Après la Villa Médicis, les punks débarquent à la Cité de la musique, à Paris. Plongée dans l'effervescence provoc et radicale qui a agité le continent européen il y a près de 40 ans.
Conçue par l’Académie de France à Rome, à la Villa Médicis, l'exposition Europunk a connu une destinée très européenne, à l'image du courant artistique qu'elle donne à voir. Présentée au Musée d’Art moderne et contemporain de Genève puis au BPS 22 à Charleroi, elle est aujourd'hui reprise à la Cité de la musique, dans une forme enrichie.
Circonscrire l’essence d’un mouvement de rupture comme celui des Punks entre les quatre murs d’un musée représente un certain défi. Mais la salle d’écoute, constituée d’un mur d’enceintes, et les quelques 500 objets (vêtements, fanzines, affiches, tracts, dessins, collages, pochettes de disques, films) présentés, immergent le visiteur dans la vitalité et créativité punk.
550 objets pour raconter l’Europunk
L’exposition Europunk raconte à travers un parcours essentiellement iconographique la naissance du mouvement punk européen à partir de la seconde moitié des années 70, au Royaume-Uni, en France mais aussi en Allemagne, en Suisse, en Italie et aux Pays-Bas. Un laps de temps qui permet d’avoir assez de recul pour analyser "son influence importante et durable sur toute
production et la pensée artistiques des années 80 jusqu’à nos jours", juge Eric de Chassey, commissaire de l’exposition.
Never Mind the Bollocks Here’s The Sex Pistols l.p. US version, 1977.
Sex Pistols artwork designed in collaboration with Jamie Reid © Sex Pistols Residuals
Les 550 pièces de l’exposition comprennent des œuvres signées par des artistes reconnus, des Bazooka à Jamie Reid, collectionnées dans toute l’Europe. On peut ainsi admirer des tee shirts percés d’épingles à nourrices comme des collections de fanzines, des affiches des concerts mythiques du mouvement, des dessins et collages, des photocopies, et, bien sûr, les incontournables pochettes de disque ou de films : "le punk a produit musiques et images sans faire de l’art mais avec l’ambition de changer la vie. C’est de cette contradiction que se trouve son moment d’extraordinaire créativité. C’est de cette constatation qu’est venue l’idée de se concentrer sur l’aspect visuel" ajoute Eric de Chassey.
Courte histoire que celle des Punks : elle commence avec la première apparition télévisuelle des Sex Pistols en 1976 – date officielle de la naissance du mouvement punk – dans l'émission "So It Goes" de Granada Television de Manchester. Elle se conclut, selon les historiens punks, par le premier passage à la BBC de Joy Division, en 1979.
Jamie Reid, Affiche pour la sortie de God Save the Queen des Sex Pistols, 1977.
© Sex Pistols Residuals (cf design de l'affiche ci-dessus)
1976 – les Sex Pistols chantent God Save the Queen à la télé
Outre le fait qu'elle a marqué l’histoire musicale, la célèbre première apparition des Sex Pistols à Granada Television est particulièrement mise en valeur par l’exposition parce qu’elle signifie tout de suite ce que fut l’impact visuel du Punk. Le grand public voyait pour la première fois un vrai "mouvement", fruit du travail de stylistes comme Malcom Mc Laren, Vivienne Westwood et des images de Jamie Reid, créateur du fameux visage de la reine Elisabeth dont les yeux et la bouche sont couverts du titre de la chanson God Save The Queen.
Cette apparition marque le moment décisif de la créativité punk : elle dévoile surtout au grand public un spectacle visuel qui fait de la violence un canon esthétique. Ces images provocatrices iront d’ailleurs bien au-delà de la brève expérience du groupe musical qui se sépare après une tournée chaotique aux Etats Unis en janvier 1978.
