Les "actions de groupe" débarquent en France. L'Assemblée nationale vient d'adopter le projet de loi qui permet aux consommateurs de se pourvoir collectivement en justice. Une pratique déjà répandue en Europe. Illustration aux Pays-Bas, en Italie, en Espagne et en Allemagne. Plaignants de tous les pays, unissez-vous!
Chronique sur RFI : Les class actions
La France se dote enfin de "class actions". La mesure phare du projet de loi déposé par Benoît Hamon, le ministre délégué à la Consommation, vient d'être définitivement adopté au parlement. Députés et sénateurs socialistes et écologistes l'ont approuvé, tandis que ceux de l'UMP ont voté contre.
Les consommateurs français pourront désormais intenter des actions de groupe afin de demander collectivement réparation en cas de préjudice. Ces actions devront cependant être menées par l'une des 16 associations agréées de défense des consommateurs, afin d'éviter d'éventuelles dérives.
Bémol: le texte concerne uniquement le secteur de la consommation. Ni l'environnement ni la santé n'en font partie. Cela pourraît bientôt changer. En effet, les députés Europe Ecologie-Les Verts ont déposé en janvier une proposition de loi qui ouvre les actions de groupe aux questions environnementales et de santé. De son côté, le groupe socialiste a présenté un autre texte élargissant le dispositif en matière de discrimination et de lutte contre les inégalités.
Cette loi représente donc un premier pas français significatif, bien que frileux, dans la mise en pratique d'un droit inégalement reconnu en Europe.
Espagne: des 'class actions' difficiles à mettre en oeuvre
"Nous sommes dans cette procédure judiciaire pour réclamer notre argent, mais aussi dénoncer, sur le plan pénal, la gestion du conseil d'administration de la banque." Ce matin-là, Emilio León, 35 ans, est venu des Asturies jusqu'à Madrid pour protester face au siège de Liberbank. Comme d'autres caisses espagnoles, cette banque est accusée d'avoir vendu massivement des titres préférentiels à ses clients, à l'éclatement de la crise, pour faire face à ses besoins de liquidités. "Mes parents retraités ont perdu 50.000 euros, soit l'économie de toute leur vie. La banque nous a vendu ces produits toxiques comme si c'était un dépôt à taux fixe." Pour lui, l'action collective en justice est une évidence:
On est là aujourd'hui car on veut se regrouper, et dénoncer ensemble."
En théorie, ce type d'action est possible dans les tribunaux espagnols. Mais le processus est loin d'être aussi simple que le modèle des "class actions" à l'anglo-saxonne. Un écueil important complique la tâche des cabinets d'avocats qui gèrent ces dossiers. Selon les textes de procédure civile, "la majorité des personnes affectées" doivent en effet se joindre à la plainte.
En principe, nous avons un équivalent de l'action class, mais notre loi n'est pas adaptée. Dans le cas de Bankia par exemple, on parle de 300.000 personnes touchées. Il est quasi impossible d'en réunir la majorité. Ce type d'actions collectives est donc très dur à mener",
explique José Luis González-Montes, avocat au cabinet Cremades & Calvo-Sotelo, connu pour avoir porté en justice le cas de 15.000 personnes affectées par une grève des contrôleurs aériens, en 2010.
Plusieurs cabinets se sont d'ailleurs réunis pour réclamer l'introduction de la class action en bonne et due forme dans la législation espagnole. Joaquin Yvancos, avocat qui représente entre autres des centaines de petits actionnaires de Bankia, y croit:
Je pense que ça viendra. Dans le cas contraire, la seule chose qu'on obtient, c'est l'engorgement des tribunaux. Il faut que n'importe qui puisse se joindre à une procédure unique".
En Allemagne, les 'class action' étouffées par un cadre très restrictif
En Allemagne, les recours collectifs sont permis mais les conditions qui encadrent une telle procédure sont extrêmement restrictives. Depuis 2005, des class action sont possibles si elles regroupent des plaintes similaires qui ont été déposées séparément par les plaignants. A la différence des Etats-Unis, une requête ne peut ainsi pas être lancée par des personnes au nom d’un groupe défini de façon abstraite. Cette limitation réduit énormément le champ de cette procédure.
