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En 2014, rien ne changera vraiment pour les Roms

jeudi, 2 janvier, 2014 - 17:44

Le "péril rom" n'aura pas lieu. S'ils sont Bulgares ou Roumains, ils peuvent depuis le 1er janvier travailler librement en France, sans restrictions. Mais l'invasion annoncée par certain n'aura pas lieu, car cela ne changera pas grand chose pour eux. Les préjugés restent trop tenaces. 

Depuis le 1er janvier, les Bulgares et les Roumains peuvent venir travailler dans n'importe quel pays de l'Union européenne, au nom du principe de la libre circulation des travailleurs. Sept ans après l'adhésion de leurs pays à l'Union européenne, ils bénéficient ainsi de ce droit fondamental pour tous les citoyens européens. Roumains, Bugares… Roms, la phobie d'une invasion a été instrumentalisée depuis des mois par des politiques et des humoristes qui font commerce des phobies xénophobes. 

Avant de passer en revue les préjugés les plus répandus, rappelons une évidence: les Roms qu'ils soient Roumains et Bulgares, peuvent donc venir en France comme dans les autres pays de l'UE et s'y installer pendant trois mois. Au delà de ces trois mois, ils doivent avoir des "ressources suffisantes", autrement dit avoir un travail régulier, pour pouvoir rester dans leur pays d'accueil.

Mais le sujet reste propice aux affirmations erronées et aux fantasmes. Vague massive de travailleurs venus de l'est, concurrence déloyale pour les artisans, espace Schengen… tous les arguments réels ou fallacieux sont avancés.

Voleurs de poules et de cuivre

Les Roms sont devenus la cible de l'extrême-droite, puis de la droite et enfin d'une gauche soucieuse avant tout de ne pas être accusée de laxisme face à un supposé "péril rom". Avant ce 1er janvier 2014, présenté comme fatidique, la surenchère dans la stigmatisation des 15 000 à 18 000 Roms vivant en France dans des camps de fortune est ainsi allée bon train.

Ils seraient une menace pour la France demain submergée par des hordes venues des bidonvilles de Bucarest et de Sofia s'engouffrant dans la porte ouverte depuis le 1er janvier. Après le plombier Polonais, voleur d'emplois au printemps 2005, le temps des Roms, voleurs de poules et de cuivre serait ainsi venu.

Et cela a commencé très fort dès septembre dernier. En réponse à Nathalie Kosciusko-Morizet –"J'ai l'impression que les Roms harcèlent beaucoup les Parisiens"-, la candidate socialiste, prise de court, répondait très maladroitement: "Paris ne peut pas être un campement géant".

Quant au ministre de l'Intérieur Manuel Valls, il voulait, une nouvelle fois, "dire la vérité aux Français":

C'est illusoire de penser qu'on réglera le problème des populations roms à travers uniquement l'insertion qui ne peut concerner que quelques familles (…) Ces populations ont des modes de vie extrêmement différents des nôtres et qui sont évidemment en confrontation".

Cette mauvaise polémique risquant fort de durer jusqu'aux élections municipales et européennes, Myeurop tente de distinguer le vrai du faux en cinq points.

"Le 1er janvier 2014, ils vont nous envahir"

En fait, la France n'est pas un pays de Cocagne pour les Roumains et les Bulgares. C'est certes dur à admettre, vu de son clocher, mais quand les journalistes correspondants interrogent les candidats à l'immigration en Roumains comme Bulgares, ils répondent invariablement qu'ils veulent s'installer au Royaume-Uni, en Suède ou en Norvège, "là ou il a de vraies opportunités pour avoir un vie meilleure" (reportage LCI). Ce n'est pas bon pour l'égo national, mais cela met la France à l'abri de la déferlante imaginaire venue de l'Est…

Pour la Suède et la Norvège, ils savent d'autant mieux comment ils seront accueillis qu'ils partent en connaissance de cause. Bon nombre de leurs compatriotes Roumains et Bulgares travaillent depuis des années dans ces pays, qui comme une majorité d'autres Etats de l'UE n'ont pas attendu 2014 pour leur permettre d'y gagner leur vie. Seuls neuf pays – Allemagne, Autriche, Belgique, Espagne, France, Luxembourg, Malte, Pays-Bas et Royaume-Uni – ont attendu sept ans pour leur accorder entièrement ce droit.

Les Roms quittent généralement leur pays pour fuir la pauvreté, et arrivent démunis en France ou ailleurs en Europe. Soumis jusqu'à présent à une autorisation pour travailler il leur était très difficile, pour rester plus de trois mois, de rester dans la légalité.

Certains, notamment Jean-François Copé avaient par ailleurs estimé que ce risque "d'invasion" était d'autant plus grand que la Roumanie et la Bulgarie pourraient également intégrer Schengen le 1er janvier.  Mais que ces deux pays fassent partie ou pas de cet "espace européen de libre déplacement et établissement" ne change pas grand chose sur le fond, et strictement rien pour le Royaume Uni et l'Irlande qui n'en font pas partie. La seule différence concerne le passage des frontières au sein de cet espace, les pays membres de Schengen n'appliquant pas, sauf cas exceptionnels, de contrôles automatiques.

"Tous les Roms viennent en France"

Qui sont-ils?

  • Le terme "rom" renvoie à plusieurs réalités:

Les Roms ("homme" en langue romani) font référence selon le Conseil de l'Europe à "divers groupes d'individus qui se décrivent eux-mêmes comme Roms, Gitans, Gens du voyage, Manouches, Ashkalis, Sintis, etc". Ils sont issus de la plus grande et plus pauvre minorité ethnique d'Europe. L'appellation de "rom" a été choisi par l’Union Romani Internationale en 1971, puis adoptée par le Conseil de l'Europe et l’Union européenne.