Bazooka – l’arme de la bande dessinée photocopiée
Le tour d’horizon européen du phénomène commence avec la France et l’impressionnante production du collectif Bazooka, le seul groupe qui ait réussit à traduire visuellement la puissance exprimée musicalement par les Sex Pistols. Un premier groupe d’étudiants des Beaux-Arts de Paris formé d’Olivia Clavel, Lulu Larsen, Kiki Picasso, Loulou Picasso et Bernard Vidal sont rejoints plus tard par Ti5-Dur et Jean Rouzaud.
Bazooka Productions, Loulou Picasso, Un Regard sur le monde n°0, 1978, collection particulière
Le collectif s’attaque aux arts visuels par le biais de la bande dessinée pour mieux signifier la rupture avec les codes traditionnels : leurs publications apparaissent sous forme de magazines, fanzines, photocopies pour en assurer une plus grande circulation.
En tant que force artistique radicale, le punk attribue une valeur révolutionnaire aux images : "son principe essentiel part d’une sorte d’urgence créative. Les artistes punks créent sans se préoccuper de savoir dans quels contextes leurs productions vont apparaitre ou si elles correspondent à un canon ou une matière spécifique".
L’important c’est donc de répondre au besoin urgent de produire et d’être diffusé à un très large public, d’où l’usage massif de la photocopie et des pochoirs. Cette liberté créative et l’affranchissement de toute les conventions sont au centre de l’héritage visuel punk, à l’image de la mythique collection de fanzines "Sniffin’ Glue" de Mark Perry présentée dans la salle dédiée au "DIY".
Punk "vendu au capitalisme"
Le mouvement aime prendre des positions contradictoires et utilise volontiers un mélange de symboles nazis et fascistes. Les images font l’apologie de la violence, montre une certaine fascination pour le terrorisme, le radicalisme. "White riot" des Clash en 1976 est emblématique de ses positions politiques radicales, mais il faut attendre 1977 pour que l’imaginaire punk aille côtoyer l’extrême gauche : les Crass, qui dénoncent les Clash "vendus au capitalisme", fondent leurs activités sur l’engament politique et social. Les images de Gee Vaucher résument cet engagement anarchique repris ensuite par le collectif hollandais Raket et le groupe Rondos.
Des principaux pays européens, l’Italie est clairement restée à l’écart par rapport à la fièvre punk qui embrasait l’Europe.
"Le monde est devenu fluorescent"
L’esthétique punk se fonde sur le pouvoir de la régression combinée à la provocation : les symboles nazis, la pornographie et même la scatologie sont les armes utilisées pour lutter contre l’ordre établi. Les corps et les visages ne sont pas jamais pris en considération si ce n’est dans la parodie ou la dérision, comme le disait "X-ray spex" le "monde est devenu fluorescent".
Malcolm McLaren, Bernie Rhodes et Glen Matlock, affiche pour le concert des Sex Pistols, Paris, 1976.
D.R. et Courtesy Malcom McLaren
Trente-cinq ans plus tard les images de femmes dont le sexe est coupé au cutter ou encore de policiers très clairement sodomisés ont conservé tout leur pouvoir provocateur.
Malcolm McLaren et Vivienne Westwood. T-shirt Two Cowboys (collection Seditionaries), 1977.
Courtesy Estate of Malcom McLaren
A partir des années 76-77 au Royaume Uni et en Allemagne le mouvement punk commence à être appelé New Wave, c’est la début d’un retour aux formes qui cohabitent désormais avec l’esthétique du chaos. Certains artistes punks comme Peter Fischli excellent dans le jeu d’équilibre entre ces tendances opposées. Mais il représente aussi la fin de la brève histoire du No future.
Immédiate et très visuelle, Europunk a, entretemps, gagné son pari: raconter l’histoire d’un mouvement qui se voulait en totale rupture avec tous les passés mais qui aura laissé, paradoxalement, une trace décisive dans le futur.
Exposition « Europunk » Cité de la musique, Paris, du 15 octobre 2013 au 19 janvier 2014
Article publié initialement le 7 février 2011, à l'occasion de la première présentation de l'exposition, à la Villa Médicis. Mise à jour le 8 novembre 2013.