Outre-Rhin, la principale action en justice a regroupé 34.000 plaignants. Ils ont attaqué les principales compagnies de télécommunications pour une atteinte contre leurs libertés. Une loi datant de 2008 oblige en effet les opérateurs à garder tous les courriels envoyés et les communications téléphoniques passées par leurs clients afin de lutter contre le terrorisme. En 2012, la Cour régionale de Francfort a rejeté le recours collectif déposé par 17.000 actionnaires minoritaires de Deutsche Telekom qui jugeaient que la compagnie avait diffusé de mauvaises informations au moment de son entrée en bourse en 2000.
Pays-Bas: une 'class action' américaine ouvre grand la porte
Les Pays-Bas sont l’un des pionniers des actions collectives en Europe. Dès 1993, la loi permet à des fondations ou des associations d’engager une action en justice pour obtenir collectivement réparation. Mais ces actions ne pouvaient pas déboucher sur des compensations financières des dommages subis.
Depuis la promulgation de l’Acte des Actions Collectives (WCAM) du 27 juillet 2005, les citoyens peuvent se grouper pour demander une indemnisation commune. Cette loi est alors prévue uniquement dans le cadre national néerlandais. A l’image de la première action collective de citoyens néerlandais, menée contre des entreprises nationales responsables de la commercialisation du DES, un médicament défectueux.
Reste que, très vite, le mécanisme s’emballe: en 2007, la banque Dexia fait l’objet d’une class action alors que seule une partie des plaignants sont citoyens néerlandais. En 2010, un autre pas est franchi. Converium, compagnie suisse de réassurance, est attaquée par une class action de droit américain. Le juge exclut tous les investisseurs non-américains de cette action collective. Mais bien que les investisseurs néerlandais n’aient constitué qu’une infime partie de l’ensemble, ils ont pu se présenter à la Cour d’Appel de La Haye et ont obtenu gain de cause. Les investisseurs suisses, norvégiens, islandais et autres citoyens européens sont tous couverts par cette décision: en fait, il suffit qu’un seul plaignant soit domicilié aux Pays-Bas pour que le dispositif joue.
Cet "arrêt Converium" a suscité des remous pour deux raisons:
- Il permet à des citoyens non-américains d’intenter une action collective au niveau européen,
- Et parce que la possibilité pour des citoyens européens de se regrouper dans une telle action pourrait inciter les juges américains à exclure systématiquement les résidents d’autres pays de leur jugement.
Comme l'expliquent les juristes Jeroen Kortman et Marieke Bredenoord-Spoek, le fait d’avoir une législation spécifique et si facile à mettre en œuvre n’explique pas entièrement le nombre croissant de ce type d’actions aux Pays-Bas. Plus globalement, le recours des citoyens à aux class actions "pourrait au contraire refléter une tendance croissante en Europe".
Italie: action collective contre l'eau polluée
En Italie, les actions collectives ont été introduites dans le code civil en juillet 2009. Depuis, plusieurs class actions ont été présentées. L'année dernière un groupe de touristes napolitains, qui avait porté plainte contre une agence de voyage, a gagné son procès coollectif. L’agence était accusée d’avoir vendu un voyage à Zanzibar, dans une résidence luxueuse qui s'était avérée n'être qu'à l'état de chantier. Après avoir ces vacances en enfer, les touristes s'étaient tournés vers la justice.
Une autre class action concerne une affaire d’eau courante polluée. Plusieurs associations de consommateurs, représentant quatre mille résidents de deux petits villages situés dans la région du Molise, ont saisi le tribunal de Rome en mars dernier. Les faits remontent à noël 2010. Durant un contrôle de la qualité de l’eau courante distribuée dans huit communes du bas Molise, les experts avaient noté un taux trop élevé de trihalométhane dans les conduits.
Pendant plusieurs semaines, la distribution d’eau courante avait été interrompue. La population résidente pénalisée a porté plainte contre l’administration publique locale. Les plaignants réclament une indemnité, que les avocats de la défense ont estimé à 1.000 euros par personne.
Article du 28/06/2013 mis à jour le 13/02/2014.