En Grèce, la lutte armée entre extrême droite et extrême gauche ne date pas d'hier. Et l'assassinat de deux militants d'Aube Dorée, en représailles à celui du rappeur Pavlos Fyssas, n'est pas le prélude à une guerre civile, contrairement à ce que laisse entendre le gouvernement relayé par la presse. Analyse.
A la suite de l’assassinat de deux militants du parti néonazi Aube Dorée (Chryssi Avghi), le 1er novembre dernier, par deux motards membres d’un groupe armé d’extrême gauche, les autorités et la presse crient aux loups, craignant un risque de guerre civile. Cela est largement exagéré, surtout au regard de l’histoire contemporaine grecque.
Samedi dernier, le 16 novembre, le double meurtre a été revendiqué sur le site d’informations Zougla par les "Groupes révolutionnaires populaires combattants", organisation inconnue à ce jour, "en représailles à l’assassinat de Pavlos Fyssas".
Le 10 novembre dernier, Nikos Dendias, ministre de l’ordre public, déclarait au quotidien To Vima:
Ceux qui sont indifférents à la vie humaine et tentent de déstabiliser et de diviser la société rendront des comptes et seront punis. Nous ne permettrons pas aux extrêmes de nous entraîner vers une guerre civile. La spirale d’attaques terroristes et d’une vendetta de sang sèmera à nouveau l’insécurité dans la société".
En écho, la mère d’un militant gravement blessé de l’Aube Dorée appelait "les Grecs à s’unir, à dépasser les divisions pour le bien du pays et pour que le sang cesse de couler".
Mais d’où vient l’Aube Dorée, parti ouvertement néo-nazi? Fondé en décembre 1980, il n’avait jamais vraiment dépassé les 1% lors des précédentes élections. Mais en 2008, il a mis à profit la crise économique, financière et bien sûr sociale: un chômage à 27% (60% chez les jeunes). Dès lors, Aube Dorée apparaît comme un ultime recours pour de nombreux Grecs désemparés, une alternative à une classe politique discréditée pour avoir poussé le pays dans l'impasse.
Aux législatives anticipées de mai 2012, l’Aube Dorée rafle 441.000 voix: 6,9% et 21 députés sur 300. Aux législatives suivantes, en juin de la même année, contre toute attente, il stabilise son électorat avec 426.000 voix, 6,7% et 18 députés.
Les origines du néonazisme grec
Nikos Michaloliakos qui a fondé l’Aube Dorée en décembre 1980 était un fervent partisan des Colonels qui avaient interdit les syndicats et tous les partis politiques, sauf ceux d’extrême droite. Né en 1957 à Athènes, il rejoint en 1973 le "Parti du 4 août", cette date étant celle du coup d’Etat du général Métaxas, militaire royaliste pro-fasciste, du 4 août 1936.
A la chute des Colonels en juillet 1974, Michaloliakos est arrêté, puis en janvier 1979, il est condamné à un an de prison ferme. A sa sortie de prison, il fonde l’Aube Dorée, s’appuyant sur les mouvements d’extrême droite déjà existants.
Ce parti est notamment proche de l’ENEK (Mouvement national unifié), ouvertement antisémite, il publie en grec "Les protocoles des sages de Sion". Un an plus tard, nombre de militants de l’ENEK rejoignent la jeune Aube Dorée.
L’ENEK, devenu groupusculaire, survivra jusqu’en 1990, mais une partie de ses cadres a rejoint l’EPEN (l’Union nationale politique), dirigée par le frère du colonel Giorgos Papadopoulos, chef de la junte de 1967 à 1974.
Anti-Turc, anti-Albanais, anti-Juifs
Ces groupes d'extrême droite sont actifs. De la fin de la dictature des colonels en juillet 1974, jusqu’à l’arrivé au pouvoir des socialistes en octobre 1981, ils commettent 69 attentats, contre 81 pour l’extrême gauche.
En février 1979, neuf membres du groupuscule fasciste "Organisation du redressement national", eux aussi orphelins des Colonels, sont arrêtés pour avoir commis des attentats qui ont fait 37 blessés de 1977 à 1979. En juin 1981, les néo-fascistes brûlent les supermarchés Klaoudatos et Lambropoulos dans le centre d’Athènes. Le 30 mai 1988, cette mouvance pose une bombe contre la mosquée de Komotini en Thrace occidentale grecque où vit la minorité turque.
Cette extrême droite, en contact avec les néofascistes italiens, va aussi se cimenter sur le nationalisme anti-Turcs, anti-Albanais, anti-Macédoniens et anti-Juifs. Le 9 avril 1994, un commando du MAVI (Mouvement de libération de l’Epire du nord) franchit clandestinement la frontière gréco-albanaise et attaque une garnison de l’armée albanaise à Episkopi, tuant un officier et un soldat albanais.
Incident diplomatique
Cela provoque un dangereux incident diplomatique entre l'Albanie et la Grèce, et sept membres du MAVI sont arrêtés en mars 1995.
