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Osman Kavala, un mécène d’Anatolie

jeudi, 7 novembre, 2013 - 15:05

A Istanbul, le mécénat culturel a engendré un dynamisme artistique sans précédent. Osman Kavala, fondateur d'Anadolu Kültür, fait partie depuis plus de 10 ans du cercle de ces nouveaux mécènes turcs. Rencontre à l'occasion de l'ouverture aujourd'hui de la Foire internationale d’art contemporain d'Istanbul.

La cinquantaine, une barbe grisonnante et des yeux d’un bleu très clair, Osman Kavala  s’exprime posément. C’est un intellectuel, discret mais charismatique.

Né à Paris en 1957 – "simple concours de circonstance" –  il a passé la majeure partie de sa vie à Istanbul. Sa famille, originaire de Kavala, ville annexée à la Grèce en 1913. En 1924, après la chute de l’Empire Ottoman, les Kavala se sont installés à Istanbul, où son grand-père a monté un commerce d’exportation de tabac et  investi dans un entrepôt près du port, sur la rive européenne.

A défaut de parler français, Osman Kavala maitrise parfaitement l’anglais. Après des études de sciences sociales à Ankara à la fin des années 1970, il part étudier les sciences politiques et la sociologie à Manchester puis passe près une année à New-York dans les années 1980.

En 1982, je suis rentré en Turquie. Après le décès de mon père, j’ai repris les affaires familiales. Ça a été le début de ma carrière dans le commerce"

se souvient-il. Par modestie ou soucis de discrétion, il n’avoue qu’à mi-mots avoir hérité, lui et sa famille, d'une immense fortune, une des plus importantes de Turquie.

A partir de 1985, il délaisse quelque peu le monde des affaires et commence à fréquenter les centres culturels, où de nombreux intellectuels prennent l’habitude de se retrouver. 

Je pense que cette période de ma vie a beaucoup influencé mon parcours et ce à quoi je suis arrivé aujourd’hui".

Une satisfaction personnelle

Le mécénat est une chose commune en Turquie. Ce concept a explosé à l’aube des années 1980, une époque de profond changement des mentalités. Le pays compte trois familles influentes depuis des décennies qui occupent le devant de la scène culturelle : les Koç, les Sabanci et les Eczacibasi. Osman Kavala, au même titre qu’Oguz Özerden, les a rejoint plus récemment.

Si ces nouveaux sponsors ont globalement le même profil  – des héritiers dont les parents étaient influents dans le monde des affaires – chaque famille a sa spécificité. Ainsi certains se sont concentrés sur l’éducation, tandis que d’autres se sont attachés à internationaliser la scène turque contemporaine. Chacun a défini, plus ou moins naturellement, sa mission et personne n’empiète sur le terrain des autres.

En ce qui nous concerne, nous travaillons essentiellement sur les questions relatives aux droits de l’Homme, au niveau politique et sociale, à travers l’art"

explique Osman Kavala.

L’idée part d’un constat simple : les villes, notamment celles au fin fond de l’Anatolie, manquent cruellement de moyens pour l'art et la culture. Osaman et quelques amis, décident donc de créer en 2002 "Anadolu Kültür", une association à but non lucratif.

"Cela coïncidait aussi avec les pourparlers pour l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne. Il nous est paru nécessaire d’organiser des rencontres entre artistes turcs et européens afin de permettre à chacun d’en apprendre un peu plus sur nos différentes cultures".  

Je ne vous cache pas la complexité d’être à la fois un homme d’affaires et d’être engagé dans de telles activités artistiques. Il n’y a pas de juste balance, mais j’avoue laisser de plus en plus tomber la veste de patron d’entreprise pour revêtir celle de mécène, acteur d’une dynamique artistique. Et j’en tire une énorme satisfaction personnelle"

avoue le quinquagénaire.

