Une toile ce week-end? Blockbusters ou ciné-clubs, à chacun son cinéma. Mais qu'ils soient Turcs ou Allemands, jeunes ou seniors, passionnés ou dilettantes, les Européens partagent un même regret: le prix des places est trop élevé !
Chronique sur RFI - Le cinéma des Européens
Pas loin d'un milliard d'entrées en 2013(1): les salles obscures attirent toujours les Européens.. Mais entre les Français, comme les Irlandais plutôt cinéphiles, et les Allemands ou les Turcs, les écarts sont importants.
Allemagne (7,60 €): le mardi c'est tarif réduit
En Allemagne, le prix du billet de ciné ne cesse de grimper et varie en fonction des cinémas, des villes, des régions, mais aussi des jours de la semaine.
En moyenne, en 2012, un adulte devait débourser 7,60€ pour voir un film (hors 3D) contre 6,04€ en 2007. C’est dans les villes de l’ouest du pays, notamment dans la Ruhr, que ce loisir est le plus cher. A Brême, Essen, Dortmund et Bochum, il faut débourser plus de 8€ par adulte contre 7,46€ à Berlin et 6,78€ à Dresde, dans l’est.
Pour payer moins cher, il faut avoir moins de 12 ans, être étudiant, senior ou chômeur. Il faut aussi éviter les week-ends: trois quarts des cinémas allemands proposent des journées à tarifs réduits, dans la semaine, le plus souvent le mardi.
Un cinéma du groupe Yorck, à Berlin.
Le principe des cartes illimitées est récent en Allemagne et proposé par les grosses structures telles que Cinemax (249€ pour un an) ou les cinémas Yorck (229€ par an). Quant aux films en 3D, ils sont sans pitié pour le porte-monnaie car ils coûtent entre 3 et 7€ de plus par personne.
Portugal (6,50 €): les films d'auteur en déclin
Trop cher le cinéma? Les Portugais semblent le penser: le nombre de spectateurs recule depuis 2005. En 2011, les salles avaient ainsi perdu la bagatelle de 800.000 spectateurs.
Une place coûte environ 6,50€, mais les prix sont fluctuants. Il est plus économique d’aller dans une salle de centre commercial de la proche banlieue de Lisbonne que dans les salles du même exploitant au cœur de la capitale.
Pour remonter la pente, les distributeurs multiplient les réductions. Ils ont créé des "jours du spectateur" à tarif réduit, en plus du lundi moins cher (souvent 2€ de moins la place), une mesure adoptée dans la foulée de la France, pionnière en la matière. Autre astuce, l’attribution par les entreprises de "cartes cinéma", émises par des banques, des centres commerciaux ou par les propres distributeurs, et qui font baisser le prix de la place d’un euro.
La crise redessine le réseau, qui, paradoxalement, se densifie: le nombre de salles pour 100.000 habitants est passé de 4,1 en 2000 à 5,2 en 2012 (dans le même temps le nombre de spectateurs moyen par séance a été divisé par deux). Ce sont sont les distributeurs indépendants portugais qui mettent la clef la porte… Comme Castello-Lopes, qui a fermé 70 salles, dont la plupart ont rouvert une fois rachetées par un groupe brésilien. Des salles emblématiques ont également fermé, comme celles du King, de Paulo Branco, producteur et distributeur très connu en France.
Parallèlement, d’autres salles rouvrent sous un label low cost, ne programmant que des blockbusters, en 3D de préférence, à un prix du billet aux alentours de 4€. La fin d'une époque: au King, cinéma de films d'auteur, des ouvreuses vous emmenaient encore à votre place.
Hongrie (5 €): les ciné-clubs à la rescousse
Budapest est une ville du cinéma au même titre que Paris ou Rome. Son histoire avec l’image animée remonte à 1896, année fastueuse où le cinématographe des Lumières est alors utilisé pour la première fois dans la capitale magyare. La technologie fait sensation et se répand comme une traînée de poudre: en 1911, Budapest comptait 100 salles de cinéma.
Depuis, les Hongrois ont conquis Hollywood, les studios ont envahi les banlieues de Budapest et les multiplexes assaisonnés de comédies américaines se sont multipliés ces vingt dernières années, boostés par l’arrivée des centres commerciaux.
Mais depuis la crise de 2008, le public se fait de plus en plus rare dans les salles obscures, tout comme les subventions. Budapest compte encore 8 cinémas d’art et d’essai. En moyenne, le ticket coûte 1.500 Ft (5€) et de nombreuses réductions sont à la clef. Les blockbusters internationaux sont presque systématiquement doublés, la VO étant quasi exclusivement réservée aux cinémas d’art et d’essai.
Si les salles souffrent, le cinéma résiste grâce à des voies alternatives: les ciné-clubs (Film klub). Qu’ils soient nichés dans des bars ou chez l’habitant, ces rendez-vous réguliers se comptent par dizaines rien que dans la capitale et sont l’occasion de redécouvrir et rediscuter des grands classiques ou des documentaires méconnus.
