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Modes de vie: ces (gros) mots dont les Européens s’entichent

lundi, 6 janvier, 2014 - 13:09

"C'est clair, putain!": les Français ne sont pas les seuls à s'enticher de mots familiers et passe-partout. Ils ponctuent nos phrases sans qu'on sache vraiment pourquoi. Du portugais au malakas grec, tour d'Europe des tics de langages -pas toujours polis.

 

Chronique sur RFI - Le parler "djeuns" des Européens

 

Les sociétés évoluent, les langues aussi. De nouvelles expressions issues de l'étranger, du monde professionnel, de l'argot ou d'abréviations épicent chaque année les échanges quotidiens. Les Européens sont presque aussi prompts à les adopter qu'à les dénigrer. Que vous les trouviez agaçants ou pas, que vous soyez à Budapest ou à Madrid, il vous sera difficile d'y échapper. kiraly!

Au Portugal, un petit dans l’histoire

Il y a des phrases qui entrent dans l’histoire par la petite porte, mais n’en sortent plus jamais. C’est le cas d’un célèbre et étonnant "porreiro, pá!" (génial, mec!), lancé par le Premier Ministre José Socrates à José Manuel Barroso, le président de la commission européenne, en octobre 2007.

Le chef du gouvernement se réjouissait de la signature du traité européen de Lisbonne. Les micros encore ouverts avaient alors saisi cette expression très populaire et familière. Le est en effet très utilisé, parfois jusqu’à l’obsession, après chaque mot, servant d’irritante béquille aux timides ou aux nerveux. La plupart des Portugais ignorent que c’est un diminutif de rapaz, "garçon", donc "mec", qui s’emploie quelque soit le sexe du locuteur.

A l’inverse des Français, les Portugais ne sont pas particulièrement friands de mots inventés à partir de sigles –l’usage en est beaucoup moins répandu qu’en France- mais ils empruntent beaucoup. Par exemple le mot d’origine angolaise fixe (prononcez "fiche"). Certains affirment qu’il indique un vieux terme de marine, et qu’il aurait pu voyager du Portugal en Angola, pour finalement y revenir. On le retrouve souvent dans des expressions comme bué da fixe (super chouette).

Mais savez-vous quel est le mot que les Portugais ont choisi comme symbole de l’année 2013? C’est le mot irrevogável (irrévocable), une allusion à la démission du Ministre des Affaires étrangères qu’il avait annoncée comme immuable et définitive. Quelques jours plus tard, pourtant, le même Paulo Portas revenait aux affaires, comme vice-premier ministre cette fois, rendant bizarrement obsolète un mot qui avait pourtant un caractère définitif. "Porreiro, pá!"

En Grèce, le malakas, ce branleur 

Le premier mot que les étrangers retiennent quand ils visitent la Grèce (ou fréquentent la diaspora grecque en Amérique ou en Australie) est le mot malakas (μαλάκας). On ne cesse de l’entendre à tous les coins de rue, surtout dans la bouche des jeunes (maintenant les filles s’y mettent aussi). Une anecdote: assise dans un bus reliant le centre-ville d’Athènes à une lointaine banlieue, je me suis amusée à compter le nombre de fois qu’il était prononcé par un jeune homme au téléphone, sur le siège devant moi. Au terminus, je lui ai dit d’un air amusé: "Tu as prononcé le mot 97 fois". Il m’a regardée: "Dommage, j’ai pas atteint mon score de 100!!!"

Etymologiquement (c’est un mot qui vient de la langue antique, voulant dire mou), l’adjectif se traduit par branleur et le substantif malakia par masturbation. Mais il est détourné métaphoriquement de son sens originel quotidiennement. Cela dépend où, comment et entre qui il est utilisé. Entre amis, c’est simplement un salut anodin, parfois taquin, rarement provocant. Un peu l’équivalent de hombre en Espagne ou de nigga pour les Afro-Américains, en signe d’amitié ou de fraternité. Adressé à un inconnu, cela devient une injure. Il prend alors la connotation d’idiot, de connard. Dans la langue ecclésiastique, il a gardé son sens antique de maladie mentale.

-Alors, malaka… Tu sais qui j’ai vu au parc ?
-Qui, malaka ?
-Une telle !
-Non, ce n’est pas vrai, malaka !
-Mais oui, malaka !
-Tu parles pas sérieusement, malaka ?
-Et tu sais avec qui elle était ?
-Avec qui ?
-Avec le malaka !
-Non, ce n’est pas vrai, malaka !

En Hongrie, fasz = pénis et fasza = génial

Les Hongrois aiment utiliser un argot qui leur est propre. Surtout les générations x-y, qui emploie des raccourcis, y compris sur les prénoms (Zsuzsanna = Zsuzsi…). Résultat, dans une conversation, il n’est pas rare d'être à côté de la plaque, même si vous parlez bien la langue. S’il est une expression qu’on ressort à toutes les sauces, c’est le fameux kiraly (signifiant littéralement royal), équivalent de notre "ça le fait". Par exemple : "ce soir, on se prend un verre?". La réponse sera "kiraly!"

Le mot kurva (pute) est également utilisé pour renforcer un adjectif et revêt un sens positif, kurva jó signifie par exemple vachement bien: "Kurva jó buli volt" (c’était une soirée d’enfer). Encore plus vulgaire mais au moins aussi répandu, le mot fasz (pénis) et ses batteries de dérivés, qui se rapprochent de notre "bordel". Comme dans "Mi a faszt csinálsz" (mais bordel, tu fais quoi?). Fasz peut également prendre une tournure positive fasza signifiant alors "génial".

