole. Au final, presque rien",

confie Donatella D’Angelo.




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