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Maman vend son lait sur internet

jeudi, 6 février, 2014 - 17:06

Tanja Müller a lancé la première "bourse au lait maternel" d'Allemagne: sur internet, les mamans qui en ont trop vendent leur lait à celles qui en manquent. La démarche soulève de nombreuses questions, notamment sanitaires, dans un pays où l'allaitement est très pratiqué.

Tanja Müller, 37 ans, crée la polémique en Allemagne. Le 29 janvier dernier, cette experte en marketing et maman de deux enfants, a lancé la première "bourse au lait maternel" du pays. Sur son site internet, elle met en relation des mamans proposant leur lait et des mamans en demande.

De 1 à 6,50€ les 100 ml de lait

Ainsi, Christina, habitant le quartier d’Ependorf à Hambourg, offre du lait pour un enfant de 12 semaines, à raison d’1€ les 100 ml. Elle assure ne pas fumer, ne pas se droguer, boire au maximum un verre de vin ou de bière par jour et ne pas être porteuse de maladies telles que le HIV, l'Hépatite B et C ou encore la syphilis. Une autre maman, berlinoise cette fois, propose du lait pour un enfant de 51 semaines à 6,5€ les 100 ml.

En créant ce site internet, Tanja Müller cherche à combler un vide sur le marché de l’alimentation pour bébés, en proposant une autre option aux laits en poudre industriels. D'autant que les lactariums ne s'adressent pas à toutes les mamans:

Il existe trop peu de lactariums agréés en Allemagne et leur lait est réservé aux prématurés",

constate la jeune femme qui, via son site, offre du lait maternel aux mamans de bébés nés à terme et en bonne santé.

Cette idée est née de sa propre expérience. Lors de la naissance de son ainé, en 2011, la jeune hambourgeoise n’a pas réussi à allaiter. Lors de la naissance de son deuxième enfant, il y a un an, elle a, selon ses mots, "produit trop de lait".

Dans les deux cas, j’ai évidemment essayé de prendre contact avec des mamans afin d’échanger du lait, en vain",

explique-t-elle. A la maternité, elle rencontre une jeune mère en besoin, mais se voit interdire, par l’infirmière, de lui donner son lait. Tanja Müller est alors contrainte, "les larmes aux yeux", de jeter près de 100 bouteilles de son propre breuvage: "C’est à ce moment que j’ai décidé de trouver un moyen d’assurer l’échange de lait entre mères".


Capture d'écran du site allemand "Bourse au lait maternel"

L'allaitement très populaire en Allemagne

Pour Tanja Müller, échanger du lait est un acte "naturel":

Allaiter un enfant qui n’est pas le sien est une pratique répandue dans de nombreuses sociétés. Et cela l’était encore en Europe jusqu'à la fin du XIXème siècle".

Tanja Müller regrette que les lactariums agréés "limitent l'offre au niveau régional et imposent des conditions rigides". Elle regrette aussi ce qu’elle nomme les "peurs hygiénistes" et la "tabou-isation" d’une pratique pourtant ancestrale:

J’espère que cette tradition solidaire reprendra vie grâce à notre bourse au lait maternel".

Cette pratique pourrait trouver des adeptes dans un pays où l’allaitement naturel est un quasi dogme. Si les Allemandes font peu d’enfants, elles les allaitent de plus en plus longtemps (en moyenne 26 semaines). Selon deux études réalisées dans les années 2000, à Berlin et en Bavière, 73% des Allemandes continuaient d'allaiter leur nourrisson une fois quittée la maternité ; tandis que la part des mamans allaitant entièrement leur bébé de 6 mois doublait en 7 ans, pour atteindre les 25%.

Nombreuses critiques

A peine lancée, cette bourse au lait maternel suscite toutefois de véhémentes critiques de la part de professionnels de la santé. Jana Friedrich, sage femme, relaie sur son blog Hebammonblog.de la principale crainte:

Commander du lait maternel sur internet ouvre la porte à de nombreuses formes de mauvaises utilisations. Le lait maternel est sain mais il n’est pas stérile. Il peut donc contenir à la fois des bactéries et des virus".

Les mêmes critiques se sont faites entendre un peu partout en Europe, aux États-Unis et au Canada lorsque des mères américaines ont créé en 2011 un groupe Facebook nommé "Human milk 4 human babies" afin d’échanger du lait. À l’époque, le sujet a été pris suffisamment au sérieux pour que la Commission allemande du lait maternel et l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM, ex-Afssaps) mettent en garde les personnes tentées par ce genre d’achat, du fait du risque de transmission d’agents infectieux. Ces organismes étatiques recommandent de se procurer du lait uniquement dans les lactariums agréés où il est contrôlé et stérilisé.

Jana Friedrich met aussi en doute une transaction basée sur la confiance:

Peut-on faire confiance à quelqu'un que l’on ne connait pas et qui dit ne pas boire et ne pas fumer ? Sans parler des maladies que cette personne peut avoir sans le savoir".

Quid enfin de la quête du profit liée à ce nouveau business? Si dans les lactariums, le lait est un don, sur le site de Tanja Müller, les 100 ml de lait peuvent coûter jusqu'à 6,5€. Corinna Gebauer, directrice du plus grand lactarium allemand, à Leipzig, craint de son côté la naissance d’un vrai marché noir, avec des pratiques frauduleuses comme par exemple couper le lait avec de l’eau pour augmenter les quantités. Quant au transport, il est aussi pointé du doigt. Vendu congelé, le lait pourrait se périmer en cas de rupture de la chaine du froid.


Tanja Müller et sa "bourse au lait" ont attiré l'attention de nombreux médias (©muttermilch-boerse.de)

Confiance mais vigilance

A toutes ces critiques, Tanja Müller apporte des réponses claires: "J’indique tous ces risques sur le site et la manière de les minimiser". Ainsi, les mamans proposant du lait doivent joindre les résultats d’analyses médicales réalisées dans le cadre de leur grossesse. Des analyses supplémentaires peuvent être exigées par les clientes. Quant au transport, Tanja recommande aux mères de favoriser l’achat de proximité et de venir chercher son lait en personne tout en détaillant la manière d’envoyer du lait congelé en toute sécurité. Face au risque de lait coupé à l’eau ou contenant des bactéries, elle recommande de faire analyser le produit en cas de doute.

Il est important que les mères aient en main des informations et des données objectives afin d’assurer un échange sûr sans tomber dans la panique. Mais une partie de cet échange est aussi basé sur la confiance. C’est pour cela que je donne beaucoup d’importance à ce que les mamans fassent connaissance",

explique-t-elle. L’objectif de la jeune femme est que tous les enfants dont les mères ne peuvent allaiter puissent avoir accès à du lait maternel:

Le mieux serait évidemment que cela se fasse sur des bases médicales mais cela n’existe tout simplement pas. J'espère qu’à travers ces débats, médecins, sages-femmes et mamans s’assoient autour d’une table et trouvent une solution, comme par exemple la création de mini lactariums dans toutes les maternités. À ce moment là, je serais heureuse de fermer ma bourse au lait!"




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