Pour les autorités françaises et les associations de défense des droits des Roms comme Romeurope, le terme fait référence aux personnes venant essentiellement des pays d’Europe centrale et orientale (Roumanie, Bulgarie, pays d’ex-Yougoslavie), vivant pour la plupart d’entre elles dans des campements illicites ou des squats, qu’elles se reconnaissent elles-mêmes en tant que Roms ou bien qu’elles soient assignées à cette origine par les autres (riverains, forces de police, associations, pouvoirs publics).

La polysémie du terme et l'approximation des définitions sont à elles seules un indice de la difficulté à traiter d' UNE thématique rom.

  • Les chiffres:

Difficile d'avoir des chiffres précis: les statistiques ethniques sont interdites en France. Une chose est sûre: la France n'abrite pas tous les Roms d'Europe.

Les Roms au sens premier (cf 1 ci-dessus) formeraient un groupe d'entre 10 et 12 millions de personnes en Europe et seraient présents dans la quasi-totalité des Etats membres du Conseil de l'Europe. En France, les Roms issus de l'Europe de l'Est (cf 2 ci-dessus) seraient environ 20.000, selon le ministère de l'Intérieur et plusieurs associations (notamment Romeurope). Ce sont ces 20.000 personnes là qui font aujourd'hui l'objet de polémique, et dons nous évoquons ici la situation.

La proportion d’émigrés parmi les Roms de Roumanie est tout à fait comparable au taux d’émigration nationale des roumains qui est de 10%",

affirme l'ethnologue Martin Olivera (Roms en (bidon) villes). Un argument de plus contre la supposée "déferlante" rom.

"Ils profitent des subventions"

Ce que dit le droit:

Egalité de droits en matière de prestations sociales entre les ressortissants communautaires, quelque soit leur nationalité.

Conditions à cette égalité: résider en France depuis plus de trois mois + être en situation régulière
Tout citoyen doit résider en France depuis plus de trois mois pour prétendre aux aides sociales.

Par ailleurs, depuis 2007 et l'entrée dans l'Union Européenne la France et la Bulgarie, de nombreuses prestations sociales (CAF, CMU) sont soumises à la condition de séjour régulier. Les critères, pour les Roumains et Bulgares: détenir un emploi, être étudiant ou encore de disposer d’une assurance maladie et de ressources suffisantes.

En pratique:

Les Roms aujourd'hui en France n'ont pas accès à la plupart des aides sociales.

La plupart d'entre eux sont sans emploi légal (ils n'ont accès qu'à une liste restrictive de métiers et doivent obtenir une autorisation de travail impliquant des démarches de la part des employeurs) et vivent dans des logements non légaux (bidonvilles et squats notamment).

Difficile de faire la preuve d'une présence de plus de trois mois en l’absence d’hébergement légal, d’emploi déclaré ou encore de recours à des services.

Comme tout citoyen européen, primo-arrivant en France, disposant de faibles ressources, ne travaillant pas et n’étant pas rattaché à un membre de famille ayant droit au séjour, ils n'ont "aucune chance de se voir accorder des prestations soumises à la condition de séjour régulier", conclut le collectif RomEurope.

Quant aux aides sociales non soumises à la condition d'un séjour régulier (notamment délivrées par les collectivités territoriales), elles ne sont pas toujours demandées, par méconnaissance ou difficultés administratives.

"Ils ne mettent pas leurs enfants à l'école"

  • Ce que dit le droit:

En France, la scolarisation des enfants est obligatoire, quelque soit la situation administrative des parents.
En septembre 2012, trois circulaires ministérielles tentent d'améliorer la scolarité des enfants roms
En pratique:

Malgré des progrès, la scolarisation des enfants roms reste défaillante. Les familles se heurtent à de nombreux obstacles pour l'inscription de leurs enfants.

Des obstacles de nature administrative sont constatés en pratique tels que le refus d'inscription scolaire de la part de certaines municipalités en raison d'une arrivée récente et mal établie sur la commune; la non fourniture de justificatifs qui retardent les démarches d'inscription scolaire",

observait la ministre déléguée chargée de la réussite éducative, George Pau-Langevin, le 10 juillet 2013.

Certaines municipalités exigent une domiciliation des familles sur la commune avant d'inscrire leurs enfants à l'école, même temporairement, ce qui est contraire aux circulaires, a relevé la Commission européenne contre le racisme et l'intolérance (ECRI).

Les évacuations répétées des lieux de vie entraînent un décrochage des enfants enfin inscrits.
La pauvreté que subissent beaucoup de roms complique l'accès aux transports scolaires, cantine, habillement, souvent nécessaires à une scolarisation.

"Ce sont des nomades"

Les Roms ne sont pas des "gens du voyage". Si certains n'ont pas de domicile fixe, ce n'est pas le résultat d'un choix de vie mais d'un manque de moyens. Les Roms sont sédentaires dans leurs principaux pays d'origine, en Roumanie et Bulgarie. Ils vivent dans des villages ou quartiers à la périphérie des grandes villes.

En France, c'est la misère et l'absence de revenus fixes qui les contraignent à s'installer dans des bidonvilles ou des campements illégaux. Ils se regroupent afin de permettre une solidarité entre les familles souvent venues du même quartier ou village dans leur pays.

Comme l'explique au quotidien L'Opinion l'anthropologue Marc Bordigoni, à l’Institut d'Ethnologie méditerranéenne:

Nombre de Roms roumains ou bulgares occupent des emplois, légalement ou au noir, et dans ces cas deviennent 'invisibles', pouvant échapper aux bidonvilles. Les 20.000 dont on parle beaucoup sont donc ceux qui sont particulièrement visibles car dans la précarité la plus forte".
 




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