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IVG: l’Espagne, un contre-exemple européen

lundi, 20 janvier, 2014 - 09:28

Alors qu'en Espagne l'offensive contre le droit à l'IVG se poursuit, les députés français ont supprimé la notion de "situation de détresse" pour recourir à l'avortement. Le point sur une Europe divisée. 

 

Chronique sur RFI - L'IVG 

 

Les députés ont voté, mardi 21 janvier un article confortant le droit à l'interruption volontaire de grossesse. Il supprime la notion de "situation de détresse" présente dans la loi Veil de 1975. Cette évolution terminologique fait l'objet d'un amendement au projet de loi pour l'égalité entre les femmes et les hommesvoté par les parlementaires en décembre 2013 après de vifs débats. 

A l'heure où le droit à l'IVG est remis en question de l'autre côté des Pyrénées, ce changement de la législation française est une réaffirmation symbolique du droit des femmes à disposer librement de leur corps. Désormais, toute femme enceinte qui "ne veut pas poursuivre une grossesse", et non, comme c'était le cas précédemment, toute femme "que son état place dans une situation de détresse", pourra avorter.

En pratique, son impact devrait être mineur, mais il a provoqué la colère des anti-IVG et une partie des députés UMP ont voté contre cet amendement.

En Europe, si la plupart des pays autorisent l'avortement, des interdictions strictes existent, y compris lorsque la vie de la mère est en danger. C'est le cas en Andorre, mais aussi à Malte, pays de culture catholique, où le divorce n'a été légalisé qu'en 2011. Au-delà de ces positions extrêmes, plusieurs situations inquiètent les défenseurs des droits des femmes.

Le volte-face réactionnaire espagnol

L'actualité nous fait bien sûr regarder vers le sud. Le 20 décembre, le Conseil des ministres espagnol a approuvé un projet de loi. S'il est adopté définitivement (ce qui est à craindre, le Partido popular, au gouvernement, détenant la majorité des sièges au parlement), les femmes ne pourront plus avorter légalement qu'en cas de viol ou de grave danger pour leur vie ou leur santé physique ou psychologique. Une malformation du fœtus ne sera pas considéré comme une raison valable.

Rappelons que la limitation du droit à l'avortement figurait dans le programme électoral du Parti populaire de l'actuel Premier ministre, sous une forme moins restrictive cependant. C'est une remise en question totale de la précédente législation. Depuis le 5 juillet 2010, les Espagnoles peuvent (même si dans les faits, c'est parfois difficile) avorter librement pendant les quatorze premières semaines de la grossesse, et jusqu’à vingt-deux en cas de danger pour la mère. Avec le mariage homosexuel, cette loi était l’une des réformes phares de l’ex-gouvernement socialiste.

Nous n’allons pas revenir en arrière de 30 ans!",

s'est insurgée Elena Valenciano, numéro deux du parti socialiste espagnol. De fait, la législation projetée est encore plus restrictive que celle en vigueur de 1985 à 2010 qui prévoyait plus de cas où l'interruption de grossesse était possible. Du coup, la mobilisation dépasse les frontières du pays: plusieurs manifestations de soutien ont eu lieu dans la rue et sur la toile (pétitions, tribunes, mobilisation…). En France, le PS (mais pas l'UMP) et de nombreux mouvements féministes ont fait part de leur indignation.

Charlotte Soulary, porte-parole de l'association Osez le féminisme, a dénoncé "une montée des conservatismes et des extrémismes religieux en Europe".

Ces reculs sont alimentés par un climat réactionnaire généralisé en Europe (…) Jusqu'à présent, en Europe, seuls Malte, la Pologne et l'Irlande étaient farouchement contre l'avortement,"

affirme-t-elle, inquiète de voir cette loi espagnole inspirer d'autres pays. Confirmant ces craintes, Alberto Ruiz-Gallardon, le ministre de la Justice, a d'ailleurs affirmé qu'il était "convaincu que cette initiative aura des prolongements dans les Parlements d'autres pays européens" et "qu'il se rendrait à Bruxelles en février pour expliquer le texte".