C’est ainsi que l’aventure a pris de l’ampleur avec le financement d'un nouvel espace à Istanbul. Depo, créé en 2005, s’inscrit dans la continuité d’Anadolu Kültür et se veut une scène alternative à la création artistique stambouliote. Il est situé en plein cœur d’Istanbul, à Tophane, sur la rive européenne à deux pas de l’embarcadère, dans l’ancien dépôt à tabac de son grand-père, dont Osman Kavala a fait don. "Depo", a accueilli une partie des œuvres présentée pendant la Biennale d'art contemporain d'istanbul, de la mi-septembre à la mi-octobre.

Le mécénat, remède à la désertion gouvernementale

Anadolu kültür intervient à différentes étapes et à plus ou moins large mesure dans les projets artistiques.
"Nous aidons les artistes dans la logistique, mettons à leur disposition un espace de travail s’ils en ont besoin, organisons des expositions et des workshops et nous soutenons également compagnies sélectionnées pour des festivals" explique le bienfaiteur.

La plus grande partie des fonds provient directement de sa société familiale, 40% des institutions internationales (notamment européennes) qui supportent le projet et une infime partie restante de donations privées.

C’est difficile d’obtenir des donations privées alors que nous accentuons notre travail sur les questions politiques et sociales. C’est aussi la raison pour laquelle la majeure partie des fonds provient directement de ma société."

Si les aides privées ne cessent de croitre en Turquie (les banques privées soutiennent activement l’art contemporain aux cotés des grandes familles) c’est aussi la conséquence directe d’une triste réalité, comme le souligne Osman Kavala, "cela prouve que l’Etat, et à un niveau local les municipalités, ne soutiennent que trop peu les jeunes artistes. S’il n’y avait pas ces fondations, les artistes seraient obligés de courir après les sponsors, ce qui dénature la relation entre les deux parties".

Certes, les fondations bénéficient d’avantages fiscaux ; mais à titre d’exemple, lors d’évènements organisés par le salon IKSV, l'Etat ne prend en charge que 15% sur du budget, le reste étant financé notamment par l’une des plus importantes fondations de Turquie pour la culture et les arts, appartenant à la famille Koç.

Une situation que regrette Osman Kavala car c’est selon lui, "la meilleure manière de promouvoir la culture turque. En soutenant directement les jeunes artistes, en leur donnant les moyens de créer et d’exporter leurs travaux à l’étranger".

Vers une nouvelle politique culturelle ?

Istanbul, la contemporaine, a ainsi, sans aides publiques substantielles, parcouru du chemin depuis les années 1980. Chaque année, la ville accueille divers évènements artistiques contemporains et internationaux tels que la Biennale, la foire Contemporary Istanbul ou encore des conférences…

La vie artistique à Istanbul a radicalement changé. C’est passionnant"

confirme le connaisseur. Toutefois, le fossé se creuse chaque année un peu plus entre l’émulation stambouliote et le reste de la Turquie.

Dans les années 2000, notre objectif principal était de dynamiser plusieurs villes anatoliennes, mais nous avons compris que nous ne pourrions pas réaliser un tel changement seuls. Pour voir émerger des dynamiques locales, il faudrait des politiques culturelles adaptées, un engagement politique local"

constate Osman Kavala.

Il n’est pas le seul à l’affirmer. C’est la raison pour laquelle, en association avec l’université de Bilgi et IKSV, ils ont préparé un rapport sur les politiques culturelles à adopter.

"Mais ce changement ne doit pas se faire uniquement au niveau étatique" précise-t-il, "il doit être participatif, inclure le travail d’ONG, de la société civile, d’acteurs du monde artistique".  Cependant, le programme ne semble pas être à l’ordre du jour.

"Ce n’est pas encore l’heure" conclut-il sagement. Mais Osman Kavala est un homme qui aime les défis. D’ici là, il est bien décidé à jouer son rôle de mécène aussi longtemps qu’il le faudra.




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