En décembre 1997, c'est, cette fois, le groupuscule "Guerriers aryens" qui dépose une bombe devant le local du parti communiste réformateur "Synaspismos" à Zographou. Et l'année suivante, en avril, des néo-nazis placent une bombe devant la porte du Conseil juif d’Athènes.
Alors que l’Aube Dorée est encore très peu connue, en septembre 1993, le groupe "Lutte révolutionnaire anti fasciste" fait sauter ses locaux à Kypséli. Le 13 mai 1994, un cinéma athénien où était organisé une conférence de l’Aube Dorée est plastiqué par ce mouvement d'extrême gauche. Le 5 février 1998, c'est le local du Pirée qui explose. Et plus récemment, le 4 décembre 2012, leurs locaux d’Aspropyrgos sont, à leur tour, détruits.
Avec leurs 21 puis 18 députés, les dirigeants d’Aube Dorée se lâchent: violence contre les journalistes, contre une députée communiste sur un plateau de TV et surtout des ratonnades dans les quartiers où vivent des immigrés, en particulier pakistanais. Plusieurs seront tués.
Les médias grecs affirment qu’ils ont infiltré la police et l’armée. En fait, ce n'était pas nécessaire. Nombre de policiers étant idéologiquement proches d'Aube Dorée. C’est ainsi que des personnes victimes des agressions de l’Aube Dorée ayant voulu porter plainte ont été rabrouées par ces fonctionnaires de l’Etat. Certaines ont même été mises en garde à vue et molestées.
Arrestations groupées
Se sentant, dès lors, intouchables, les militants de base de l’Aube Dorée ont franchi un cap dans la violence. Le 18 septembre dernier, une brute épaisse du mouvement, Giorgos Roupakias, poignarde à Keratsini le rappeur d’extrême gauche Pavlos Fyssas, devant sa femme.
Le gouvernement dirigé par le Premier ministre Andonis Samaras a alors pris peur. La justice a aussitôt lancé un mandat d’arrêt contre 32 membres de l’Aube Dorée. Le 5 octobre, à l’heure du laitier, le député et président du mouvement, Nikos Michaloliakos, est arrêté ainsi que le numéro deux du parti et trois autres députés. Et un dernier, Christos Pappas, en fuite, est finalement arrêté le 6 octobre.
Le 16 octobre, le parlement grec vote la levée de l’immunité parlementaire des autres députés de l’Aube Dorée. Par ailleurs 14 militants, non élus, font l’objet d’un mandat d’arrêt pour "adhésion et commandement d’une organisation criminelle".
Ripostes meurtrières
L'extrême gauche, est, pour sa part, beaucoup plus discrète. Depuis 2002-2003, le groupes les plus violents et les mieux organisés ont été démantelés ou se sont mis en sommeil. Des petits groupes anarcho-autonomes qui passaient leur temps à brûler des voitures et placer des bombinettes ont pris le relais, sans faire grand mal. Les deux derniers attentats importants, dont les revendications ne sont pas claires, ont eu lieu les 24 juin et 19 juillet 2010.
Le dernier, fut l’assassinat devant chez lui à Ilioupolis, du journaliste d’investigation Socratis Giolias, 37 ans. L'autre attentat, particulièrement audacieux, fut le dépôt d’une bombe dans le bureau contigu du ministre de l’intérieur. Son chef de cabinet, Giorgos Vassilakis, 52 ans, fut tué sur le coup.
Depuis plus rien de sérieux, jusqu'au 1er novembre dernier.
En plein jour, sûrs d’eux, quatre militants de l’Aube Dorée sortent de leur permanence pour fumer une cigarette. Une moto s’arrête à leur hauteur. Le passager à l’arrière en descend avec son casque intégral à la visière teintée. Il sort un pistolet 9mm de marque yougoslave Zastava et tire douze balles. Deux "aubistes" sont tués sur le coup: Giorgos Fountoulis (27 ans) et Manolis Kapelonis (22 ans). Alexandros Gerontas est grièvement blessé et le quatrième n’a pas été touché, car en retrait dans le groupe au moment de l’attentat.
Organisation mafieuse
Aussitôt, le grand quotidien proche des socialistes, Ta Néa écrit :
Ce crime n’est rien moins qu’une attaque contre la démocratie elle-même".
Son homologue de droite, Elefthéros Typos :
Il est certain que les auteurs des faits ne cherchaient pas simplement à exercer des représailles politiques contre Aube Dorée, mais aussi à déstabiliser le pays".
Quant au quotidien Avghi proche du Parti de la Gauche Radicale, il s'inquiète surtout d'une possible "victimisation des néonazis".
Quant à l’Aube Dorée, elle est désormais dans le collimateur de la justice qui l’accuse, outre de violences politiques, d’être aussi une organisation mafieuse qui vit de trafics, de racket et qui pratique la corruption.