L'opposition espagnole, le PSOE (Le Parti socialiste ouvrier espagnol) en tête, ne compte pas en rester là. Elle attend une réaction forte de l'Europe. Pour l'heure, près de la moitié des membres du Parlement européen (des représentants de la gauche, des Verts, des libéraux) ont récemment exprimé publiquement leur opposition au projet de loi espagnol

 

Ailleurs en Europe, le droit à l'IVG menacé

  • EN POLOGNE, il s'en est fallu de peu: dans cet Etat très catholique, le 27 septembre 2013, une initiative populaire a été rejetée au Parlement, par 233 voix contre 182. Elle voulait interdire l'interruption de grossesse en cas de malformation fœtale. L'initiative avait recueilli 400.000 signatures. Une loi plus limitative a donc été évitée, mais le régime en vigueur est déjà l'un des plus stricts en Europe. L'avortement n'est aujourd'hui permis qu'en cas de viol ou, justement, de malformation du fœtus.

Même lorsqu'une de ces conditions est présente, le droit à l'IVG est parfois bafoué. L'an dernier, La Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) a condamné la Pologne à indemniser une mère et sa fille de 14 ans, en raison des difficultés rencontrées par cette dernière pour avorter légalement, suite à un viol. 

  • EN SUISSE, c'est une initiative populaire, également, qui entend limiter l'accès à l'avortement, via un projet de loi. L'avortement est pleinement autorisé depuis de nombreuses années. Mais ici, ce n'est pas sa légalité qui est remise en cause, mais son financement! Le pays doit se prononcer en février 2014 sur l'arrêt du remboursement des IVG. Pourtant, avec 6,7 pour 1000 femmes de 15 à 44 ans, le taux d'avortement est le plus bas en Europe. En 2012, le nombre d'IVG a même diminué de 2%, malgré la croissance démographique.

Si ce projet de loi passait, la situation de la Suisse se rapprocherait de celle de l'Autriche. L'interruption volontaire de grossesse y est légale, sur demande de la femme. Mais, dans ce pays très catholique, le sujet divise encore. L’avortement n’est pas couvert par la Sécurité Sociale (sauf en cas de raisons médicales).

  • D'autres reculs sont notables en Europe: en BIÉLORUSSIE, depuis 2013, les médecins ont désormais le droit de refuser de pratiquer un avortement. La Macédoine a également restreint en juin l’accès à l’IVG.
  • Quant au PARLEMENT EUROPÉEN, il a rejeté, mardi 10 décembre, un texte qui réclamait un accès généralisé à la contraception et à des services d'avortement sûrs.

Des avancées timides et tardives

  • EN IRLANDE, il aura fallu le décès d'une jeune femme, victime d'une scepticemie lors d'une fausse couche, en 2012, pour que le débat sur la légalisation de l'avortement soit relancé. Avec un succès réel mais modeste: en juillet 2013, une loi est votée. Elle autorise l'avortement si la poursuite de la grossesse fait courir à la mère un "risque réel et substantiel" pour sa vie. Ce risque doit être certifié par les médecins.

Une avancée a minima, qui apporte une transposition législative très tardive à une décision de la Cour suprême irlandaise de…1992!! Celle-ci donnait en effet aux femmes le droit d'avorter si leur vie était en danger. Mais la loi 2013 ne va pas plus loin. Un risque pour la santé (et pas pour la vie), un viol ou une malformation du foetus ne sont toujours pas reconnus comme une raison valable. L'avortement illégal est menacé de lourdes peines de prison.

  • Autre avancée récente: le LUXEMBOURG. Ce pays qui a dépénalisé l'euthanasie en 2009 a attendu décembre 2012 pour réformer sa rétrograde loi sur l'avortement! Jusqu'alors, l'IVG n'était légale qu'en cas de viol ou de danger pour la vie de la mère ou de l'enfant. Poussé par le Conseil de l'Europe, qui a émis une résolution pour l'amélioration de ce droit, le Luxembourg en a étendu l'accès. Désormais, les femmes ont le droit d'avorter pour des raisons personnelles, avant 12 semaines. Mais en pratique, encore aujourd'hui, les mentalités n'ont guère évolué et l'IVG reste un parcours du combattant.

Si le droit est nécessaire, il ne fait pas tout. Les associations de défense du droit des femmes à disposer de leurs corps tirent régulièrement la sonnette d'alarme. Ainsi, en Belgique, la législation défend l'IVG: les femmes peuvent avorter si elles se déclarent en situation de détresse, jusqu'à 14 semaines. Mais une pénurie de médecins pratiquant l'avortement (la majorité a 50 ans et plus) menace dans les faits l'exercice de ce droit. En Italie, un autre problème se pose: la part des médecins refusant aux femmes une IVG parce qu’ils usent de "l’objection de conscience" se situerait entre 70% et 80%


Article publié le 3 janvier 2014 mis à jour le 21 janvier 2014.




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