La France et l’Allemagne remportent leur bras de fer contre le Royaume-Uni et l’Europe centrale. Après de longues heures de négociations sur le travail détaché, les ministres du travail des pays européens se sont finalement mis d’accord pour lutter plus efficacement contre les fraudes.
Enfin un accord! Il aura fallu près de huit heures pour que les ministres européens du travail, réunis dans la soirée d'hier, arrivent à un accord pour encadrer le travail détaché. Paris et Berlin ont finalement obtenu gain de cause face au refus du Royaume-Uni et des pays d'Europe centrale et grâce au ralliement surprise de la Pologne.
Désormais, les pays de l'Union européenne seront dans l'obligation de coopérer au démantèlement des circuits du détachement frauduleux. Chaque pays sera dans l'obligation de poursuivre l'entreprise en infraction, même s'il s'agit d'un sous-traitant. Les Etats devront également mettre en place un système de sanctions équivalentes, au nom d'une "responsabilité conjointe et solidaire", mais uniquement, et c'est le principal bémol de cet accord, dans le secteur du BTP. Un domaine qui use de beaucoup de travailleurs détachés, notamment en France. Cette mesure restera optionnelle pour l'industrie des transports, de l'agroalimentaire ou de l'agriculture. La Commission européenne vérifiera elle-même si les sanctions prisent par les pays membres, sont proportionnées aux fraudes.
Depuis l’adoption en 1996 de la directive européenne 96/71, assouplie en 2006 par le commissaire européen Frits Bolkestein (d'où son surnom de "directive Frankenstein"), une entreprise peut envoyer ses employés travailler à l'étranger. Cette initiative devait initialement permettre de pallier les besoins de main-d'oeuvre dans certains pays de l'UE.
L'entreprise doit garantir le respect d'un minimum de conditions de travail (salaire minimum, nombre d'heure etc). Mais les cotisations sociales que paient l'employeur sont celles du pays d'origine du salarié détaché. De quoi faciliter les abus.
En France, le travailleur détaché est très prisé
Beaucoup de travailleurs détachés sont exploités. Un rapport parlementaire, daté du 29 mai 2013, parle même d'esclavage moderne.
Le travailleur "low cost" devient ainsi le nouvel esclave moderne. Titulaire d’un contrat de travail qui n’est pas respecté, il travaille plus que ce qu’autorise la législation, peut dormir dans des hangars ou sur des simples paillasses, être nourri de boîtes de conserve pendant des semaines, et ne fait l’objet d’aucun contrôle de la part de la médecine du travail."
Les entreprises profitent du faible coût des charges patronales pour employer de nombreux ressortissants des pays de l'Est. Le coût du travail en Bulgarie avoisine les 3,50 euros de l'heure alors qu'il atteint les 34,90 euros en France. De quoi privilégié l'ouvrier bulgare au travailleur français. Pour le Parlement :
(…) le maintien de l’affiliation au système de sécurité sociale du pays d’origine, conçu à l’origine comme protecteur du salarié (il s’agit de maintenir la continuité de l’acquisition des droits sociaux) entraîne une concurrence déloyale, du fait des écarts entre les coûts salariaux qu’il entraîne."
Les députés français vont jusqu'à dénoncer un "dumping social légal" orchestré par l'Union. La France demeure pourtant l'un des pays qui accueille le plus de travailleurs détachés, avec 350 000 personnes reparties sur tout le territoire selon le Ministère du Travail. La majorité de ces salariés low cost viennent de Pologne (18%), du Portugal (15%) ou de Roumanie (13%). L'Hexagone se situe juste derrière l'Allemagne, selon une enquête du Sénat.
Allemagne, terre d'accueil…
Chaque année, 180.000 travailleurs étrangers viennent grossir les rangs de l'industrie allemande. Et si le ministre du Travail allemand se dit prêt à coopérer pour encadrer les travailleurs détachés, il n'en a pas toujours été ainsi. En mars 2013, la Belgique a déposé une procédure en infraction contre l'Allemagne. Les salariés détachés étaient payés entre trois et huit euros de l'heure dans le secteur de l’abattage de la viande.
L'Allemagne profite de son absence de salaire minimum, du moins pour le moment. En payant moins ses salariés, venus le plus souvent des pays de l'Est, Berlin réinvestit l'argent gagné dans sa propre industrie, soutient ses éleveurs, et peut vendre moins sa viande. En dix ans, l'Allemagne a augmenté ses exportations de pièces de porc désossés de 550%. La France, elle, peine à 20%.
Mais, c'est moins connu, l'Allemagne figure également parmi les pays qui exportent le plus de travailleurs à l'étranger avec 250 000 salariés détachés. Elle campe ainsi à la deuxième place, derrière la Pologne (300 000 travailleurs détachés et pas seulement des plombiers !)
A l'Ouest, l'Eden
Malgré son économie florissante, la Pologne peine à retenir ses travailleurs. Le pays est pourtant l'un des seuls en Europe à ne pas avoir connu la récession et ce depuis 2008. Les perspectives de croissance sont positives. Bruxelles avance même le chiffre 1,9 % de croissance pour 2013. Le chômage au sein de la population active tourne autour de 10,2%. Rien ne laisserait penser, au premier regard, que le pays puisse connaître une fuite massive de sa population. Pourtant, entre 2004 et 2009, près d'un million de Polonais ont quitté le pays.
La majorité des migrants, candidats au travail détaché, sont des jeunes en quête de fortune. En 2009, 93% des personnes ayant déserté la Pologne avaient moins de 34 ans. Le chômage chez les moins de 25 ans est très élevé (26,3% en juillet 2013). Quant au salaire moyen, il tourne autour de 500 euros. Le marché du travail est bien plus attirant à l'Ouest du continent. Surtout pour les transfrontaliers qui peuvent à la fois gagner de l'argent en Allemagne et tout dépenser en Pologne.