France (6,4 €): quand on aime on ne compte pas?
Le cliché est répandu: la télévision, la VOD (vidéo à la demande) ou le piratage favoriseraient la désertion des salles de cinéma. Pourtant, depuis 20 ans, les Français sont de plus en plus nombreux à se faire une toile: en 2012, les deux tiers sont allés au moins une fois au cinéma, contre à peine plus de la moitié en 1993.
La fréquentation globale se porte plutôt bien: en moyenne, chaque Français va 3,3 fois par an au cinéma (plus du double de la moyenne européenne). Si l'année 2013 a été morose, avec 190 millions d'entrées (contre 210 l'an dernier), elle s'inscrit dans une tendance globale positive. En tête du palmarès des films qui ont fait sortir les français, la comédie tient son rang: Moi, moche et méchant est suivi d'Iron Man 3, Django Unchained et Gravity. Il faut attendre le 5ème rang pour voir apparaître un film français: Les Profs.
Le prix, dans la moyenne européenne, 6€42, n'est pas vraiment un atout pour entretenir une culture ciné. D'autant que près d'un tiers des billets est vendu à plus de 7 euros (2). Et les principaux exploitants de salles, (UGC, Gaumont, MK2) comme les salles indépendantes pratiquent des pleins tarifs prohibitifs, de l'ordre de 10 euros. Cependant, de nombreuses initiatives encouragent le cinéphile.
Les tarifs réduits bien sûr (pour les jeunes, les étudiants, les chômeurs, les seniors…), mais aussi les formules illimitées, très critiquées par certains exploitants lors de leur lancement en 2000. Elles ont, selon l'analyse du CNC, permis de préserver la fréquentation du public assidu. Ainsi, en 2009, environ 300.000 personnes possèdent une carte d’abonnement illimitée.
La Fête du cinéma, ou encore le Printemps du cinéma, favorisent aussi des sorties à prix réduits. Dernière initiative en date: un tarif unique de 4 euros pour les moins de 14 ans, depuis le 1er janvier 2013.
Qui sont les spectateurs français? Plutôt des femmes (52,7% en 2012), plutôt urbains, plutôt CSP + (3) ….et souvent en couple (40%). Les 6 – 25 ans, souvent accusés de déserter les salles obscures, constituent il est vrai un bataillon de spectateurs moins massif qu'il y a 20 ans. Malgré cela, il sont encore aujourd'hui la tranche d’âge la plus consommatrice de cinéma. De fortes disparités s'observent: à Paris, on voit en moyenne un film par mois, alors que dans les zones urbaines de moins de 20.000 habitants, la moyenne tombe à moins d'un film par an (0,9)! Autre contraste: près de 80% des chefs d'entreprises et cadres sont allés au moins une fois au cinéma, contre 52% des ouvriers. (Source: CNC)
Turquie (4€50): un entracte de 10 minutes!
Le cinéma, arrivé dans les années 1950 en Turquie, y a connu des hauts et des bas. Tantôt divertissement très populaire, tantôt élitiste avec l’arrivée d’une nouvelle génération de réalisateurs dans les années 1980.
Aujourd’hui, ce sont surtout les jeunes et parfois des familles qui fréquentent les salles obscures, plutôt remplies les week-ends. Pour autant, aller au ciné n’est pas un hobby hebdomadaire. Et pour cause, le prix des places est relativement cher compte tenu du salaire moyen: entre 3,50 et 5,50€ par personne. Seuls les étudiants bénéficient d’une légère réduction. A noter toutefois que depuis quelques années, certains cinémas proposent des tarifs réduits en semaine afin de contrebalancer l’afflux du week-end.
En 2009, on comptait environ 500 complexes et près de 2.000 salles de cinéma en Turquie. Ce sont pour la plupart des multiplexes situés dans les centres commerciaux. Pas question de faire la fine bouche, seuls les blockbusters américains (toutefois en VO et sous-titrés en turc) et les films nationaux sont à l’affiche. Les Turcs en sont friands. A Istanbul par exemple, les cinémas indépendants sont en voie de disparition. Aussi, pour les amoureux des films d’art et essai et autres documentaires faut-il attendre les festivals de cinéma, notamment organisés par IKSV, la Fondation Istanbul pour la culture et l'art.
Bon à savoir: comme un écho aux salles françaises d’autrefois, on ne choisit pas sa place, les séances de cinéma sont placées, et tous les films en Turquie ont un entracte. Une pause obligatoire de 10 minutes au cours de laquelle il n’est pas rare qu’un marchand de friandises passe dans les rangs, avant que la sonnerie ne rappelle les spectateurs pour la reprise du film.
(1) 908 millions d'entrées.
(2) Bilan 2012 / les dossiers du CNC / nº 326 – mai 2013
(3) Catégories socioprofessionnelles supérieures. Voir définition de l'Insee.
Photo 2: Le cinéma Louxor, à Paris, a ouvert ses portes en 2013. Crédits Rafael Yaghobzadeh/SIPA.