L’eurodéputé portugais Rui Tavares veut créer un nouveau parti, Livre (Liberté, Gauche, Europe et Ecologie) afin d’offrir une alternative aux déçus de la gauche. Dans un pays exaspéré par les successifs plans d'austérité, ambitionner le sauvetage des idéaux de la révolution des œillets pourrait s'avérer payant.
Ce n’était pas la foule des grands jours. Mais l’assemblée de 150 personnes venues assister, le 16 novembre à Lisbonne, au lancement de Livre, le nouveau parti de gauche, s’est révélée plus importante qu’attendue. A la surprise du premier intéressé, l’eurodéputé Rui Tavares, qui présentait son projet.
Rassembler les déçus de la gauche
Rui Tavares n’est pas un inconnu de la scène politique portugaise, loin s’en faut. A 41 ans, cet historien de formation, élu en 2009 au parlement européen pour le Bloco de Esquerda (BE), l’extrême gauche portugaise, a choisi de rompre avec ce parti, et de rejoindre au Parlement de Strasbourg le groupe des verts. Chroniqueur régulier au journal Público, il est un proche de Daniel Cohn-Bendit.
Tavares revendique tout à la fois son indépendance et son appartenance à la gauche. Il place d’emblée son futur parti entre le PS et les deux formations de l’extrême gauche, le BE et le Parti communiste (PCP). L’eurodéputé affirme qu’il ne se retrouve dans aucune des formations à gauche au Portugal. Son ambition est de rassembler les "déçus de la gauche" en initiant une convergence des idées et des personnes. Surtout, il se projette en 2015, date des prochaines élections législatives au Portugal.
Franc-tireur pro-européen
Le politicien redoute une alliance objective entre le PS et le PSD (parti Social Démocrate, actuellement au pouvoir), ou même entre le PS et le CDS, les chrétiens démocrates du deuxième parti de la coalition au pouvoir. En clair, la formation d’un bloc centriste déjà en marche, et qui conduirait à un changement de constitution. Une perspective qui mettrait fin à l’idéal de gauche issu de la révolution des œillets d’avril 1974.
Je veux alerter sur l’irresponsabilité politique, l’irresponsabilité patriotique et l’irresponsabilité devant la gauche, au lieu de réfléchir à la manière de rapprocher le gouvernement de la gauche, et (…) de laisser faire tranquillement pour que le PS s’allie à la droite",
déclarait l’eurodéputé à la radio Antena 1.
Rui Tavares s’est donné jusqu’à la fin janvier 2014 pour créer des ponts entre les divers courants de gauche, et contacter les différents partis. L’un des objectifs du Livre sera de faire en sorte que la gauche s’unisse pour présenter au moins un candidat commun aux élections européennes du printemps prochain. Ce candidat serait désigné à l'issue de primaires au sein de ce nouveau camp idéologique. Livre se place d’emblée dans le camp des pro-Européens, un positionnement rarement ou mollement défendue par la gauche.
Parti en devenir cherche 7500 signatures
Pour l’instant, Livre cherche encore à exister: il faut 7500 signatures d’électeurs pour que la Cour Constitutionnelle portugaise entérine les principes et la charte du nouveau parti et lui accorde le feu vert.
Le logo du projet de parti: le coquelicot rouge, symbole de liberté, a illustré la paix pendant la Première Guerre mondiale.
Dans l’ensemble, l’initiative de Rui Tavares n'a pas vraiment passionné les médias. Entre des interrogations sur les vrais mobiles de l’eurodéputé, il plane des doutes quant aux capacités financières à faire tourner une machine partisane. D’autres trouvent un peu mince ce collectif qui se limite à une seule personne.
Mais Rui Tavares n’a pas l’intention d’abandonner, et préfère riposter en citant Archimède:
Donnez-moi un point fixe et un levier et je soulèverai la terre".
Mario Soares, un vieil agitateur dérangeant
Il n'est pas le seul à adopter ce positionnement de franc-tireur. L’ancien président de la République, et fondateur du parti Socialiste Portugais, Mario Soares, a, de son côté, repris du service. A 86 ans, le vieux lion ne s'est jamais vraiment éloigné de la politique politicienne ou partisane.
Mais il surprend encore. Récemment, il a fait salle comble, en s'exprimant sur la défense de "la constitution, la démocratie et l’État social". Dans l’auditorium central de la faculté de Lisbonne, le 21 novembre, étaient rassemblés des socialistes, des centristes, des membres de l’extrême gauche et même quelques personnes de droite. Soares a appelé à la démission du Président de la république "tant qu’il est encore temps pour lui de partir de sa propre volonté, en évitant la violence".
Ras-le-bol et lassitude
Alors que Soares prononçait son discours, à l’autre bout de la ville, les policiers venus manifester devant l’Assemblée nationale ont gravi l’escalier monumental qui mène au bâtiment. Une occupation symbolique, avec la complicité de leurs collègues censés empêcher l’invasion des marches. Un avertissement, une mise en garde: les policiers ont voulu montrer qu’ils peuvent s’emparer de l’Assemblée.
Cinq jours plus tard, alors que le gouvernement venait de voter son budget d'austérité pour 2014, des syndicalistes occupaient à leur tour quatre ministères. Depuis, les incidents se multiplient.
Soares a été accusé d’avoir appelé à ce genre d’action très rare au Portugal. Le vieil homme s’en défend, expliquant qu’il a justement voulu alerter sur le ras-le-bol et la lassitude de ses concitoyens.
Soares et Tavares ne se sont visiblement pas concertés, mais les liens entre leurs positionnements idéologiques sont frappants. Le vieil homme qui assure n’agir que pour "sauver le Portugal" serait-il prêt à rejoindre Livre? Pour l’instant le dérangeant M. Soares a choisi d’éluder la question.