En France: Nabilla, ASAP, et les cours de récré

Au côté des habituels et élégants "merde" ou "putain" (très prisé dans le sud), chaque année apporte son lot de mots passe-partout. Les collèges et lycées sont souvent le laboratoire inventif de ces nouvelles tendances, qui ne tardent pas à taper l'incruste chez les générations au-dessus. "Juste…", "c'est clair", "ça le fait!" "tu vois" ou encore "en mode…" sont désormais bien installés. "Il était en mode pas sympa, tu vois? Ouais, carrément, ça le fait pas". "Non mais c'est juste pas possible"…Des expressions qui suscitent souvent l'exaspération, du moins l'amusement: en témoignent les nombreux top (10, 20, 50) des mots "à bannir", qui se multiplient sur la toile

Autre mine de trésors linguistiques: la téléréalité, ou plus largement les "people". En 2013, Nabilla a réussi un tour de force: faire passer son "Non mais allô, quoi!" dans le langage (quasi) courant. La plus célèbre participante de l'émission des Anges de la télé-réalité a d'ailleurs fait breveter sa trouvaille…

Last, but not least: l'anglais bien sûr. Difficile, dans la rue, au bureau (surtout dans certains jargons professionnels) sur Twitter ou Facebook, d'échapper aux anglicismes. So hype. "J'ai pas encore checké mes mails""je vais faire une check-list (ou une to do list). Le plus emblématique du milieu d'entreprise étant "ASAP" (as soon as possible). 

Espagne, en 2014, soyez friki!

Chaque région a ses particularismes, mais certaines expressions s'emploient abondamment dans toute l'Espagne. A commencer par hombre, qui signifie littéralement homme. Mais pas seulement. Il suffit de passer quelques minutes avec un ami espagnol, ou de se promener dans la rue, pour s'apercevoir que le mot fleurit dans de nombreuses conversations. Sorte d'interjection, hombre sert généralement à appuyer ce que l'on est en train de dire. Car l'espagnol est rarement concis, comme le dit Mario Vargas Llosa:

L'Espagnol a une vocation d'abondance. C'est très difficile d'être laconique en espagnol. Nous sommes une langue de sensations, passions, instincts, idéale pour exprimer la condition humaine.

D'où l'importance, peut-être, du hombre mis à toutes les sauces.

Pour la fourchette des 20-40 ans, lorsqu'on veut dire que quelque chose est cool ou bon esprit, on peut tenter le très fédérateur guay. Et remplacer le classique me gusta par le plus récent mola. (ou me mola)

Les familiers joder ou coño ponctuent la plupart des discussions entre amis. On pourrait les comparer aux "putain" ou "merde" des Français. Depuis quelques années, le verbe flipar sert lui aussi de fourre-tout, souvent utilisé dans le sens du "j'hallucine" français. 

Les anglicismes sont également présents. Ainsi, le terme friki, de l'anglais freaky, a fait une belle percée, pour évoquer un geek ou quelqu'un de bizarre. Le mot a d'ailleurs été adoubé en 2012 par le très sérieux dictionnaire de l'Académie royale espagnole. Quant au hipster, il connaît le même succès qu'en France, désignant l'archétype d'un jeune urbain ultrabranché. Oubliez les poussiéreux caramba ou olé : en 2014, soyez friki.

Les Turcs ne protestent plus, ils "chapullent"

Çapulcu (à prononcer tchapouldjou): à l’origine ce mot signifie "vandale", "racaille".  Mais au cours d’une allocution en juin dernier, le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdğan en a fait usage pour qualifier les manifestants. Depuis, les turcs, et plus précisément ceux opposés au gouvernement, se sont réappropriés le terme. Il lui ont donné une résonance plus comique voire ironique. Etre un çapulcu signifie donc désormais "être un manifestant". Certains en ont même fait du Turglish: Chappuling.  Conjugué à toutes les formes, les Turcs ne protestent plus, ils "chapullent".

Abi: désigne le "grand frère". C’est la marque de respect envers celui qui est plus grand que nous. Il est surtout utilisé par les jeunes. Toutefois, au fur et à mesure du temps, le qualificatif "abi" a quitté le cocon familial pour s’immiscer dans la rue. Souvent utilisé pour interpeller ou remercier les marchands de kiosque ou encore les épiciers (Sağol abi = Merci abi), il marque une forme de respect. Attention toutefois, pas question de dire abi a un homme âgé, cela aurait l’effet contraire : l’irrespect! Pour être un abi il faut donc être un homme et ne pas dépasser la quarantaine. La nouveauté? Les filles, notamment les garçons manqués, commencent à l’utiliser aussi entre elles et parfois même en parlant à leurs parents qui, pour certains, ne tardent pas à les remettre en place!

Şey (à prononcer chey): littéralement "une chose". Bana bir şeyi dedi = il m’a dit quelque chose. Mais voilà que ce petit mot a pris place dans quasi toutes les phrases. Surtout lors de conversations au moment où l’on cherche ses mots. Le Şey vient alors remplacer les points de suspension, le "hmm…" Il peut aussi être utilisé lorsque l’on ne se souvient plus du nom d’une personne, en guise de notre peu sympathique "machin".




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